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Foire du Livre de Bruxelles 2018

Me voici avec les photos de la journée de samedi que j’ai donc passée à Tour & Taxis à Bruxelles aux côtés de mon amoureux, vachement sceptique sur ce qui l’attendait (je vous passe les grnon – gnnn – pfiouu – rhooo).

Cette année, et je ne sais pour quelle raison en particulier, j’ai trouvé que le temps a filé à une allure incontrôlable. Je n’ai pas eu le temps de flâner de stand en stand, comme les précédentes éditions. Malgré cela, je suis passée en tout premier sur le stand des  éditions jeunesse et belges A pas de loups que j’apprécie énormément. L’occasion de rencontre Françoise Rogier, et de faire dédicacer son dernier album « Rose cochon« . J’ai eu affaire à une dame souriante, aimable, qui prend le temps de parler de ses loups et ses cochons, qui sont toujours au centre de ses productions. Un joli dessin et un petit mot sympa qui ont ravi mon fiston, lui qui adore les titres de cette artiste belge.

A 14h précises, j’attendais fébrilement mon chouchou, mon adoré, Philippe Besson pour faire dédicacer le merveilleux « Arrête avec tes mensonges ». C’est là que m’a rejoint mon amie et comparse Fanny des Pages versicolores, elle aussi très fan de l’auteur. Elle avait un petit présent sous le bras pour moi : le dernier roman d’Annelise Heurtier, dédicacé jeudi ❤ Ce moment a été un véritable enchantement. J’ai découvert un homme accessible, sympa, qui aime discuter avec ses fans, qui prend le temps avec chacun d’eux.. au final, qui prend beaucoup de plaisir à les rencontrer. J’ai eu droit à ma photo pour immortaliser ce doux et beau moment qui faisait déjà la grande réussite de ma journée.

Petit détour par la table de grandes dames de la jeunesse pour un joli cadeau : Jeanne Ashbé et Kitty Crowther.

Un autre rendez-vous m’attendait peu de temps après, c’était une conférence sur le Prix Fintro, qui récompense un premier roman polar et belge. Les lauréats de la première édition, et Michel Dufranne, chroniqueur littéraire, ont surtout parlé des différentes étapes pour présenter son premier roman.

Après cette « pause », on s’est rendu avec Fanny et toujours l’amoureux (qui finalement, prenais un peu plus son pied!) sur le stand de Québec édition où nous attendait la grande et charmante Maud, la libraire de Marie-claude (Hop sous la couette). Après avoir échangé paquet et petits cadeaux pour notre amie, nous avons parlé littérature, romans québécois, de Marie-Claude (oui oui 🙂 ). Maud est une passionnée, une fille qu’on a écouterait pendant des heures tellement elle connaît son job et aime partager sa passion. Sous le bras, je suis sortie de là avec 3 romans québécois, des petites perles conseillées par notre hôte montréalaise. J’ai également papoté avec Billy Robinson, avec qui j’avais déjà eu des échanges sur Instagram. Ce sont des personnes chaleureuses, passionnées, qui aiment parlent de leur pays (euh, province?!). Je suis ravie d’apprendre que certaines éditions québécoises, entre autre La Peuplade, seront diffusées en Europe!

Fanny était déjà sur le départ – mais enfin, c’est quoi cette journée que je ne vois pas passer!?! – on ralentit un peu la cadence avec mon homme, et on se dirige vers le dernier rendez-vous de la journée. C’est Jérôme Colin, homme de radio et écrivain belge, qui sort son deuxième roman « Le champ de bataille« , qui clôture cette après-midi de folie.

Ce que je retiens de cette journée : trop trop de monde – un aller-retour express à Québéc qui va se poursuivre en lectures dans les mois à venir – un beau et doux moment avec Philippe Besson – des retrouvailles avec Fanny, Amandine, Anne – un joli cadeau pour mon petit loulou avec une chouette dédicace – un carte bancaire qui a (un peu) brûlé – une pile qui rejoint une grande pile à la maison.

Les achats du jour

Les prêts/cadeaux/échanges

Le mot de la fin, je le dois à mon homme qui a tellement apprécié les rencontres avec les auteurs et nos amis québécois, compte se mettre à la lecture dès le lendemain! Oui, le même qui était si sceptique le samedi matin! C’est ça la magie des livres 🙂

Rendez-vous l’année prochaine pour fêter les 50 ans de la Foire du Livre de Bruxelles!

« Corps sonores » de Julie Maroh

Y’a pas une seule boîte magique dans laquelle tout le monde peut piocher son bonheur. (p.90)

C’est avec beaucoup de curiosité et d’enthousiasme que j’ai parcouru ce nouvel album de Julie Maroh paru en 2017, après mon coup de coeur pour son premier titre « Le bleu est une couleur chaude« .

« Corps sonores », c’est un condensé de vies, de chemins, de parcours. Avant tout, Julie Maroh a voulu rendre un hommage émouvant à toutes ces formes d’amour qui existent. Et je ne parle pas des couples « standards » auxquels on pense en premier lieu (tiens, tiens, on reparle de « standards » :D). Homosexuels, bisexuels, trans, androgynes, couple à trois… l’auteure met en lumière toute une série de rencontres qui sortent de l’ordinaire. Parce que ces amoureuses et ces amoureux ont, eux aussi, le droit de dévoiler leur identité et leurs différentes affections. Elle introduit d’ailleurs son ouvrage avec cette petite mise au point, et quelques mots d’une très belle chanson de Barbara. Quelle entrée en matière!

Contrairement à la BD « Le bleu est une couleur chaude », qui parlait aussi d’une relation amoureuse homo et de la quête d’identité sexuelle, le style est ici plus sombre et plus direct. Il y manquait, à mon sens et pour certaines planches, de filtres. Sans doute que ce procédé a été utilisé pour mieux marquer les esprits.  Ceci étant, il s’agit d’un bel objet avant tout, où l’uniformité est totale avec les tons gris bleutés employés pour chacune des pages. Dans ces histoires, on y pleure, on y crie, on y voit l’espoir aussi, on y trouve l’amour.

Une quinzaine de portraits s’enchaînent donc. Parfois, seules quelques pages permettent de mettre le doigt sur une blessure profonde, ou encore une rencontre qui bouleverse tout. Qu’il soit question de retrouvailles ou de ruptures, ces planches sont bouleversantes et marquantes. Je n’ai pas adhéré à l’ensemble des histoires, mais j’ai apprécié le projet dans son ensemble.

Évoquer tous ces « Corps sonores » est une juste preuve de tolérance et d’ouverture. Des expériences, mais aussi des dessins, que l’on ne croise pas à chaque coin de libriairie, et j’ai beaucoup aimé être bousculée de cette façon ! Je tiens également à souligner la finesse, même dans les dessins les plus explicites, avec laquelle Julie Maroh décrit les sentiments humains.

Julie Maroh, « Corps sonores », Éditions Glénat, 2017, 300 pages

Je rempile donc pour une nouvelle année riche en BD, aux côtés de noukette cette semaine!

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« Nos âmes la nuit » de Kent Haruf

Dans un quartier paisible de la petite ville de Holt, Addie, septuagénaire, se rend chez son voisin Louis lui faire une proposition pour le moins inattendue. Ils sont tous les deux veufs depuis longtemps et leurs échanges jusque là étaient courtois mais plutôt limités. Raison pour laquelle la surprise de Louis est de taille, lorsque la dame lui demande de passer la nuit chez elle de temps en temps, juste pour briser cette solitude qui lui pèse de plus en plus.

Je parle de passer le cap des nuits. Et d’être allongés allongés au chaud sous les draps, de manière complice. D’être allongés sous les draps ensemble et que vous restiez la nuit. Le pire, ce sont les nuits. Vous ne trouvez pas? (p.11)

Elle ne demande aucun engagement, il n’y a rien de sexuel dans sa requête. Juste le plaisir de partager son lit avec une autre personne, de discuter des petits riens de la vie, de se sentir accompagné. Une complicité se crée très vite entre les deux. Ils se replongent dans les souvenirs principalement avec leur famille, leurs enfants, reviennent sur leur parcours, la rencontre avec leur époux/épouse. Ils énumèrent également leurs regrets et les tragédies qu’ils ont dû traverser.

Mais cette relation peu conventionnelle, qui concerne en plus deux personnes d’un certain âge, fait très vite parler d’elle. Addie et Louis seront chacun confrontés au regard des autres, mais ce qui les touche le plus est la désapprobation unanime et bilatérale de leurs enfants. Est-ce que cela compromettra cette nouvelle union qui les rend très heureux tous les deux?

Voici un roman que j’avais très envie de lire! J’en avais entendu beaucoup de bien, et Kent Haruf est un des très nombreux auteurs américains que j’avais envie de découvrir. J’ai été complètement séduite par le spitch de cette histoire, et surtout par l’ambiance si douce qui s’en dégage. Le roman se présente sous forme de courtes scènes qu’on saisit tels de délicats instants de vie, des petits moments remplis de tendresse qui m’ont fait succomber au charme certain de Kent Haruf.

L’écriture est d’une simplicité incontestable, mais il n’en fallait pas plus pour présenter cette jolie histoire d’amitié/amour entre Addie et Louis.

Bien sûr, j’ai beaucoup aimé le message véhiculé : passer au-dessus du « qu’en dira-t-on » et vivre simplement une aventure dont on ne sait estimer la durée, mais dont on ne perd aucune miette. C’est une histoire qui fait du bien, vraiment. Un seul élément m’a un tout petit peu chiffonnée, mais ce serait spoiler l’histoire que de le partager à travers ce billet. J’ai déjà eu l’occasion d’en discuter en aparté avec d’autres lectrices.

Un roman assez sage, mais qui remplit entièrement son rôle. Celui de nous faire passer un très beau moment, de nous déconnecter de la réalité parfois plus morose, de nous émouvoir aussi. L’ambiance calfeutrée est présente tout au long du roman, elle ne connaît aucune baisse de régime. Une régularité assez appréciable et surtout qui évite de tomber dans l’ennui. Une bien jolie découverte qui m’encourage à lire d’autres romans du même auteur.

C’est l’éternelle histoire de deux êtres qui avancent à l’aveugle et se cognent sans arrêt l’un contre l’autre en cherchant à se conformer à de vieilles idées, de vieux rêves et à des notions erronées. Sauf que je continue à dire que ce n’est pas vrai pour toi et moi. Pas à l’heure qu’il est, pas aujourd’hui. (p.124)

Kent Haruf, « Nos âmes la nuit », traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anouk Neuhoff, Éditions Robert Lafont collection Pavillons, 2016, 180 pages

« Le Garçon » de Marcus Malte

Ils ont été nombreux les billets, et les éloges, à propos de ce roman! Aussi, ce n’est pas le mien qui apportera quelque chose de nouveau. Tout ce que je peux partager, c’est à quel point j’ai aimé ce roman. A quel point il m’a hypnotisée durant ces jours, ces semaines de lecture. Et en plus, ce fut un plaisir partagé avec mon amie Fanny dont vous pouvez lire le billet ici. Un coup de cœur pour nous deux! Peut-il en être autrement avec un tel texte?

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On ne sait rien sur ce garçon. Ni son âge, ni son origine, ni où il habite. De fait, il ne parle pas. Rien, pas un mot, pas un son. Au début du livre, on est en 1908, c’est une scène renversante qui embarque immédiatement le lecteur : le garçon en train de porter sur son dos sa mère agonisante vers un lieu où elle se reposera pour l’éternité. Entre eux, une relation complexe, avec des mots à sens unique. Lorsqu’elle s’éteint, le garçon est livré à lui même. Il marche, des jours, des nuits, part à la conquête de quelque chose (un signe, une rencontre?). Cette première partie m’a fortement fait penser au dernier roman de Sylvie Germain « A la table des hommes ». A la différence que le roman de Marcus Malte se démarque largement, avis tout à fait personnel, pour la beauté et la puissance de son écriture. On sait d’emblée que le bout de chemin qu’on entreprend avec le garçon va nous bouleverser. Les détails, qui ont une grande place, si minutieusement éparpillés par l’auteur, des odeurs, des sons, des coups d’œil furtifs, m’ont embarquée : ce que lisais, je le voyais, je le ressentais.

Ce livre, qui nous présente quelques dizaines d’années de la vie du garçon, est une succession de rencontres qu’il fera et sur lesquelles il s’appuiera pour découvrir le monde dans lequel il vit, bien malgré lui. Évidemment le fait qu’il soit dépourvu de la parole lui permet d’avoir ses autres sens accentués. Mais ce manque lui offre autre chose : un regard un peu naïf mais extrêmement lucide sur ce qui nous entoure et nous détermine toutes et tous : un environnement, des relations, la hiérarchie entre les Hommes. Un ressenti intérieur qui est transmis avec beaucoup de poésie et qui touche énormément.

Les rencontres qu’il fait, ce sont des familles rassemblées au beau milieu d’une forêt et qui vivent reclus. C’est l’Ogre des Carpates qui en a tellement bavé et qui enseigne à son jeune protégé la philosophie de la vie. C’est Emma et son papa, rencontrés suite à un accident de la route. Et quelle rencontre… Emma est certainement le personnage le plus éblouissant et le plus incroyable de ce roman! Entre eux, c’est une complicité et des émotions folles qui les uniront durant des années. Grâce à elle, il est né une seconde fois : elle lui donne un nom, un statut, une maison. Elle lui enseignera aussi l’amour de l’art à travers la musique, le piano et la littérature.

Un soir, avant de s’endormir, et sans rire cette fois, elle se dit que la vie ne vaut que par l’amour et par l’art. (p.225)

Après vient l’horreur de la Grande Guerre 14-18 pour laquelle le garçon n’a d’autre choix que de se battre. Marcus Malte bascule dans les détails de l’horreur, mais toujours servis par une plume fabuleuse.

Ce roman, c’est un enchantement de la première à la dernière page, se situant entre la fable douce-amère et le roman d’apprentissage. Un texte passionnant et riche, qui nous force à nous interroger sur notre propre condition. Des émotions multiples qui donnent des papillons dans le ventre, ou plutôt qui tordent l’estomac.

Bien sûr, un tel personnage ne peut que devenir fantasme. Le garçon sans voix dont l’empreinte est, par ailleurs, si grande. Un grand roman qui se hisse dans le top de mes livres préférés.

Et des passages à lire et à relire…

« Et de grâce faites que le mystère perdure. L’indéchiffrable et l’indicible. Que nul ne sache jamais d’où provient l’émotion qui nous étreint devant la beauté d’un chant, d’un récit, d’un vers. » (p. 99)

« La vie a au moins ceci de bien c’est qu’elle déborde quelquefois de son lit. » (p.159)

Marcus Malte, « Le Garçon », Editions Zulma, 2016, 544 pages

(Prix Femina 2016)

« Un homme accidentel » de Philippe Besson

Dans ce roman, le narrateur, dont on ne connaîtra ni le prénom ni le nom, est inspecteur de police à Los Angeles. Trentenaire, il vit une existence rangée : marié à Laura, ils attendent leur premier enfant, évidement avec beaucoup d’impatience, dans l’amour et la bienveillance. Lors d’une garde de nuit tout à fait ordinaire, il est appelé sur les lieux d’un meurtre où on a retrouvé le corps d’un jeune prostitué, Billy Greenfield. L’enquête commence et elle le mettra sur le chemin d’une jeune star de cinéma, Jack Bell (note de moi-même: une personnalité que je comparerais tout le long de la lecture à James Dean, dans sa description, et en lien avec l’un des derniers roman de Besson). Ce nom dit vaguement quelque chose aux enquêteurs, plus souvent croisé dans les tabloïds que pour son palmarès. Ce qui les retient surtout est qu’il figure dans le carnet de la victime retrouvé sur son corps, où était noté un rendez-vous précédant son meurtre. Le premier interrogatoire débute et sans le préméditer, aura des conséquence sur le reste de l’existence du policier et du suspect principal.

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Le narrateur revient sur cette histoire 1 an après les faits et la partage comme une confession. Il dévoile le déroulement des choses comme lors d’un interrogatoire, mais avec toute la peine qu’elles soulèvent encore en lui. Oui, cette rencontre aura été bouleversante pour lui.  C’est un peu comme au jeu du chat et de la souris que le policier dévoile cette période de sa vie, avec le lecteur.

A l’instant précis de notre rencontre, je veux dire: lorsqu’il a été là, devant moi, dans le matin du monde, avec sa beauté fracassante et ensommeillée, et son air de survivant, il ne s’est produit aucun déclic, je le jure. (p.65)

Cet homme est émouvant, et terriblement affecté par toute une série de choses : les conséquences de cette histoire sur son entourage, et surtout, la perte de l’être aimé. Car il s’agit bien d’amour, homosexuel, qui est au cœur de ce roman de Besson. Ces deux personnes vont tomber littéralement dans les bras l’une de l’autre. La température grimpe, au même niveau que l’est ce désir enfuit depuis toujours. Et surtout, ce qui saute aux yeux, c’est l’évidence de tomber sur la bonne personne, celle qui transforme à jamais l’autre. Rien n’était prémédité, c’est tombé sur eux à ce moment-là : c’est là que l’on peut voir tout le côté tragique et beau de la rencontre. Car les obstacles entre ces deux-là sont bien présents, celui de l’enquête avant tout, de la position de chacun d’eux, et puis dans le cadre de leur vie sociale, c’est évidement un événement qui doit être étouffé. Dès les premières phrases, le lecteur sait que l’issue de cette histoire d’amour est malheureuse.

Cette relation clandestine suscite de vives émotions auprès du lecteur. Elle émeut, avec ces sentiments si forts qui s’installent à une vitesse extraordinaire, autant qu’elle retourne, de par les détails de scènes intimes et passionnées. Philippe Besson joue la carte de la franchise et de l’authenticité en passant au-dessus des tabous. L’histoire se déroule au début des années 90, période où l’homosexualité n’est pas totalement rendue publique, ou du moins, beaucoup moins que de nos jours. Cette relation surprend surtout parce que ces deux hommes n’étaient jamais censés se rencontrer, et que chacun d’eux avait avant cela une vie plutôt cadrée. Et c’est ça qui est beau! Le destin, le hasard, qu’importe la façon dont on nomme cette opportunité, met ainsi sur une même route des êtres qui doivent se rencontrer.

Notre histoire échappait à la rationalité, au calcul. Elle n’était pas le produit d’une stratégie, le résultat d’une manœuvre. C’était une vérité posée là, indiscutable, irréductible. Une passion comme celle-là, incandescente, effrayante, était inconciliable avec la froideur, la détermination. Absolument incompatible avec une quelconque préméditation. (p.181)

Le roman ne se focalise donc pas sur l’enquête du meurtre de Billy Greenfield, « l’homme accidentel » qui remuera deux destins. Et une fois encore, Besson exprime les sentiments, quels qu’ils soient, d’une façon si naturelle et limpide. Tout est dit sans filtre, c’est osé, au risque de secouer. « L’homme accidentel » est prenant et se lit avec la même urgence à laquelle sont confrontés les personnages principaux. On en ressort retourné, ébranlé, le souffle court.

Philiie Besson, « Un homme accidentel », Editions Julliard, 2008 (10/18, 2009), 244 pages

« Les règles d’usage » de Joyce Maynard

Presque 15 ans jour pour jour, Joyce Maynard revient sur la plus grosse tragédie perpétrée sur le territoire américain. Les attentats du 11 septembre, ce sont plus de 3.000 victimes, et un visage en particulier : celui de la maman de Wendy, l’héroïne de ce roman, seulement âgée de 13 ans. Son monde s’écroule, ainsi que celui de Josh son beau-père et de son petit frère Louie, 3 ans. Au fur et à mesure que les jours passent, l’évidence apparaît, qu’ils ne peuvent évidemment envisager. Le père biologique de Wendy, Garret, décide alors de la reprendre chez lui en Californie. Un père absent durant toutes ces années, et qui tout d’un coup s’empare d’un rôle qu’il a du mal à apprivoiser. S’ajoutent à cette douloureuse épreuve, les doutes et interrogations que traversent les adolescents, les métamorphoses corporelles, tout cela si justement décrit par l’auteure (inspirée par ses enfants ados, dit-elle en début de livre). Loin de tout, Wendy réapprendra les « règles d’usage », manger, étudier, dormir… vivre. La musique et la littérature sont vus ici comme des pansements, des guides qui lui permettront d’avancer. Deux arts parmi lesquels elle enfuit son esprit pour y piocher tout ce qui pourra lui servir à sa propre évolution. Nombre de références ponctuent ce parcours et qui participent à la richesse du roman.livre_galerie_311

New-York n’existait plus, ni cette montagne de gravats haute de deux kilomètres, ni les avis de recherches placardés dans le métro, ni même Josh penché sur les albums de photos, ni Louie scotché devant la télévision qui n’était même plus allumée, ni le poids qui lui pesait sur la poitrine à la seule pensée de sa mère. La musique occupait tout son esprit, et pas seulement son esprit, mais son corps. Tout le reste avant peut-être changé, mais pas la musique. (pp.446-447)

Pour cette rentrée 2016, Joyce Maynard signe un roman délicat, dont j’ai sous-estimé la puissance émotionnelle – ce qui est loin d’être sa faute, je ne suis pas fan des histoires d’ados. Ce qui fait, à mes yeux, la réussite de ce nouveau titre est qu’elle arrive à rendre cette histoire lumineuse et optimiste, sur fond de tragédie et de la perte immense qu’est le décès d’un parent. On assiste à la lente mais sérieuse reconstruction de Wendy, cette fillette qui vient non seulement de perdre sa maman et qui doit, en plus, composer avec ce papa qu’elle ne connaît pas, dans un environnement qui lui est également totalement étranger.

Fait de nombreux retours en arrière, constitués de souvenirs que Wendy se remémore de sa maman, mais aussi avec Josh et son petit frère Louie, ce roman parle aussi de ces paroles qu’on a un jour eues envers des êtres chers, qui resteront gravées à jamais parce qu’on n’aura plus de seconde chance pour les rattraper. Maynard évoque ainsi douloureusement les regrets d’une gamine envers sa maman disparue, tout ce qu’elles ne pourront pas vivre ensemble, dont le poids l’enferme dans une carapace difficilement pénétrable.

Seuls le temps, et les rencontres, lui permettront de s’ouvrir à nouveau à ce monde qui n’est finalement pas si sombre que le laisse entendre l’actualité.

La vie était beaucoup plus simple avant, hein? dit Amelia. Tout est devenu trop compliqué.

Elle a probablement été toujours compliquée, répliqua Wendy. On ne le savait pas, c’est tout. (p.399)

Wendy est très émouvante, ainsi que tous ces seconds personnages qui l’entourent et qui ne lui veulent que du bien. Elle est dotée d’une impressionnante maturité et se servira au fil des mois de toutes ces nouvelles situations qu’elle vit, et qui sont à l’opposée de sa vie à New-York, pour sortir encore plus grande et incroyablement forte de ce deuil. J’ai également beaucoup aimé le personnage de Carolyn, la belle-mère de Wendy, cette femme un peu « à part », qui aime les cactus comme ses enfants et lit les lignes de la main, qui cherche timidement à s’approcher de Wendy pour lui offrir la présence féminine si importante pour une adolescente.

Ce sont des personnages qu’on a du mal à quitter, tellement on se sent bien parmi eux. A eux tous, se crée une force, une énergie, qui permet à chacun d’avancer dans ses propres tourments.

Un merveilleux roman sur la résilience, l’amour – fraternel, familial, amical – et la beauté des rencontres. Du grand et émouvant Joyce Maynard! Il sort ce 1er septembre.

Après « L’homme de la montagne« , et « Long week-end« , « Les règles d’usage » est clairement mon préféré.

Merci aux éditions Philippe Rey de m’avoir permis de lire ce roman en avant-première!

Joyce Maynard, « Les règles d’usage », (traduit par Isabelle D. Philippe), Editions Philippe Rey, 2016 (édité aux Etats-unis en 2003), 472 pages. 

« Les passants de Lisbonne » de Philippe Besson

C’est un gros coup de cœur que j’éprouve pour Philippe Besson depuis ma lecture de « Vivre vite » l’an passé. Quand j’ai appris qu’il sortait un nouveau roman, tout juste un an après ce dernier titre, je n’ai pas hésité une seule seconde à me le procurer!

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Dans « Les passants de Lisbonne », Besson force le destin de deux personnes en provoquant leur rencontre, totalement inattendue, dans un hôtel de la capitale portugaise. Cela ne ressemble pas tout à fait à des vacances, ces deux personnes ont décidé de partir, de fuir leur quotidien en France. De tenter de se ressourcer ailleurs, loin de ce qui les rattache à la réalité. Dans cet hôtel, Mathieu décide d’aborder Hélène, qu’il a déjà croisé plusieurs fois. Quelque chose en elle l’interpelle, est-ce sa maigreur? son visage fermé? sa solitude? Très vite, ce qui les lie leur saute aux yeux : la disparition de l’être aimé. Elle, vient tout récemment de perdre son mari dans d’affreuses circonstances. Elle a même assisté à sa disparition face à son écran de télévision : Vincent compte parmi les nombreuses victimes du tremblement de terre qui a touché San Francisco quelques mois auparavant. Quant à Mathieu, un fait qui peut paraître bien banal face à cette tragédie, mais qui le ronge profondément. La rupture après 5 années de vie commune, sans l’avoir vu venir. Tous deux vont partager au fil des pages cette douleur commune, ils vont parler de leurs disparus. Ceux sans qui leur vie n’a plus la même saveur, sans qui ils se sentent désormais des échoués, des passants. A bien des égards, les points communs se dessinent. Tout d’abord, le poids de cette solitude, le sentiment de ne plus avoir personne dans sa vie, la perte de repères, de buts. Mais chacun réagit néanmoins à sa façon dans ce deuil qu’ils doivent traverser. Hélène, qui semble si digne depuis la catastrophe naturelle, est assommée au fur et à mesure que les nouvelles tombent. Le décès n’est pas prononcé, aucun corps ne lui est restitué, aucune preuve de cette insoutenable absence. Sans ça, le deuil ne peut se faire. Elle vit donc dans une bulle parallèle à la vie réelle, qu’elle apparente à un coma. Mathieu, par contre, a décidé de s’ouvrir au monde de la nuit et des rencontres éphémères, mais qui ne remplacent aucunement le bonheur perdu.

Il y a des degrés dans la souffrance, mais pas de concurrence entre les souffrance. (p.62)

Philippe Besson soulève des questions bien difficiles autour du sujet tabou qu’est la mort. Il l’évoque ici à travers un tremblement de terre et un tsunami, en abordant la victime individuelle, en évitant de l’englober dans les bilans très (trop) généraux transmis par la presse. Cette disparition, c’est arrivé à Hélène, elle qui était en France et son mari aux Etats-Unis, et il présente le chemin qu’elle devra parcourir pour se reconstruire.

Il évoque le deuil de façon si limpide. Et le compare à une rupture amoureuse. Le thème commun de cette rencontre est la disparition de l’être aimé, qu’importent les circonstances. La douleur est identique, ainsi que l’issue pour ceux qui restent. La relation qui lie ainsi Mathieu et Hélène ne repose que là-dessus, mais il y a des rencontres du hasard qui apportent bien plus que tout ce que l’on peut trouver auprès de son entourage. Ces deux personnes parleront, s’ouvriront, laisseront échapper ce qui leur font si mal. Pour avancer.

C’est un roman magnifique. Pouvoir aborder ce sujet, sans que cela ne soit déprimant, est un tour de force. Philippe Besson décrit l’intime de façon sublime, en toute simplicité, tout en donnant du sens à toutes ces interrogations qui peuvent détruire une victime. J’ai été totalement emportée par ce tête à tête improbable, délicat, qui ne tient qu’à un fil, celui de la sincérité et du laissez-aller.

Philippe Besson, « Les passants de Lisbonne », Editions Julliart, 2016, 192 pages.