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« Ballade pour Leroy » de Willy Vlautin

La douleur semblait suspendre le temps. Attendait-il depuis des minutes, des heures, des jours ou des semaines? C’était trop difficile à supporter et il en avait vraiment assez de souffrir. Alors il décida d’abandonner, d’emmener son esprit le plus loin possible. Il allait se perdre en lui-même. Disparaître de la scène du monde. (p.33)

Quand son patron lui propose, de façon très insistante, d’entrer à la National Guard, Leroy est persuadé qu’il ne quittera jamais le pays. C’est ce qu’on lui promet en tout cas. Mais le cours des événements est tout autre. En Irak, il sera l’un des seuls survivants d’une bombe tombée sur le véhicule qui le transportait, lui et des collègues. Même s’il y survit, Leroy ne sera plus jamais pareil. Dans sa tête, plus rien ne va, aucun souvenir ne revient, il ne connaît même plus son nom. Alors la nuit où il se réveille avec un semblant de lucidité, dans le foyer psychiatrique où il est hébergé, il se demande si sa mémoire revient ou si c’est juste un phénomène éphémère. Dans le doute, à bout de souffle et totalement désespéré, il prend une décision cruciale.

Autour du jeune homme, gravitent des personnages qui ont ou auront une place importante pour lui. Le lecteur découvre leur quotidien tout au long de ce roman :

Il y a Freddie, le gardien de nuit qui a une affinité particulière pour Leroy. Il enchaîne ce boulot avec un poste à journée depuis que sa femme est partie avec leurs deux filles et que les dettes s’accumulent. On fait aussi la connaissance de Pauline, l’infirmière qui s’occupe de Leroy. Elle non plus n’a pas la vie simple. On lui suppose la trentaine, elle vit seule, travaille énormément et s’investit plus qu’il ne le faut avec ses patients. Quand elle n’est pas à l’hôpital, elle s’occupe de son père qui n’a pas la tête toute fraîche. C’est une femme qui pense d’abord aux autres et qui laisse passer sa vie. Elle m’a beaucoup émue… notamment avec la relation compliquée qu’elle entretient avec son père. Extrait :

Quand elle se réveilla le lendemain matin, il neigeait. Elle trouva son père dans la cuisine. Il avait fait du café et préparé des oeufs. Il s’était peigné et portait les vêtements de la veille.

« Merci » dit Pauline, et elle l’embrassa sur la joue. Son père avait les larmes aux yeux. Son visage se contracta et il toussa pour s’éclaircir la voix. « Je t’aime tellement, lui dit-il. (p.125)

On rencontre aussi régulièrement Darla, la maman de Leroy, qui garde espoir même si… Alors elle lui lit des histoires de sciences-fiction, le genre préféré de son fils.

Malgré son état, Leroy intervient dans ce roman. Il vit une aventure parallèle où il tente d’échapper, avec son amour de toujours Jeanette, à des espèces de gestapo qui massacrent toute personne présentant de mystérieuses taches colorées sur la peau.

Les conseils de Marie-Claude sont toujours judicieux! Après avoir craqué pour son Willy Vlautin avec « Plein nord« , voilà que je me plonge dans ce magnifique roman, profondément humain où des âmes écorchées à nouveau se présentent à nous. C’est ce qui fait la force de l’auteur, parler avec une écriture sobre et très belle, de personnes qui en bavent dans la vie et qu’on a terriblement envie d’aider. D’emblée, dans ce troisième roman, Leroy apparaît comme un jeune homme généreux, aimé, qui a toute la vie devant lui, et qui est coincé entre deux mondes. Cet entourage qui se dessine peu à peu, des portraits de gens ordinaires qui ont leur lot de problèmes, se montre extrêmement bienveillant.

Je suis restée accrochée du début à la fin, à vivre ces quotidiens difficiles et qui nous apparaissent si réels. Les personnages de Willy Vlautin ont ce quelque chose qui nous parle, ils pourraient être n’importe qui autour de nous. Ils font preuve d’une grande combativité, qui est pourtant mise à rude épreuve. Mais ils s’y accrochent et y croient. Pour les autres, pour eux.

Avec Vlautin, il y a souvent de l’espoir. La petite étoile de chacun qui joue, un jour ou l’autre, son rôle. On referme ses romans avec une foi décuplée en la vie. Je garderai un souvenir fort et émouvant de ce livre qui a clôturé mon année 2017 en beauté. Il ne me reste plus qu’à lire « Motel life »!

Le très bel article de Marie-Claude sur ce coup de coeur partagé!

Willy Vlautin, « Ballade pour Leroy », traduit de l’anglais (États-Unis) par Hélène Fournier, Editions Albin Michel, Collection Terres d’Amérique, 2016, 292 pages

« Idéal standard » d’Aude Picault

– A votre génération, on dirait que vous ne savez pas ce que vous voulez.

– Je sais très bien ce que je veux!

Je ne trouve pas, c’est tout… (p.24)

Un modèle de vie standard peut-il être le mode de vie parfait? Celui que chacun tente d’atteindre? Il est certainement le plus réconfortant, apaisant, et encore… Mais quand j’entends « modèle standard », « idéal », « famille parfaite », ça ne trouve pas d’écho particulier en moi, dans la vision que je me fais de la vie. Et pourtant, pour ne pas paraître « extraterrestre » ou se sentir jugé-e, la société nous pousse à entrer dans le moule. Et ce à tous niveaux, dans la vie de famille, la vie professionnelle, sur sa façon de vivre, tout simplement.

Alors quand Claire, la trentaine, enchaîne les relations (vraiment foireuses, il faut le dire!), elle commence doucement à désespérer de trouver l’homme avec qui elle se verrait bien faire un bout de chemin. Et puis l’horloge de la maternité tourne et voir les années défiler l’effraie aussi. Malgré cela, Claire est une femme heureuse, très épanouie dans son travail d’infirmière en néonatalogie. Elle a de chouettes amies, avec qui elle se confie et passe du temps, elle voit sa maman régulièrement.

Tout dans la société lui rappelle qu’elle DOIT trouver l’amour. Pour Claire, il y a un principe, malgré tout, auquel elle ne dérogera pas : l’amour ok, mais pas à n’importe quel prix, ni avec n’importe qui. Quand elle rencontre Franck, elle marche sur des braises. Mais de fil en aiguille, les circonstances de la vie font qu’ils emménagement assez vite dans l’appartement de Franck. Et c’est là que Claire se rendra compte de l’extrême difficulté entre un homme et une femme de cohabiter!

J’ai adoré cette bande dessinée et je pense que Claire est pour le moment mon personnage préféré dans le genre. Le message est diablement efficace, met le doigt là où ça fait le plus mal. Les stéréotypes de genres, et la domination masculine qui est délicatement évoquée, sont des thèmes que j’affectionne particulièrement. Je suis très attentive à ces messages « standards » qui façonnent notre société et nos existences depuis toujours, mais qui évoluent énormément malgré tout. Aude Picault aborde ces sujets avec tact et intelligence. C’est percutant.

Jo essaie de t’expliquer les subtilités de la répartition hétérosexiste : le rôle de la fille est de conforter à tout prix le garçon dans sa croyance en sa virilité. (p.35)

Claire est une femme moderne, qui sait ce qu’elle veut, et qui reste sur ses principes. En effet, l’homme dépeint dans cette BD est à gifler (qu’est-ce qu’il m’a énervée argh!) mais il renvoie à un modèle connu (et assumé?). L’auteure met merveilleusement en exergue cette opposition entre la femme indépendante et l’homme macho. Ce que j’ai vraiment apprécié chez Aude Picault, c’est d’avoir abordé ces thèmes sans pour autant avoir poussé ses personnages à l’extrême. Chose qui aurait été dommage, déjà vu/lu, et qui aurait fait perdre de la crédibilité à cette BD, à mon sens.

On se doute de la finalité de cette histoire, raison pour laquelle on retient de cette bande dessinée le message, qui se développe et prend de l’ampleur au fil des pages.

Niveau graphisme, j’ai beaucoup aimé la simplicité qui règne dans les tons et les dessins. J’ai juste eu un tout petit souci de lisibilité du texte.

A mes yeux, « Idéal standard » est une grande réussite! En s’appuyant sur les stéréotypes de genres, mais aussi ceux liés à l’amour, la famille, le job… ceux qui fondent notre société actuelle, en somme, Aude Picault les démonte et présente un mode de vie qui ne relève pas de la « perfection ». Elle démontre que le mode de vie que l’on s’est choisi est celui qui nous est propre, bien qu’il soit parfois incompris de notre entourage. Mais c’est celui qui nous rendra bien certainement heureux-se.

Aude Picault, « Idéal standard », Editions Dargaud, 2017, 152 pages

bd-de-la-semaine-saumon-e1420582997574Cette semaine, chez Noukette!

Derniers coups de coeur « petits lecteurs » #4

Chers petits lutins, osez les frissons et sensations fortes! Testez le train fantôme!

Vous allez vibrer, trembler, rigoler, sursauter. Et recommencer ce circuit inoubliable! Car on aime se faire peur !

Sur la fête foraine, la grande sœur de Lulu lui propose pour son anniversaire de choisir le manège de son choix. Alors il opte, non pas pour la pêche aux canards ou le manège tradition, car « c’est pour les bébés », mais bien pour le train fantôme.

Embarquement immédiat : cheveux de sorcières qui viennent vous effleurer le cou, un chien affreux qui vous avale tout cru, des zigzags en compagnie de serpents effrayants.

Le petit lulu aimera-t-il cette aventure peu ordinaire?

Dans cet album haut en couleurs, Adrien Albert nous embarque pour un moment chahuté mais ô combien jouissif! Son travail tant au niveau des dessins que du textes nous permet de profiter pleinement d’un tour de manège exceptionnellement monstrueux. Si bien qu’à la fin du circuit qui passe bien trop vite, on en redemande!

Un coup de coeur pour ce titre parcouru en période d’Halloween, qu’on a lu et relu plusieurs fois d’affilée! Car le gros point positif de cet album est de faire peur aux petits lecteurs, sans les traumatiser. Et chez moi, c’est testé et approuvé avec un petit garçon qui sursaute au moindre bruit 🙂 Il s’est éclaté!

Déjà lu et aimé d’Adrien Albert : « Papa sur la lune » et « Le roi du château« .

Adrien Albert, « Le train fantôme », Éditions L’école des loisirs, 2015

A partir de 5 ans

« Le Jour d’avant » de Sorj Chalandon

Michel et son frère aîné Joseph, dit Jojo, vivent avec leurs parents dans une ferme du nord de la France, à Liévin. Durant tout sa vie, le patriarche s’est tué à la tâche en labourant courageusement la terre pour offrir une vie décente à sa petite famille. Mais sur cette petite tribu plane une ombre qui prend la forme d’une poussière noire omniprésente sur chaque toit des maisons, dans les jardins et même sur les habitants de Liévin : c’est celle provenant de la fosse 3 de la mine dite de Saint-Amé. Ils sont nombreux les hommes à y descendre chaque jour, se coupant de la lumière et de l’air pur. D’ailleurs, l’oncle de Michel et de Joseph y a perdu la vie il y a plusieurs années. Jojo décide de suivre les mêmes traces, envers et contre tout et surtout de la colère de son père. Près de 10 ans après sa première descente, un coup de grisou marque à jamais ce matin du 27 décembre 1974. 42 mineurs périront dans cette tragédie. Jojo succombera à ses blessures en janvier. Tout le monde le sait, c’est un accident qui aurait pu être évité s’il n’y avait pas eu cette négligence au niveau de la sécurité. Mais à l’époque, seul le rendement compte. Travailler, travailler et travailler encore. Sans penser aux catastrophes qui sont là, tout près de ces courageux travailleurs, des pères de famille, des époux. Ceux qui y survivent après des dizaines d’années d’investissement gardent de toute façon, au plus profond d’eux-mêmes, tel un poison qui les grignote chaque jour, les traces de ce quotidien passé dans les entrailles de la terre. Ça s’appelle la silicose. 1 an après le décès de Joseph, c’est le papa de Michel qui se suicide. Après avoir perdu son héros, son modèle, son grand frère, Michel devra vivre avec ce double malheur, accompagné d’une ultime recommandation laissée sur un bout de papier par son papa : « Venge-nous de la mine« . Cette phrase le hantera toute sa vie, et se transformera en un véritable moteur.

Alors en 2014, au décès de sa femme Cécile, Michel n’a plus rien à perdre et retourne dans le village de son enfance bien décidé à retrouver Lucien Dravelle. C’est l’homme qui était responsable de l’équipe de mineurs ce matin-là, qui n’a jamais exprimé le moindre mot d’excuse. Il est temps de faire éclater la vérité, il est temps de rendre justice à toutes « gueules noires ». C’est en tout cas la mission qu’a préparé Michel toute sa vie durant. Et il est prêt à la concrétiser.

Sorj Chalandon a voulu, on le ressent clairement tout au long  du roman, rendre hommage, d’une part aux victimes du 27 décembre 1974. Mais surtout, plus globalement, à tous ces hommes qui ont travaillé dans des conditions extrêmement pénibles dans les charbonnages français, belges, italiens… A travers son écriture, c’est la hargne, la colère, l’injustice d’une exploitation sauvage et irrespectueuse de l’humain, qui prennent toute la place. Oui Sorj Chalandon exprime très largement ces voix oubliées, ces voix perdues, qui jamais ne se sont plaintes. C’est aussi une écriture aux apparences froides, qui n’arrondit rien, plus cassante, que j’ai découvert pour la première fois. Une mise à distance inévitable du coup avec tout ce qu’il plante dans la première partie. Mais c’est une écriture que j’ai trouvé juste pour le thème choisi. Ses descriptions des rues brumeuses, sans âme, avec toutes ces petites maisons identiques et gentiment alignées, si caractéristiques des corons, sont tout simplement fabuleuses. Impossible pour le lecteur de ne pas se plonger dans cette ambiance particulière et hypnotisante à fois.

C’est un roman beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, qui parle de la perte, du deuil, mais aussi de la haine et de la soif de vengeance. La dimension humaine et le respect des anciens y sont fort présents. C’est une qualité de l’auteur que j’ai le plus appréciée. Les liens fraternels si forts qui unissent Michel à son Jojo m’ont beaucoup émue aussi. Après une lente familiarisation avec son style et le décor qu’il plante en début de livre, j’ai été totalement engloutie par la seconde partie, inattendue.

Tout sonne juste dans ce roman, les faits s’enchaînent ne laissant aucun répit au lecteur, qui se prend toute ces vérités en pleine figure. Car même si l’histoire de Joseph et de Michel Flavent est fictionnelle, on sait qu’elle renvoie à des choses qui se sont réellement produites et à des existences noircies, au sens propre comme au figuré, à tout jamais. C’est donc un roman qui touche énormément, qui apporte une vraie réflexion sur le travail à l’époque, sur les différences flagrantes entre les classes sociales et sur le mépris de beaucoup d’hommes pour les « petites mains ».

Un gros coup de coeur pour ce « Jour d’avant » qui m’a vraiment chamboulée et qui continue de me trotter. On peut dire que pour une première avec Chalandon, c’est une grande réussite !

Sorj Chalandon, « Le Jour d’avant », Éditions Grasset, 2017, 336 pages

« Le journal malgré lui de Henry K. Larsen » de Susin Nielsen

Vous le savez, quand on me dit qu’il faut que je découvre un-e auteur-e jeunesse, tous mes sens sont en alerte! C’est ainsi que par hasard, grâce à une photo publiée sur son instagram, Marie-Claude m’a glissé le nom de Susin Nielsen, qui est ni plus ni moins son auteure jeunesse préférée. Évidement, je lui ai fait confiance les yeux fermés!

Henry Larsen a connu il y a peu une grosse tragédie qui l’a touché, lui et sa famille. Une épreuve qui les ont poussés à quitter Port Salish pour Vancouver et à recommencer une nouvelle vie. Depuis ce douloureux événement, Henry voit Cecil, son psychologue, toutes les semaines. C’est lui-même qui lui a offert ce journal et lui a conseillé d’écrire ses pensées, le déroulement de ses journées, sa vie au collège, ses rêves, … tout ce qu’il n’arrive pas à exprimer oralement et qui doit sortir. Dans le nouvel appartement qu’il partage seul avec son papa, Henry va devoir trouver ses marques, mais aussi s’ouvrir aux nouvelles rencontres qui se mettent, tout naturellement sur son chemin. Dans leur immeuble, ils y croisent Karen Vargas, cette femme au maquillage bien trop vulgaire, M. Atapattu, leur sympathique voisin sri lankais qui passe ses journées soit devant les émissions de télé achat, soit à cuisiner du curry. Dans son nouveau bahut, Henry fera également des connaissances, notamment via le club de « Que le meilleur gagne » comme Farley ou Alberta.

Quel merveilleux roman jeunesse! Il réunit tous les ingrédients que je recherche et que j’apprécie dans le genre. Derrière la légèreté du quotidien de cet ado, se cache une terrible vérité, un événement qui continue de le hanter et qu’il doit apprendre à maîtriser. L’occasion donc pour l’auteure d’aborder des sujets comme la reconstruction, le deuil, mais aussi l’entraide et l’amitié.

Susin Nielsen livre un roman frais, à l’humour diablement efficace, un style fluide qui colle si bien à ce personnage Henry. Et puis ce petit héros est terriblement attachant. Il se livre à cœur ouvert et instantanément, laisse parler ses émotions qu’il n’arrive pas à exprimer autrement. Cela donne des pages parfois très fortes émotionnellement. J’avoue en avoir lu certaines vraiment à fleur de peau, chose qui ne m’arrive que très rarement.

Et puis la force de ce roman, c’est aussi cette panoplie de personnages qui gravitent autour de Henry et de son papa. Ils sont bourrés de qualités, totalement atypiques, généreux, aidants, et fidèles. Un hymne aux vraies belles rencontres qui vous remettent du baume au coeur et apparaissent comme essentielles à un moment de votre vie.

C’est un beau coup de coeur pour ce roman. Je l’ai parcouru avec le sourire et parfois le cœur serré. Avec l’envie d’encourager Henry et de l’aider à avancer. Un roman qui donne foi en l’humain et en l’amitié, tout en abordant un sujet d’actualité grave.

Ce titre a reçu le Governor General’s Literary Award, prestigieux prix canadien, et je le comprends aisément.

Susin Nielsen, « Le journal malgré lui de Henry K. Larsen », traduit de l’anglais (Canada) par Valérie le Plouhinec, Éditions Hélium, 2013 (édition originale : 2012), 239 pages

« Point cardinal » de Léonor de Récondo

Combien de temps faut-il pour être soi-même? (p.96)

Léonor de Récondo m’a toujours beaucoup émue, notamment grâce à son écriture si raffinée. Que ce soit avec Pietra Viva ou Amours, deux histoires se situant à des époques différentes, elle m’a marquée. Elle trouve les mots simples pour aborder des sujets forts et plante des scènes inoubliables.

Dans son nouveau roman Point cardinal, elle a décidé de changer et d’imaginer un univers contemporain où elle aborde des sujets bien encrés dans notre époque : la quête d’identité, le regard des autres, le jugement de valeurs, mais aussi une faculté d’ouverture et d’acceptation de l’inévitable.

Laurent est un père et un mari aimant. Il a rencontré Solange très jeune mais entre eux, tout semble couler comme un fleuve paisible. Leur famille n’est qu’harmonie et bonheur. En façade du moins car à l’intérieur de Laurent, c’est un tourbillon, un orage. Mathilda a décidé de s’exprimer. Même si elle a émergé il y a peu, elle vit en lui depuis toujours finalement. Seulement Laurent n’a jamais voulu l’écouter. Pour le moment, les seules fois où il vit en Mathilda sont bien pauvres, c’est lorsqu’il sort au Zanzibar avec son amie Cynthia. Elle est la seule pour le moment à savoir, et à le soutenir. Mais l’homme qui désormais ne vit qu’en façade n’en peut plus, il est temps pour lui de s’assumer. Est-ce que sa famille, ses deux enfants Thomas et Claire, âgés de 16 et de 13 ans, sa chère épouse, comprendront? Le soutiendront?

(…) Mathilda était entrée en lui avec fracas. Elle s’était imposée brutalement, tout son corps en avait été meurtri. Elle s’incarnait, et lui avec elle. Il n’avait plus aucun doute sur la raison de ses douleurs. (p.37)

Tout est dit, le décor est planté. Avec Point cardinal, on se retrouve au même titre que Laurent face à un chamboulement des plus extrêmes. Changer de vie n’est pas chose aisée, mais changer de sexe! Il s’agit de tout reconstruire, de trouver de nouveaux repères. Mais surtout vivre avec le regard des autres, accepter le refus des êtres aimés, c’est celui qui fait le plus mal.

Les mots de Léonor de Récondo sont simples et forts à la fois. Son texte est un ouragan, elle fait tout exploser dans l’entourage de Laurent. Sans aucun jugement, elle explore cette quête d’une nouvelle identité, la volonté pour un homme de réaliser son rêve le plus intime, celui de devenir enfin la femme qu’il a toujours voulu être. Le plus difficile en effet, sont les répercussions sur sa famille, et l’auteure décrit ces scènes avec de la justesse mêlée à la colère évidement et aux mots qui font mal. Tout est en équilibre et il devient impossible pour le lecteur/la lectrice, de ne pas avoir envie de soutenir Laurent.

J’aurais bien aimé lire davantage de pages sur Solange, cette femme qui voit son monde s’écrouler le jour où elle découvre le secret de Laurent. Car elle se retrouve, elle aussi, inévitablement et profondément concernée par ce changement : peut-elle rester l’épouse d’un homme qui devient une femme? Qu’en sera-t-il de leur vie intime? Par ailleurs, le sujet aurait également pu être exploité un cran plus loin, mais je ne crois pas que c’était dans l’objectif de l’auteure. Elle a plutôt voulu mettre l’accent sur les conséquences sur l’entourage de Laurent. En tout cas, elle a réussi à décrire ce thème très finement.

C’est un gros coup de coeur, vous l’aurez compris. J’ai été hypnotisée par cette parenthèse, douloureuse et heureuse à la fois, dans la vie de Laurent et de sa famille. Un livre qu’on lâche difficilement et qui ne s’oublie pas. Un bijou!

PS : mon seul achat jusqu’à présent d’un livre de la rentrée littéraire 2017!

Léonor de Récondo, « Point cardinal », Éditions Sabine Wespieser, 2017, 224 pages

Derniers coups de cœur « petits lecteurs » #3 : été 2017

Quand je vous ai présenté ma PAL pour cet été, début juillet, j’ai oublié de préciser que celle de mon fils était tout aussi grande! Et parmi les titres trouvés à la bibliothèque, nous avons eu un énorme coup de cœur pour deux séries en particulier.

Alors qu’il vient de fêter ses 4 ans, mon fils commence à avoir de nouvelles envies au niveau de ses lectures et notamment, il apprécie de plus en plus les histoires plus longues. Depuis qu’il est tout petit, il ne s’est jamais ennuyé ni montré impatient lorsqu’on lit. Trouver des histoires courtes n’était donc pas la priorité. Mais aujourd’hui, je sens qu’il aime suivre les personnages plus longuement dans leurs aventures, qu’il s’attache beaucoup plus à eux. Je suis donc tombée, dans un autre rayon que celui des « petits », sur une série dont les couvertures m’ont immédiatement attirée. Il s’agit de petits ouvrages, qui font plus « livres » qu' »albums » finalement.

Voici une série composée de quelques titres, 4-5 tout au plus, de Davide Cali aux textes accompagné de Benjamin Chaud pour les illustrations. Je m’étais déjà plongée dans l’univers de Cali dans un autre album, et j’avoue que ces titres-ci nous ont beaucoup plu.

La trame est identique : on suit un petit garçon qui raconte à son institutrice toutes les aventures extraordinaires qu’il a traversées, soit durant ses vacances, soit avant d’arriver à l’école (raison pour laquelle il est évidement en retard). C’est loufoque, à l’imagination  débordante, drôle et surtout ça parle aux enfants. Quant aux dessins, ils sont simplement magnifiques, bourrés de détails qui ont beaucoup amusé mon fils. A chaque fois qu’on ouvrait ces livres, il trouvait toujours un petit élément qu’il n’avait pas encore vu auparavant. Ça lui permettait même parfois de trouver une nouvelle interprétation à l’histoire. Personnellement, j’ai préféré les incroyables vacances de notre petit héros qui était à la recherche d’un trésor. Je précise aussi que les fins sont souvent inattendues, et nous permettent de refermer ces mini-romans avec le sourire. Une superbe découverte, donc. L’objet est également très agréable à manipuler, le papier est de qualité supérieure, les couleurs sont splendides. Il doit nous rester 1 ou 2 titres encore à lire dans cette série, et puis je suis certaine de continuer à chercher des livres de Davide Cali!

Davide Cali (textes), Benjamin Chaud (illustrations), Sophie Giraud (traduction), « La vérité sur mes incroyables vacances », Éditions Helium, 2016, 40 pages

Davide Cali (textes), Benjamin Chaud (illustrations), Sophie Giraud (traduction), « Je suis en retard à l’école parce que… », Éditions Helium, 2015, 40 pages

A partir de 3 ans

 

Et puis cet été , on a aussi rencontré un personnage bien connu dans la littérature enfantine, et qui nous a laissé une forte impression. Il s’agit d’Émile! J’ai pris connaissance de ses aventures chez Jérôme dont la fille est super fan! Comme je la comprends!

Émile est un petit garçon qui n’en fait qu’à sa tête. Il se balade tout nu, il porte une doudoune en plein été, il mange ce qu’il veut, il vit dans son monde bien à lui. Quand il a une idée en tête, il ne l’a pas ailleurs comme on dit! Alors évidement la superposition pour un enfant du même âge est inévitable, presque naturelle!

« Émile est invisible » m’a fait mourir de rire. Et même si mon p’tit lecteur n’a pas tout à fait compris la subtilité de la fin, il s’est beaucoup amusé en voyant Émile se balader tout nu chez lui pour échapper aux endives de sa maman. Tiens, ça m’étonne qu’il ne l’ait pas encore copié d’ailleurs! On a aussi lu « Émile a froid » et « Émile fait un cauchemar« . Vous remarquerez que ce sont des thèmes qui touchent beaucoup au quotidien et questionnements des jeunes de cet âge-là. A chaque fois, on a passé un très bon moment en compagnie de ce gamin drôle et attendrissant.

Vincent Cuvelier (textes), Ronan Badel (illustrations), « Émile est invisible », Éditions Gallimard Giboulées, 2012, 28 pages

A partir de 4 ans

« Sauveur & Fils, saison 3 » de Marie-Aude Murail

J’ai eu le bonheur de poursuivre les aventures du charismatique psychologue antillais Sauveur Saint-Yves durant mes vacances! Alors que j’ai lu les précédents tomes plus tôt dans l’année, je dois bien avouer que j’ai trouvé ce moment idéal pour se laisser bercer par le quotidien mouvementé mais si passionnant de cet homme. Je l’aurais d’ailleurs commencé avec un petit pincement au cœur si je n’avais pas eu la confirmation qu’un 4ème tome était en préparation!

Dans la saison précédente, Marie-Aude Murail nous avait laissés avec quelques interrogations et un certain suspens : la douce Louise qui  entamait une relation avec notre psy préféré, avait du mal à trouver ses marques avec son amoureux fort préoccupé par son travail, mais aussi parmi cette nouvelle famille en reconstruction ; on apprenait que Gabin s’était procuré des tickets pour le concert du Bataclan du 13 novembre à Paris ; Ella Kuypens, qui commençait tout juste à assumer son identité non-liée à un genre, était victime de cyberharcèlement suite à une photo prise par un élève frustré… C’est donc très enthousiaste que je me suis plongée dans cette suite.

Je l’ai adorée ! Principalement parce qu’on y découvre un Sauveur en panique, désorienté, lui qui semblait auparavant tout gérer, tant sa vie professionnelle que son côté privé atypique. J’ai apprécié voir ce personnage vaciller, face aux demandes de plus en plus envahissantes de ses patients, face à cette difficulté également à marquer la limite boulot/maison, et face à Louise avec qui il a beaucoup de mal à communiquer et à montrer ses émotions.

De nouveaux patients ont rejoint son cabinet mais je dois avouer que dans ce tome-ci, ils sont plutôt passés au second plan et n’apportaient pas grand chose au piment général. L’histoire entre Samuel et son papa, pianiste renommé, tout justement retrouvé à la fin de la précédente saison, a pris par contre de l’ampleur et m’a émue. Alice, la belle-fille de Sauveur qui ne cesse s’opposer aux adultes, est également mise en avant.

Tout petite déception pour la suite réservée à Ella (ma chouchoute, rappelez-vous) dont l’histoire ne prend pas un envol incroyable et qui fait même un peu du surplace. Par contre, Marie-Aude Murail transmet des recommandations importantes via ce personnage sur la violence des réseaux sociaux.

L’auteure se met de plus en plus à la page, que ce soit au niveau du vocabulaire des jeunes, de leurs préoccupations, de leurs nouvelles habitudes de vie, et de leurs loisirs. On comprend aisément que c’est pour mieux leur parler, les toucher. Mais au risque de me répéter, c’est une série vraiment très plaisante pour les adultes aussi qui s’attachent, d’une autre façon, aux personnages et aux aventures de toute cette tribu.

J’ai trouvé ce troisième tome plus touchant et plus rythmé que les autres. Les événements s’enchaînent plus rapidement et les rebondissements sont nombreux. Loin de sonner comme une conclusion, il laisse la porte ouverte sur tout un tas d’autres histoires à imaginer, ou à perfectionner. Puisque, comme le démontre de façon admirable Marie-Aude Murail avec cette saga, la nature humaine est aussi complexe que passionnante.Le bonus laissé à la fin avec quelques conseils cinéma et lecture sur les sujets exploités par l’auteure invite le lecteur à nourrir sa curiosité.

Un grand bonheur de lecture!

Marie-Aude Murail, « Sauveur & Fils, saison 3 », Éditions L’école des Loisirs, 2017, 320 pages

PS: alors que depuis quelques jours la blogo est clairement à l’heure de la rentrée littéraire, je me retrouve définitivement toujours plus à contre-courant :p

Mes autres avis :

Sauveur & Fils, saison 1

Sauveur & Fils, saison 2

« Journal d’un vampire en pyjama » de Mathias Malzieu

Il faut que je me fasse à cette idée : rien ne sera plus jamais comme avant. Me faire sauver la vie est l’aventure la plus extraordinaire que j’ai vécue.

Mathias Malzieu, je le connais évidement au travers de son groupe Dionysos. J’adore la pêche qu’il renvoie, son côté décalé lorsqu’il chante mais aussi de ses textes. J’ai également pu apercevoir son côté sensible, touchant et romantique, dans son film d’animation « Jack et la Mécanique du coeur », une adaptation de son roman du même titre. Car Mathias Malzieu est aussi un écrivain-poète, avec 7 publications à son actif (Journal d’un vampire… compris). C’est sous cette dernière facette que je n’avais pas encore eu l’occasion de le découvrir. Pourquoi avoir opté pour ce titre? Tout simplement parce que j’ai regardé à l’époque de sa sortie, ses nombreux témoignages à la télévision et son histoire m’a parlé. Il y dévoile un sujet très personnel qu’est la maladie qui la frappé dès l’hiver 2013.

Le leader de Dionysos est justement sur le point d’entamer la grosse promotion de son film « Jack et la Mécanique du coeur », ainsi que de l’album éponyme, lorsqu’il est pris de gros coups de fatigue, d’un mauvais souffle, d’un état général faible. Après quelques examens, les médecins sont déjà alarmistes : Mathias Malzieu a une infection du sang, à cause d’un dérèglement de sa moelle osseuse. C’est donc tout son système immunitaire qui est touché. Il s’agit d’une maladie rare, mais grave. La greffe de moelle osseuse est rapidement soulevée, une solution qui s’avérera infructueuse car ils ne trouveront pas de moelle compatible. Que lui reste-t-il à faire? Tout d’abord, de très nombreuses transfusions de sang, d’où sa métamorphose symbolique en vampire. Et des mois et des mois en chambre stérile, pour éviter tout virus et autres contaminations, durant son lourd traitement.

A partir de ces nouvelles peu réjouissantes, le chanteur et sa famille seront plus soudés que jamais et prêts à combattre cette maladie. Avec le décès de la maman quelques temps plus tôt, la peur est évidement très présente. Mais le moral y est, surtout pour Mathias et son amoureuse Rosy. A laquelle il rend d’ailleurs un superbe hommage tout au long de son roman, pour son soutien, l’amour qu’elle lui porte quoi qu’il en soit, et surtout la patience dont elle fait preuve.

Évidement, on connaît la fin (heureuse) mais les doutes sont nombreux vu le nombre de traitements qui échouent et les interrogations des professionnels de la santé, face à cette maladie rare. Par rapport à eux aussi, l’auteur les remercie chaudement au fil des chapitres, et il est vrai que l’accompagnement dont il a bénéficié ne fait aucun doute sur le professionnalisme, la gentillesse et le soutien des équipes médicales.

Ce que j’ai surtout apprécié dans ce texte, c’est qu’il est semé d’une multitude de doux moments et de clins d’oeil attendrissants. Étonnant vu le sujet, mais justement Mathias Malzieu s’est doté d’un incroyable courage et a décidé d’appréhender cette épreuve avec beaucoup d’humour, d’inventivité (un de ses traits de caractère qui m’a le plus bluffée) et toujours toujours de l’espoir. Bien sûr, il traversera de gros moments de doute, son état empire gravement par périodes. Cette peur, il l’a représentera au moyen d’une jolie nymphe appelée Dame Oclès. Elle représente la mort, qu’il combattra régulièrement d’un point de vue imaginaire évidement.

J’ai découvert une nouvelle facette du chanteur, celle d’une personne positive, lumineuse, extrêmement reconnaissante, terriblement créative. Pendant ses hospitalisations, jamais il ne cessera de penser à la musique, à l’écriture, à de nouvelles créations. Il réalisera ainsi ses premiers vinyles, chez lui, dans un studio conçu au moyen d’un siège-oeuf.

Beaucoup d’amour traverse ce livre, et aussi une façon de croire en la vie et en sa petite étoile. Sa force, il la puise parmi les siens et dans ses nombreuses passions.

Mathias Malzieu parle d’une renaissance, lorsqu’il apprend qu’il est « guéri » (car malgré tout, il garde un système immunitaire trop faible pour un homme de 40 ans). Il est en effet facilement imaginable que cette mauvaise étape de sa vie l’a transformé, et qu’il l’utilisera désormais comme une force. En tout cas, ce n’est pas ça qui l’arrête puisqu’il en a sorti un roman, et un album!

Gros coup de coeur pour ce journal, donc, qui m’a happée. Je suis vraiment restée scotchée à ses mots, pour connaître la suite des événements, mais aussi pour cette ambiance joyeuse et détendue qui casse avec le décor médical lié à l’histoire. On en sort avec le sourire aux lèvres et une furieuse envie de dédramatiser nos petits tracas du quotidien, lorsque l’on pense à tout ce que peut détruire la maladie. Il m’a donné très envie de lire ses autres romans, pour justement retrouver cette petite lumière qui semble constamment briller dans ses yeux de grand enfant.

Mathias Malzieu, « Journal d’un vampire en pyjama », Éditions Albin Michel, 2016, 245 pages

« En attendant Bojangles » d’Olivier Bourdeaut

J’étais prévenue par les nombreux-ses lecteurs-trices qui ont adoré ce roman : il ne ressemble à aucun autre! Je me suis donc laissée emporter par ce rythme dansant dès les premiers mots. Sans le savoir, j’entrais dans un univers à part, foisonnant, généreux, un pur bonheur de lecture!

Dans ce court livre, se déroule le quotidien d’un couple pas comme les autres, qui se vouvoie, porte des vêtements d’une autre époque, ne s’appelle jamais par le même prénom.

C’est leur petit garçon qui nous raconte cette incroyable fête qu’est leur vie. Dans leur appartement, les invités se bousculent chaque soir et passent des nuits entières à boire, à manger et à danser. Entre ses parents, c’est l’amour fou, véritable coup de foudre qui les a frappé il y a quelques années sur un bateau. Deux âmes-sœurs, qui ont immédiatement parlé le même langage.

A la moindre occasion, ils s’enlacent et se mettent à danser sur leur chanson fétiche « Monsieur Bojangles » de Nina Simone. Elle est devenue leur hymne, les notes sont directement imprégnées dans les murs de leur appartement. Ils n’ont sans doute rien en commun avec les parents « traditionnels », mais ils transmettent une réelle joie de vivre autour d’eux.

Mon côté très terre à terre s’est un peu méfié de cette première partie totalement hors du temps. Elle m’a beaucoup amusée car l’écriture permet de bien visualiser les scènes. J’entendais la musique à travers les pages, je ressentais la bonne humeur qui s’en échappait, et les fous rires. Un véritable vent de fraîcheur! Et puis, je savais au fond qu’Olivier Bourdeaut avait autre chose à raconter, et j’étais pressée de le découvrir. Chose qui arrive assez vite finalement, au premier signe d’énervement de la part de la maman, lors de la visite impromptue d’un contrôleur fiscal. On sent que sa réaction est un peu excessive. Les premiers signes de la maladie apparaissent au lecteur.

Le problème avec le nouvel état de Maman, c’est qu’il n’avait pas d’agenda, pas d’heure fixe, il ne prenait pas rendez-vous, il débarquait comme ça, comme un goujat. (p.74-75)

Un second narrateur s’intercale de temps en temps, entre les propos du fils, c’est le papa. Il partage quelques passages de son journal intime dédié à sa femme tant aimée. On sent que ces annotations lui permettent surtout de prendre un peu de recul par rapport aux situations parfois très abracadabrantes, voire dangereuses, qu’il traverse avec sa famille.

Son comportement extravagant avait rempli toute ma vie, il était venu se nicher dans chaque recoin, il occupait tout le cadran de l’horloge, y dévorant chaque instant. Cette folie, je l’avais accueillie les bras ouverts, puis je les avais refermés pour la serrer fort et m’en imprégner, mais je craignais qu’une telle folie douce ne soit éternelle. Pour elle, le réel n’existait pas. (p. 65)

Quelle réussite! L’auteur aborde un sujet finalement bien triste, qu’est la maladie mentale, mais jamais il ne plombe l’ambiance de son roman. C’est un texte lumineux, joyeux, qui donne envie de danser, de chanter, de crier, de vivre sa vie sans se soucier du regard des autres. Il est aussi très émouvant car l’amour, le véritable amour, est omniprésent. On ne peut que s’attendrir de ce petit garçon qui est rempli d’admiration pour ses parents. Ils sont extravagants, certes, mais il ne lui manque de rien, il est aimé, choyé, et c’est ça le principal. Par ailleurs, j’ai eu le cœur littéralement retourné face à cette mère qui se bat contre ses propres démons, et parallèlement, veut protéger coûte que coûte les deux hommes de sa vie. Car les personnages imaginés par Olivier Bourdeaut sont des plus attachants et éminemment solaires. On s’en détache avec beaucoup de difficultés, tant leur énergie positive prend de la place.

Le style m’a amusée aussi, grâce à cet auteur qui joue avec les codes et les expressions de la vie courante qu’il remanie à sa façon. C’est une nouvelle façon de voir les choses qui s’offre à nous, en somme. Que le narrateur soit un jeune garçon ajoutait un petit côté naïf que j’ai beaucoup aimé. D’autant plus que cette situation familiale n’est pas toujours très facile pour lui car elle n’est pas bien comprise dans notre société faite de modèles classiques et pré-conçus, comme l’école.

Je mentais à l’endroit chez moi, et à l’envers à l’école, c’était compliqué pour moi, mais plus simple pour les autres. Il n’y avait pas que le mensonge que je faisais à l’envers, mon écriture aussi était inversée. L’écrivais « comme un miroir » m’avait dit l’institutrice, même si je savais très bien que les miroirs n’écrivaient pas. (p.47)

En le terminant, ce sont des frissons qui m’ont parcourue, et les larmes n’étaient pas bien loin (ceux qui me connaissent bien savent que ça n’arrive pas souvent!). Un premier roman impressionnant, original et maîtrisé!

Olivier Bourdeaut, « En attendant Bojangles », Editions Finitude, 2016 (Folio, 2017), 172 pages