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« Tant que mon coeur bat » de Madeline Roth

J’ai vite compris, grâce à son premier roman qui a eu l’effet d’une bombe sur moi, qu’avec Madeline Roth, on ne rigole pas. On joue encore moins avec les sentiments. Et pourtant, les personnages de l’auteure sont malheureux, très malheureux. L’univers n’a en rien changé avec cette seconde publication, que du contraire!

Elle était à mille lieues des histoires que vivaient les filles de son âge. Elle, elle vivait une histoire d’amour. Que dans cette histoire, il y ait des cris, des larmes, elle avait fini par se dire que c’était ça, une histoire d’amour. (p.29)

Deux histoires composent ce bouquin. J’ai du mal à dire qu’il s’agit de nouvelles, puisqu’elles sont toutes deux assez longues finalement. Et tant elles vont dans le détail de la souffrance, tant elles arrivent à nous immerger complètement dans le désarroi des deux figures principales.

Pour Esra, l’amour est fou, passionnel, érotique. Mais il est aussi manipulateur, jaloux et violent. Une rencontre faite par hasard dans un café-cinéma, un joli sourire et de belles paroles. Elle tombe raide amoureuse, jusqu’à s’oublier, s’enfermer à double tour. Dans cette première nouvelle très justement intitulée « Elle une marionnette« , d’autres personnages gravitent autour. Un ami, fidèle et amoureux qui lui veut du bien et qui fera tout pour la sortir de cette impasse. L’espoir est encore possible. Madeline Roth décrit dans cette histoire la personnalité très égocentrique et destructrice du pervers narcissique, qui vide de l’intérieur sa victime.

Peut-on en vouloir à Esra, de s’autodétruire pour un type détestable qui lui fait tourner la tête? Difficile de sortir d’un cercle vicieux. On est presque du ressort de la cure de désintoxication, même quand il s’agit d’amour.

Vous parler d’Esra? Combien d’heures vous avez devant vous? Combien de nuits? Esra, c’est du silence. En tout cas, les mots pour la dire, je ne les ai pas.

Vous connaissez des gens qui ont des tempêtes dans le ventre? (p.12)

Dans la seconde partie, l’auteure va encore un cran au-dessus des dérives de l’amour et nous montre sa part la plus terrible, la plus violente. C’est celle du viol. Laura en a été victime il y a quelques années, sans jamais avoir pu en parler. Dès les premières lignes, on apprend qu’elle n’a pas eu la force de poursuivre sa vie après une telle épreuve. Malgré son titre, « Et grandir maintenant« , cette seconde nouvelle n’évoque pas l’espoir mais plutôt une descente aux enfers. Remarquablement mené, avec des passages très durs mais sans jamais entrer dans le voyeurisme, ce court texte ne laisse pas indemne.

Il y a mon refus, mes larmes et mon silence. Je voudrais lui parler, dans chaque soupir, entre chaque baiser, je voudrais lui dire, laisser couler, laisser les mots les uns après les autres devenir une prière, un salut. (p.63)

Pour celles et ceux qui aiment se divertir avec une chouette histoire d’ados peuvent clairement passer leur tour avec les romans de Madeline Roth. Pour les autres qui apprécient s’aventurer dans la part noire de l’humain seront très certainement ébranlés par ces tristes épisodes de vie. Ce sont des textes percutants pour mettre aussi en garde sur les amours destructeurs qui pourrissent une jeunesse. Le style est très saccadé, les phrases sont coupées. Comme pour marquer une pause, reprendre son souffle. Ou bien pour accentuer l’effet de violence.

L’air de rien, l’auteure met quand même en exergue l’importance de s’entourer des bonnes personnes, pour pouvoir parler, communiquer, sur ce qu’on a sur le cœur. Un message qui s’adresse au jeune lectorat qui sera sans aucun doute sensible, marqué, par ces histoires. L’enjeu véritable est de les sensibiliser sur les premiers amours qui, parfois, font très mal.

Madeline Roth, « Tant que mon coeur bat », Éditions Thierry Magnier, 2016, 94 pages

« Un soir de décembre » de Delphine de Vigan

Ma première lecture de Delphine de Vigan!

Il était temps que je rencontre cette auteure dont tout le monde parle! Et puis, j’ai quand même 3 de ses romans sur mes étagères, l’occasion était là! C’est donc avec son second roman que je découvre cette plume…

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Mathieu, la quarantaine, marié, deux enfants, est rédacteur dans une agence, un boulot sans grandes responsabilités et qui ne l’épanouit pas plus que ça. Un jour, alors qu’il n’avait jamais rien écrit d’autres que des annonces pour son boulot, il se lance, seul, tête baissée, sur une feuille blanche. Son premier roman est un véritable succès, qui lui vaut de nombreux passages dans les médias, des invitations à des événements littéraires, des rencontres et des fans. Les lettres reçues sont nombreuses, il n’y prête que peu d’attention, mais il met un point d’honneur à les lire. L’une d’elles lui fait l’effet d’un électrochoc, bref retour en arrière, des descriptions qu’il connaît, un style à fleur de peau. Il connaît la femme qui vient de lui écrire, mais avait tout fait pour l’oublier. Elle l’a retrouvé, grâce à ce succès naissant. Il s’agit de Sarah, une fille de 15 ans sa cadette, avec qui il a entretenu une relation passionnelle il y a 10 ans. Cette réapparition va le bouleverser au plus haut point.

Ce roman est vraiment intéressant car il aborde deux sujets qui sont ici mis en parallèle : la posture de l’écrivain, sa difficulté à vivre avec les autres alors qu’il se sent seul dans sa bulle, totalement hermétique au monde extérieur, une attitude bien douloureuse pour son entourage d’ailleurs ; et le désir, la passion, si difficile à maîtriser lorsque la vie vous a fait prendre d’autres décisions.

Pour faire cohabiter ces deux thèmes, Delphine de Vigan va enfermer Mathieu, son personne principal, dans une espèce de dépression très violente, où l’écriture est son échappatoire et le seul moyen de tenter de lutter contre ce désir pour Sarah qui resurgit si fortement. Car en 10 ans, il a fondé une famille, et même si les femmes ont toujours été très importantes à ses yeux, il aime sa femme Elise. Mais les souvenirs reviennent, de manière si précise : ce sont des gestes, des paroles, des odeurs, des moments très intimes. Comment ne pas dérouter? Telle est toute la question de ce roman!

Les passages sur l’inspiration de l’écrivain, cette espèce d’hystérie qui s’empare de lui, nuit et jour, sont très bien évoqués et sont assez intéressants. Il devient alors spectateur de sa vie, ne prenant plus goût à rien. Ce qui se transforme finalement en obsession, grignote petit à petit sa vie et tout ce qu’il a construit jusqu’alors.

Il s’échappe de ces passages tout un tas d’émotions, positives et négatives qui m’ont plongée, du coup, dans une bulle, avec une ambiance limite oppressante. Je pense que c’est cette atmosphère que je retiendrai de cette lecture, qui est particulièrement bien rendue.

Un soir d’hiver, il avait sorti d’un tiroir un cahier à spirale et l’avait posé devant lui, comme on décide de vider un placard ou de trier de vieux vêtements. (p.27)

L’évocation du désir est également merveilleuse, pleine de sensualité. Delphine de Vigan parle de l’intime, du caché, sans barrières, avec la pointe de violence qui est à la frontière de toute passion.

Ce n’est pas très joyeux, car dans toutes situations similaires, il y a des blessés. Mais c’est un très beau roman qui vous traverse, grâce à toutes ces d’émotions contradictoires omniprésentes dans le livre.

Delphine de Vigan, « Un soir de décembre », Editions JC Lattès, 2005 (Pocket, 2007), 195 pages

« Un homme accidentel » de Philippe Besson

Dans ce roman, le narrateur, dont on ne connaîtra ni le prénom ni le nom, est inspecteur de police à Los Angeles. Trentenaire, il vit une existence rangée : marié à Laura, ils attendent leur premier enfant, évidement avec beaucoup d’impatience, dans l’amour et la bienveillance. Lors d’une garde de nuit tout à fait ordinaire, il est appelé sur les lieux d’un meurtre où on a retrouvé le corps d’un jeune prostitué, Billy Greenfield. L’enquête commence et elle le mettra sur le chemin d’une jeune star de cinéma, Jack Bell (note de moi-même: une personnalité que je comparerais tout le long de la lecture à James Dean, dans sa description, et en lien avec l’un des derniers roman de Besson). Ce nom dit vaguement quelque chose aux enquêteurs, plus souvent croisé dans les tabloïds que pour son palmarès. Ce qui les retient surtout est qu’il figure dans le carnet de la victime retrouvé sur son corps, où était noté un rendez-vous précédant son meurtre. Le premier interrogatoire débute et sans le préméditer, aura des conséquence sur le reste de l’existence du policier et du suspect principal.

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Le narrateur revient sur cette histoire 1 an après les faits et la partage comme une confession. Il dévoile le déroulement des choses comme lors d’un interrogatoire, mais avec toute la peine qu’elles soulèvent encore en lui. Oui, cette rencontre aura été bouleversante pour lui.  C’est un peu comme au jeu du chat et de la souris que le policier dévoile cette période de sa vie, avec le lecteur.

A l’instant précis de notre rencontre, je veux dire: lorsqu’il a été là, devant moi, dans le matin du monde, avec sa beauté fracassante et ensommeillée, et son air de survivant, il ne s’est produit aucun déclic, je le jure. (p.65)

Cet homme est émouvant, et terriblement affecté par toute une série de choses : les conséquences de cette histoire sur son entourage, et surtout, la perte de l’être aimé. Car il s’agit bien d’amour, homosexuel, qui est au cœur de ce roman de Besson. Ces deux personnes vont tomber littéralement dans les bras l’une de l’autre. La température grimpe, au même niveau que l’est ce désir enfuit depuis toujours. Et surtout, ce qui saute aux yeux, c’est l’évidence de tomber sur la bonne personne, celle qui transforme à jamais l’autre. Rien n’était prémédité, c’est tombé sur eux à ce moment-là : c’est là que l’on peut voir tout le côté tragique et beau de la rencontre. Car les obstacles entre ces deux-là sont bien présents, celui de l’enquête avant tout, de la position de chacun d’eux, et puis dans le cadre de leur vie sociale, c’est évidement un événement qui doit être étouffé. Dès les premières phrases, le lecteur sait que l’issue de cette histoire d’amour est malheureuse.

Cette relation clandestine suscite de vives émotions auprès du lecteur. Elle émeut, avec ces sentiments si forts qui s’installent à une vitesse extraordinaire, autant qu’elle retourne, de par les détails de scènes intimes et passionnées. Philippe Besson joue la carte de la franchise et de l’authenticité en passant au-dessus des tabous. L’histoire se déroule au début des années 90, période où l’homosexualité n’est pas totalement rendue publique, ou du moins, beaucoup moins que de nos jours. Cette relation surprend surtout parce que ces deux hommes n’étaient jamais censés se rencontrer, et que chacun d’eux avait avant cela une vie plutôt cadrée. Et c’est ça qui est beau! Le destin, le hasard, qu’importe la façon dont on nomme cette opportunité, met ainsi sur une même route des êtres qui doivent se rencontrer.

Notre histoire échappait à la rationalité, au calcul. Elle n’était pas le produit d’une stratégie, le résultat d’une manœuvre. C’était une vérité posée là, indiscutable, irréductible. Une passion comme celle-là, incandescente, effrayante, était inconciliable avec la froideur, la détermination. Absolument incompatible avec une quelconque préméditation. (p.181)

Le roman ne se focalise donc pas sur l’enquête du meurtre de Billy Greenfield, « l’homme accidentel » qui remuera deux destins. Et une fois encore, Besson exprime les sentiments, quels qu’ils soient, d’une façon si naturelle et limpide. Tout est dit sans filtre, c’est osé, au risque de secouer. « L’homme accidentel » est prenant et se lit avec la même urgence à laquelle sont confrontés les personnages principaux. On en ressort retourné, ébranlé, le souffle court.

Philiie Besson, « Un homme accidentel », Editions Julliard, 2008 (10/18, 2009), 244 pages