Ce roman s’ouvre tout en émotion sur une naissance, celle du petit Hector, fruit d’un amour compliqué entre César et Paz. C’est son père qui s’adresse à lui, aujourd’hui âgé de 4 ans, et à qui il dédie son récit. A travers ses souvenirs, César souhaite lui dévoiler toute la vérité sur cette relation tumultueuse avec sa mère, les vagues par lesquelles ils sont passés durant tant d’années, ce qui la fait chavirer et sa dramatique fin. On apprend en effet dès le départ que Paz a été retrouvée morte, seule sur une plage, bien loin de Paris.
Dans un style élégant et épuré, les émotions transmises sont à double tranchant et remuent. Christophe Ono-dit-Biot démontre d’emblée une maîtrise indiscutable de la langue française. L’auteur est journaliste et directeur adjoint de l’hebdomadaire Le Point, un des nombreux points communs qui le lie à son personnage principal.
L’histoire de César et de Paz commence sur un coup de foudre, non-réciproque. L’homme proche de la quarantaine succombe à la beauté et à la fougue de la jeune espagnole dès le premier regard, un soir, dans une épicerie parisienne. Après quelques recherches au sein de son organe de presse dénommé l’Entreprise, le journaliste retrouve sa belle inconnue à l’occasion du vernissage de quelques-unes de ses photos. Paz immortalise les plages, en mettant en évidence le genre humain dans sa souffrance, sa mélancolie, sa noirceur. Ce n’est pas du tout ce que comprend le chroniqueur qui, pour la toucher, rédigera un papier enthousiaste mais à l’opposé du message voulu. C’est à partir de ce malentendu que les deux ne se quitteront plus, mais qui vivront au rythme de nombreux débats et incompréhensions, mais aussi de grands moments de bonheur.
Après la passion du début viennent des réflexions plus profondes sur l’avenir, la possibilité de fonder un projet commun basé sur des envies similaires. C’est aussi la période où Paz est en pleine ascension professionnelle (l’article aux antipodes de ce qu’elle voulait transmettre, lui fera néanmoins un bon coup de pub).
C’est une histoire résolument moderne, très influencée par un monde tourmenté et en pleine révolution. D’un côté, César a déjà pas mal baroudé au cours de sa carrière. Il veut aujourd’hui se poser, fonder une famille, et rester dans cette Vieille Europe qui le sécurise. Ses propos, qui traduisent un repli sur soi et une peur liée à la crise économique, le terrorisme et la montée des pays émergents, sont terrifiants de vérité. Il m’a touchée, malgré un discours que j’ai trouvé parfois extrême et fermé. D’un autre côté, Paz est curieuse, est à la recherche de modernité et étouffe dans ce continent qui, selon elle, vit de par son passé. Des différences tranchantes qui finissent par consumer complètement leurs sentiments, le jour où Paz part, laissant César et leur petit Hector en France.
A l’heure actuelle, où l’on ne fait plus qu’effleurer les choses, où la course et la brièveté dominent, un amour est-il encore viable? Telle est la grande question de ce roman.
Je l’ai beaucoup aimé. J’y ai plongé, pour ne remonter à la surface que pour reprendre de l’air et réfléchir. La belle écriture de Christophe Ono-dit-Biot et l’art d’enchaîner les événements, en laissant partir les maux au fil des pages, m’ont emportée, de même que les superbes images me venant des voyages réalisés par le couple aux quatre coins de l’Europe.
Il ne s’agit pas seulement d’une histoire d’amour. L’art traverse le livre, ouvrant des débats sur l’inspiration de l’artiste, sa posture face au monde critique, mais aussi de nombreuses observations laissées par le narrateur au gré de ses visites dans les musées qu’il apprécie tant. Des analyses parfois un peu longues d’ailleurs à mon goût. C’est aussi un regard cynique, limite blasé, sur la classe mondaine parisienne, société de l’apparence et de l’hypocrisie.
Ce que je voulais lui dire, c’est que la vie était trop courte pour qu’on veuille encore en abréger les moments de douceur, qui étaient rares.
Ce que je voulais lui dire, c’est que j’avais une expérience suffisante de la chose pour qu’elle me fasse confiance : il n’y avait rien de doux pour nous ailleurs. » (P.122-123)
A chaque regret, à chaque pleur, à chaque interrogation, transmis dans ce texte pour Hector, c’est un grand cri à l’amour, avec un grand A cette fois-ci, qui explose : celui d’un père à son fils.
Ce grand roman se referme sur une dernière partie à couper le souffle, une plongée en eaux troubles, dans les profondeurs de Paz.
J’ai soudainement envie de lire son précédent roman, Birmane, pour retrouver tout d’abord son personnage, sosie-littéraire, César, et puis cette écriture qui m’a tant plu.
Christophe Ono-Dit-Biot, Plonger, Editions Gallimard, 2013, (Folio, 2015), 444 pages.