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« Coeur-Naufrage » de Delphine Bertholon

Delphine Bertholon a été pour moi un coup de foudre il y a 2 ans avec la sortie de son roman « Les corps inutiles« . Une révélation. Un style que j’arrive difficilement à lâcher, un univers un peu sombre d’êtres écorchés par la vie. Depuis cette lecture magnifique, j’ai lu d’autres titres qui ne m’ont jamais déçue. C’est donc avec un plaisir énorme, que je me suis plongée dans ce « Coeur-Naufrage » (et à nouveau, une très jolie rencontre à Bruxelles en mars dernier).

Les premières pages de ce roman nous invitent dans la vie de Lyla avec un Y, 34 ans, traductrice littéraire. Lyla, c’est une écorchée vive, à nouveau. Une jeune femme qui se tient à l’écart de sa propre existence. Elle vit les choses, sans ressentir grand chose. C’est un peu comme si elle flottait dans les airs, qu’elle exécutait des tâches mécaniquement, parce qu’il le faut. Parce qu’il faut quand même faire semblant d’avoir une vie à peu près normale. En nous racontant son quotidien d’aujourd’hui, Lyla montre surtout à quel point elle porte le désespoir d’une épreuve difficile à surmonter. Côté relations, ce n’est pas la joie non plus, forcément. Mis à part une meilleure amie fidèle, personne ne partage sa vie. Les hommes passent, mais aucun n’arrive à entrouvrir cette carapace qui semble scellée à jamais.

Je réalise aujourd’hui que j’ai quitté des gens qui m’aimaient trop pour des gens qui ne m’aimaient pas assez, sans jamais rencontrer celui qui m’aimerait comme il faut (p.66)

La faute à quoi? A qui? A une histoire d’amour, comme c’est souvent le cas. Mais il s’agit ici de la véritable passion, celle qui vous fait perdre pied, qui efface tout le reste, qui vous rend aveugle. Lyla l’a vécue à ses 17 ans, lors de ses vacances habituelles dans les Landes.

En regardant les vagues, qui, tout en bas, cassaient sur le sable comme de la crème fouettée, Lyla songea que, dans la vie, rien n’est jamais plus beau que les accidents. (p.36)

Delphine Bertholon opte pour un narrateur extérieur cette fois, pour nous faire découvrir une tout autre Lyla. La Lyla de 17 ans, joyeuse, séduisante, pleine de vie, malgré l’omniprésence d’une mère détestable, totalement toxique, Elaine Manille. Elle rencontre par hasard Joris Quertier, un surfeur de 3 ans son aînée. Une jeune homme taiseux qui révèle discrètement des traces sur ses bras, stigmates d’une tentative de fuite éternelle. Lui, son problème, c’est son père violent, alcoolique, qui n’a jamais montré le moindre sentiment envers son fils. Ce point commun est peut-être ce qui les a rapprochés, tous les deux.

Couple d’un soir, de plusieurs, sans promesse de lendemain pour autant. Lyla tombe enceinte de ce garçon qui n’a aucune intention de la revoir. Il est trop tard pour l’IVG. Face au désespoir de se retrouver seule à élever un bébé et à la furie de sa mère, Lyla prend une décision. C’est l’accouchement sous X. Tant d’années après, cet événement continue de la hanter. Elle a perdu son innocence, son aura.

Depuis dix-sept ans, j’ai l’impression d’avoir commis un acte abominable dont rien ne me sauvera. La réalité est ce que l’on ressent ; tout le reste n’est que psychanalyse. (p.320)

J’ai tellement aimé ce roman que je vais tenter d’être concise en revenant sur les éléments qui m’ont plu.

Un mot pourrait résumer cette histoire, je pense. C’est le manque. Le manque de soutien lors d’une douloureuse épreuve. Le manque de sentiments dans une relation à sens unique. Le manque d’une mère, d’épaules sur lesquelles pleurer. Le manque du bébé qu’on commençait déjà à aimer. L’auteure exploite ce thème avec une délicatesse infinie. L’analyse du manque à travers ces épreuves de la vie qui marquent à jamais et qui continuent à hanter, tel un fantôme.

Les personnages sont particulièrement convaincants. Lyla est une femme qui a perdu son innocence à seulement 17 ans, et qui vit en marge de la société, dans sa triste bulle, telle une âme en peine. Je l’ai par ailleurs trouvé très forte, car elle garde la tête haute et se fout pas mal de ce que l’on peut penser d’elle. Confronter la Lyla d’aujourd’hui à celle de 17 ans juste avant ce mois d’août 1999 a permis de se rendre compte à quel point elle a perdu de cette fraîcheur.

Par ailleurs, c’est la première fois que je lis Delphine Bertholon à travers un regard masculin. Puisque ce roman est partagé entre les propos de Lyla et ceux de Joris. J’ai été agréablement surprise de constater à quel point elle arrive à se mettre dans la tête de l’homme. Elle fait ressurgir d’autres formes de pensées, mais elles aussi focalisées sur l’abandon et le regret. Ce Joris m’a émue.

Il y a aussi un vrai suspens dans ce roman, une attente de réponses pour le lecteur. Il est impossible de s’ennuyer tellement l’auteure exploite ses personnages de la façon la plus totale, ainsi que les thèmes qu’elles a choisis : la maternité, l’accouchement sous x, la jeunesse, la passion, la parentalité, l’abandon. Tout est très justement tissé.

Delphine Bertholon innove avec ce roman, je trouve. Elle nous montre une face peut-être plus douce, une part d’elle-même qu’elle a accepté de dévoiler à son lectorat chéri, avec des sujets qui lui sont chers. A mon sens, c’est aussi son roman le plus abouti, pour les raisons évoquées plus haut.

C’est un grand coup de coeur pour ce roman, évidement! Il s’agit d’une auteure dont j’achète les livres les yeux fermés. Avec celui-ci, j’ai profité de chaque mot, beaucoup de passages sont d’ailleurs notés. Car l’écriture de Delphine sonne vrai. Elle me touche particulièrement.

Delphine Bertholon, « Coeur-Naufrage », Éditions JC Lattès, 2017, 409 pages

« La condition pavillonnaire » de Sophie Divry

C’est grâce à ce petit bijou d’émotions que je me décide enfin à relancer le blog. L’envie de partager ce titre avec vous.

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Troisième rencontre avec cette auteure que je qualifie de moderne et d’impertinente. Son écriture a quelque chose de novateur, très féminin, ironique voire sarcastique et tellement empreint de vérité. Elle soulève les grands maux de notre société, l’individualisme, la solitude, l’égoïsme, la course qu’est aujourd’hui la vie, mais tout cela avec un regard amusant qui nous fait prendre avec plus de légèreté les petits côtés sombres de nos existences.

Dans ce roman, qui est son troisième, Sophie Divry retrace toute la vie de M-A, depuis son enfance qui fut heureuse et au quotidien tellement insouciant, jusqu’à son dernier souffle, qui clôture superbement ce livre, la larme à l’oeil.

On y fait la connaissance de ces deux parents aimants, soucieux de leur fille, et qui ont tout fait pour lui offrir ce qu’ils n’ont pu bénéficier eux-mêmes. La période où se situe cette vie est particulièrement intéressante, évoluant des années 60 à aujourd’hui (la génération de mes parents, en somme). Quelle merveilleuse période, quand on y pense! Bien loin des nouvelles technologiques, de la sur-consommation engendrée par l’implantation massive des supermarchés. Ces grands changements sociétaux, M-A les traverse, non sans quelques interrogations et craintes, et Sophie Divry nous les fait redécouvrir au fil du temps qui passe, presque avec amusement. Tout semble si léger!

L’enfance, l’adolescence, les études, le départ pour une grande ville où M-A étudiera l’économie, les flirts et ensuite le sentiment d’avoir trouvé le « bon ». Tout s’accélère ensuite, l’emménagement, l’achat d’une maison, le premier job décroché, les enfants, 1, puis 2 et plus tard, le troisième. Les rachats et restructurations, les licenciements, la retraite et le sentiment d’être vide. Mais aussi l’arrivée des petits-enfants, et la santé qui diminue.

Ce roman, c’est l’histoire du temps qui passe. Il n’y a rien d’autres, juste la vie de cette femme qui défile sous nos yeux, et que l’on découvre avec curiosité, des sourires et une pointe de tristesse, accompagnée de regrets. Car notre M-A a tout pour être heureuse, mais ne le sera jamais totalement. François, son mari, est aimant, compréhensif, cherchera toujours à la satisfaire. Mais M-A rêve de mille choses. C’est une femme très contradictoire, influençable et peu sûre d’elle. Une insatiable aussi. Même si sa vie n’a été qu’une succession de bonheurs, il lui manquera toujours ce « petit quelque chose » qui l’enferme dans une forme de dépression constante. La maternité est très joliment décrite, avec ses merveilleux côtés, mais aussi toutes les émotions contradictoires qu’une maman subit chaque jour.

L’existence de M-A, je l’ai suivie, hypnotisée, malgré quelques longueurs au milieu du récit, sans cesse à cheval entre la compassion et l’énervement. Elle devient malgré tout une femme que l’on a envie de prendre dans ses bras pour la rassurer quand elle en a le plus besoin, de la conseiller lorsqu’un doute s’empare de ses nuits, de la secouer lorsqu’elle est sur le point de tout fiche en l’air. Le parti pris dans le choix de la narration qui est à la deuxième personne du singulier permet d’entrer directement dans la vie de M-A, mais de garder une distance face à ce spectacle qui se déroule sous nos yeux. En ce sens, c’est un procédé original, mais qui ne plaît pas à tout le monde. C’est justement cette créativité que j’apprécie chez l’auteure.

C’est vrai que c’est un roman qui file le bourdon, parce que la vie, ce n’est pas un long fleuve tranquille. On finit par perdre nos parents, des amitiés, des amours interdites, un job. C’est pour cela que j’ai trouvé cette histoire si authentique. Elle est incroyablement maîtrisée, par la plume d’une femme qui n’enjolive pas la réalité, à quoi bon?! Divry brasse des thèmes avec une certaine pudeur comme, outre la maternité, le passage à la ménopause,  la famille, qui est vue ici comme une véritable bouffée d’oxygène, mais aussi comme le début de l’emprisonnement.

Mais en aucun cas, cette figure féminine généralise la condition de la femme – épouse, travailleuse et mère – d’après moi, et contrairement à la façon dont ce livre a pu, à l’époque être présenté. Je me suis retrouvée dans certains passages, mais pas du tout dans d’autres. J’ai eu notamment du mal à comprendre comment M-A pouvait être dans l’ennui constant, tout en ayant un job, des enfants, et une maison à gérer (car à cette époque-là, et dans ce cas précis, son mari ne participe que très peu aux tâches ménagères et ne s’occupe pas des enfants). Dès lors, c’est une lecture qui peut diviser.

Ce que laisse plutôt Sophie Divry à la fin de cette « condition pavillonnaire », à mes yeux, c’est l’importance de tous ces petits instants de bonheur simple, parmi lesquels on puise notre force pour avancer. Que le bonheur ne s’achète pas, et que ce sont eux qui définissent notre existence et nous permettent de nous réveiller en se disant « J’ai encore un beau chemin à parcourir, alors ne tardons pas et allons en profiter! ».

Un livre qui m’a remuée, et que je vous conseille vivement!

Sophie Divry, « La condition pavillonnaire », Editions J’ai lu, 2015, 320 pages.

Sur ses précédents romans : La cote 400Quand le diable sortit de la salle de bain

Ceux que j’ai oubliés!

Il fait un peu désert ici, vous ne trouvez pas?! Et pourtant, ce n’est pas l’inspiration qui me manque, plutôt le temps et l’énergie! Ne vous inquiétez pas, je ne vous oublie pas!

D’ailleurs, j’avais envie de revenir aujourd’hui sur des lectures faites il y a plusieurs mois. Je me demandais si cela était utile de revenir sur elles après autant de temps, mais même de façon brève et condensée, j’ai eu envie de les partager!

Amours / Léonor de Récondo (roman)

51z7+FQRg-LAu sein d’une maison bourgeoise en France, début du 20ème siècle, le couple Boisvaillant tente d’avoir un héritier pour perpétuer le nom. Mais la jeune épouse, Victoire, personnage énigmatique, mal dans sa peau, n’en peut plus des rapports infructueux avec son mari Anselme, un sentiment qui va jusqu’au dégoût. Un jour, la jeune bonne de la maison âgée de seulement 17 ans, Céleste, tombe enceinte, après de multiples viols par son maître. Pour éviter ce scandale qui ferait basculer l’image propre et nette de cette petite famille connue  de tous, et surtout, présenter enfin la progéniture du couple Boisvaillant que tout le monde attend, ceux-ci décideront de le garder et l’élever comme leur propre fils. Céleste peut quant à elle garder son emploi, et voir son bébé grandir auprès d’elle, malheureusement dans l’ombre.

C’est un roman écrit tout en finesse et en poésie, j’ai retrouvé la plume de Pietra Viva. Mais Amours me semble plus abouti (même si, contrairement à Pietra Viva, je n’en fais pas un coup de coeur, bizarrement). Léonor de Récondo explore une palette de sentiments extrêmement forts qui parcourent cette famille, oscillant entre la passion et la colère. L’arrivée de cet enfant va les bouleverser au plus haut point, là où le lecteur ne l’attend pas (s’il fait l’impasse sur la 4ème de couverture en tout cas – ce que je conseille évidement).  Que va-t-il arriver au couple de Boisvaillant qui chavirait déjà, après cette naissance? Comment Céleste arrivera-t-elle a vivre avec son bébé près d’elle, mais dont elle ne peut s’occuper? Il est question d’amour maternel, même s’il est très peu exploré à mon sens. C’est l’amour le plus pur, le plus passionné, unissant deux êtres dont les points communs sont à la hauteur de leurs dissemblances avec le reste de la société qui prime avec ce titre. Un joli cadre également, que l’auteure plante à merveille, comme dans son précédent roman. La confirmation d’une plume délicate, imprégnée de son autre passion qu’est la musique. Il m’a fait penser à « Un roman anglais » de Stéphanie Hochet, qui aborde fort bien aussi ces amours écorchés, avec un rythme qui surprend.

Léonor de Récondo, « Amour », Editions Sabine Wespieser, 2015 (Points, 2016), 276 pages.

Quand le diable sortit de la salle de bain / Sophie Divry (roman)

71ODixQHAVLIl s’agit sans aucun doute du roman le plus surprenant que j’aie pu lire! Sophie Divry avait déjà fait preuve d’un grand sens de l’humour dans « La cote 400 » mais c’est surtout la forme de son texte, au sens propre, qui lui vaut cette grande originalité. Le texte peut prendre la forme d’une croix, d’une flèche ou d’un… (je ne le mentionnerai pas ici!), c’est loufoque. Mais il s’agit évidement d’un exercice à double tranchant, le ridicule n’étant jamais bien loin. Je vous rassure, c’est maîtrisé et ça colle parfaitement au déroulement de l’histoire. Ceci étant, il n’est sans doute pas à la portée de tous, vu le style barré si particulier, mais en ce qui me concerne, j’ai passé un bon moment de lecture! Cette écriture décalée est par ailleurs à contre-courant du thème abordé puisque l’auteure dénonce les maux de notre société actuel à travers l’expérience de la narratrice, qui s’appelle… Sophie! Elle décide un jour de démissionner d’un job alimentaire pour se lancer dans l’écriture de son roman, mais les factures, le loyer, et le peu d’entrées d’argent la font vite déchanter. Cette réalité devenue ces dernières années malheureusement assez commune la conduit à devoir compter le moindre cent pour remplir le besoin le plus vital, se nourrir.

Un roman à double facette alliant gravité et drôlerie. Une critique moderne de notre société, que l’on explore en connaissance de cause à travers les aventures quotidiennes de la sympathique Sophie. Rafraîchissant, décalé, et émouvant.

Sophie Divry, « Quand le diable sortit de la salle de bain », Editions Noir sur Blanc, 2015, 320 pages.

Mauvais genre / Chloé Cruchaudet (BD)

81H53NPELgLCette BD avait été encensée il y a quelques temps par les blogueurs, trouvée à la bibliothèque. La curiosité m’a piquée au vif! Paul et Louise est un couple de jeunes mariés qui doit très vite se séparer afin de laisser Paul aller au front dès le début de la Première guerre mondiale. Mais totalement effrayé par tout ce qu’il voit autour de lui, le jeune homme décide de revenir auprès de sa belle et devient déserteur, ne voulant plus se battre pour sa patrie. Une solution leur semble inévitable pour éviter de vivre caché indéfiniment : le travestissement. Suzanne est née. Mais jusqu’où cette troisième identité grignotera la personnalité de Paul?

L’univers sombre de cette BD est justement maîtrisé, tant au niveau du dessin que du déroulement des faits. C’est en total accord avec la personnalité trouble de Paul. Le suspens est rondement bien mené, puisque la première page s’ouvre sur un procès où Louise est interrogée au sujet d’un meurtre. Le secret est bien gardé jusqu’à la fin. Par ailleurs, le lecteur ne peut être qu’interloqué par le comportement changeant du jeune homme, à l’encontre de sa femme tout d’abord, mais aussi vis à vis de lui-même et de son propre corps. Est-ce sa très courte intervention sur le champ de bataille qui l’a autant perturbé? J’ai passé un moment agréable à parcourir cette histoire, mais elle ne me laisse pas un souvenir impérissable.

Chloé Cruchaudet, « Mauvais genre », Editions Delcourt/Mirages, 2013, 160 pages