Je peux rester longtemps, comme ça, à me laisser bercer par la musique de la langue française – je lâche prise du côté des paroles pour ne m’intéresser qu’à la mélodie, aux mouvements des lèvres de tous ces gens qui arrivent à cacher des voyelles sous leur nez sans effort aucun, sans y penser, et hop -an, -un, -on, ça paraît si simple, -en, -uint, -oint : j’écoute, j’apprécie. (p.61)
Là où il est question d’immigration, il est aussi question d’intégration et de découverte de l’autre… Faire connaissance avec des nouveaux sons, des traditions, un environnement, des attitudes totalement différents.
Dans ce court roman, une jeune voix s’élève pour nous dire quelques mots sur sa venue en France. La narratrice, qui a 10 ans au moment où elle quitte l’Argentine, rejoint sa maman en banlieue parisienne, déjà installée depuis quelques années. Elle partage son excitation du départ et l’envie, la curiosité qu’elle développe depuis un moment, à découvrir un nouveau pays. Mais c’est aussi un déchirement, puisque son papa est prisonnier politique en Argentine.
Avant de quitter son pays déjà, elle apprend le français, si différent de sa langue maternelle. L’émerveillement, le plaisir de jouer avec les sons, l’empressement de faire sortir toujours plus vite ces mots qu’elle apprivoise aux côtés de Noémie, son professeur de français.
Avec Noémie, j’ai découvert des sons nouveaux, un r très humide que l’on va chercher tout au fond du palais, presque dans la gorge, et des voyelles qu’on laisse résonner sous le nez, comme si on voulait à la fois les prononcer et les garder un peu pour soi. (p.12)
Tous ces sentiments joyeux se délient et nous enveloppent dans le même émerveillement. Une vie nouvelle s’offre à elle : elle nous la présente au moyen de courts chapitres qui s’apparentent à des anecdotes, des clins d’oeil à son quotidien au Blanc-Mesnil. En parallèle, notre héroïne poursuit sa correspondance avec son papa. Une lettre envoyée chaque lundi, avec quelques bribes de ce qu’elle vit de l’autre côté de l’Atlantique. Ils parlent ensemble littérature, une passion commune. Elle, tente de lire les mêmes romans que son père, en français. Une lecture commune et simultanée, pour maintenir le lien. C’est de là que née l’attirance pour les abeilles…
L’auteure s’est inspirée de son enfance pour nous raconter cette très jolie histoire d’intégration. Elle met en lumière, tout en élégance et poésie, la petite fille qu’elle était à l’époque. Le style y est joyeux et enfantin, je me suis laisser emmener, telle une jolie balade. Elle met le doigt aussi sur les différences de cultures, la gastronomie française et ses fameux fromages qui puent, sur la mode de l’époque post-hippie, ces papiers peint kitchissimes… Un régal!
Comme le récit se porte du côté de la fillette, on ne se focalise pas sur la tristesse liée à l’exil, ni même sur le danger qui pouvait régner à cette époque en Argentine (1979). C’est un texte positif, lumineux, rempli d’espoir. Et quelle magnifique couverture dans sa version poche!
J’ai fait mes premiers pas dans l’année 2018 avec ce roman qui m’a laissée sur un sentiment d’apaisement et de bien-être. Une très belle découverte faite grâce à Delphine qui aime particulièrement Laura Alcoba (son billet). Je continuerai avec ses autres romans!
Laura Alcoba, « Le bleu des abeilles », Editions Gallimard, 2013 (Folio 2015), 140 pages