Archives du mot-clé Rentrée littéraire 2015

Ceux que j’ai oubliés!

Il fait un peu désert ici, vous ne trouvez pas?! Et pourtant, ce n’est pas l’inspiration qui me manque, plutôt le temps et l’énergie! Ne vous inquiétez pas, je ne vous oublie pas!

D’ailleurs, j’avais envie de revenir aujourd’hui sur des lectures faites il y a plusieurs mois. Je me demandais si cela était utile de revenir sur elles après autant de temps, mais même de façon brève et condensée, j’ai eu envie de les partager!

Amours / Léonor de Récondo (roman)

51z7+FQRg-LAu sein d’une maison bourgeoise en France, début du 20ème siècle, le couple Boisvaillant tente d’avoir un héritier pour perpétuer le nom. Mais la jeune épouse, Victoire, personnage énigmatique, mal dans sa peau, n’en peut plus des rapports infructueux avec son mari Anselme, un sentiment qui va jusqu’au dégoût. Un jour, la jeune bonne de la maison âgée de seulement 17 ans, Céleste, tombe enceinte, après de multiples viols par son maître. Pour éviter ce scandale qui ferait basculer l’image propre et nette de cette petite famille connue  de tous, et surtout, présenter enfin la progéniture du couple Boisvaillant que tout le monde attend, ceux-ci décideront de le garder et l’élever comme leur propre fils. Céleste peut quant à elle garder son emploi, et voir son bébé grandir auprès d’elle, malheureusement dans l’ombre.

C’est un roman écrit tout en finesse et en poésie, j’ai retrouvé la plume de Pietra Viva. Mais Amours me semble plus abouti (même si, contrairement à Pietra Viva, je n’en fais pas un coup de coeur, bizarrement). Léonor de Récondo explore une palette de sentiments extrêmement forts qui parcourent cette famille, oscillant entre la passion et la colère. L’arrivée de cet enfant va les bouleverser au plus haut point, là où le lecteur ne l’attend pas (s’il fait l’impasse sur la 4ème de couverture en tout cas – ce que je conseille évidement).  Que va-t-il arriver au couple de Boisvaillant qui chavirait déjà, après cette naissance? Comment Céleste arrivera-t-elle a vivre avec son bébé près d’elle, mais dont elle ne peut s’occuper? Il est question d’amour maternel, même s’il est très peu exploré à mon sens. C’est l’amour le plus pur, le plus passionné, unissant deux êtres dont les points communs sont à la hauteur de leurs dissemblances avec le reste de la société qui prime avec ce titre. Un joli cadre également, que l’auteure plante à merveille, comme dans son précédent roman. La confirmation d’une plume délicate, imprégnée de son autre passion qu’est la musique. Il m’a fait penser à « Un roman anglais » de Stéphanie Hochet, qui aborde fort bien aussi ces amours écorchés, avec un rythme qui surprend.

Léonor de Récondo, « Amour », Editions Sabine Wespieser, 2015 (Points, 2016), 276 pages.

Quand le diable sortit de la salle de bain / Sophie Divry (roman)

71ODixQHAVLIl s’agit sans aucun doute du roman le plus surprenant que j’aie pu lire! Sophie Divry avait déjà fait preuve d’un grand sens de l’humour dans « La cote 400 » mais c’est surtout la forme de son texte, au sens propre, qui lui vaut cette grande originalité. Le texte peut prendre la forme d’une croix, d’une flèche ou d’un… (je ne le mentionnerai pas ici!), c’est loufoque. Mais il s’agit évidement d’un exercice à double tranchant, le ridicule n’étant jamais bien loin. Je vous rassure, c’est maîtrisé et ça colle parfaitement au déroulement de l’histoire. Ceci étant, il n’est sans doute pas à la portée de tous, vu le style barré si particulier, mais en ce qui me concerne, j’ai passé un bon moment de lecture! Cette écriture décalée est par ailleurs à contre-courant du thème abordé puisque l’auteure dénonce les maux de notre société actuel à travers l’expérience de la narratrice, qui s’appelle… Sophie! Elle décide un jour de démissionner d’un job alimentaire pour se lancer dans l’écriture de son roman, mais les factures, le loyer, et le peu d’entrées d’argent la font vite déchanter. Cette réalité devenue ces dernières années malheureusement assez commune la conduit à devoir compter le moindre cent pour remplir le besoin le plus vital, se nourrir.

Un roman à double facette alliant gravité et drôlerie. Une critique moderne de notre société, que l’on explore en connaissance de cause à travers les aventures quotidiennes de la sympathique Sophie. Rafraîchissant, décalé, et émouvant.

Sophie Divry, « Quand le diable sortit de la salle de bain », Editions Noir sur Blanc, 2015, 320 pages.

Mauvais genre / Chloé Cruchaudet (BD)

81H53NPELgLCette BD avait été encensée il y a quelques temps par les blogueurs, trouvée à la bibliothèque. La curiosité m’a piquée au vif! Paul et Louise est un couple de jeunes mariés qui doit très vite se séparer afin de laisser Paul aller au front dès le début de la Première guerre mondiale. Mais totalement effrayé par tout ce qu’il voit autour de lui, le jeune homme décide de revenir auprès de sa belle et devient déserteur, ne voulant plus se battre pour sa patrie. Une solution leur semble inévitable pour éviter de vivre caché indéfiniment : le travestissement. Suzanne est née. Mais jusqu’où cette troisième identité grignotera la personnalité de Paul?

L’univers sombre de cette BD est justement maîtrisé, tant au niveau du dessin que du déroulement des faits. C’est en total accord avec la personnalité trouble de Paul. Le suspens est rondement bien mené, puisque la première page s’ouvre sur un procès où Louise est interrogée au sujet d’un meurtre. Le secret est bien gardé jusqu’à la fin. Par ailleurs, le lecteur ne peut être qu’interloqué par le comportement changeant du jeune homme, à l’encontre de sa femme tout d’abord, mais aussi vis à vis de lui-même et de son propre corps. Est-ce sa très courte intervention sur le champ de bataille qui l’a autant perturbé? J’ai passé un moment agréable à parcourir cette histoire, mais elle ne me laisse pas un souvenir impérissable.

Chloé Cruchaudet, « Mauvais genre », Editions Delcourt/Mirages, 2013, 160 pages

« La maladroite » d’Alexandre Seurat

On en avait tellement parlé, qu’il semblait être LE titre de la rentrée littéraire de septembre 2015. Et quand vient son tour de le découvrir, on a l’impression de tout savoir déjà. Avec « La maladroite », j’ai eu cette crainte. Finalement, j’étais partie dans une autre direction, et le traitement proposé par Alexandre Seurat, de ce dramatique fait divers m’a bluffée, moi aussi. Parler de la violence faite aux enfants est on ne peut plus délicat. Où est la frontière entre ce que l’on peut dire, et ce qu’il faut taire, ou plutôt suggérer?

FullSizeRender(3)Ce jeune auteur a, pour moi, admirablement réussi à jongler entre ce dilemme. Sans trop en dire, en ne dévoilant jamais totalement l’horreur, il indique subtilement à son lecteur les preuves d’un quotidien désastreux d’une fillette de 8 ans, sujette de maltraitance par ses parents. Il a choisi de flotter autour de Diana, de faire parler son environnement. Les seules personnes qui se sont rendues compte de ce qui se passait. En commençant par sa grand-mère et sa tante, qui relatent les premiers mois du bébé, la personnalité de la maman, le contexte particulier de cette naissance. Tout était déjà mal parti… Il y a alors les soupçons, les premières décisions, les appels à l’aide. Et quand arrive le déménagement, le premier d’une longue série, c’est déjà une porte qui se referme. Il passe alors au milieu scolaire, où tout s’accélère. Des tentatives qui continuent malgré tout à rester sans réponse. Il en faut plus, toujours plus. Alexandre Seurat met particulièrement le doigt sur les failles d’un système, d’un cadre beaucoup trop rigide pour ce genre de situation.

Même cheminement tout au long de ce court texte, l’auteur évoque les témoignages de ces personnes qui ont voulu faire bouger les choses, qui se sont impliquées au plus profond d’elles-mêmes pour prouver qu’il fallait intervenir, instituteurs, directrices d’école, services sociaux, gendarmes. Mais les parents de Diana ont cette façade polie et courtoise, qui laisse planer le doute, et une petite fille qui, à tout jamais, défendra ses bourreaux. Il y a bien entendu ce changement physique, anormal, ce rire totalement disproportionné, qui résonne dans la tête du lecteur, qui me donnaient particulièrement le haut-le-cœur. Et une simplicité maîtrisée, car les faits à eux seuls suffisent pour comprendre, sans devoir en rajouter une couche.

« La maladroite » est une lecture marquante, pour son sujet, et rappelle l’audace dont l’auteur a fait preuve pour ressortir cette atroce histoire, qui s’est réellement passée en 2009. Il fallait oser le faire, le mettre sur papier, et le faire lire. Les lecteurs s’en souviendront très longtemps, car les mots marquent, plus que les faits d’actualité relayés au journal télévisé. Une tentative nécessaire et réussie en ce qui concerne Alexandre Seurat, qui m’a glacé le sang. J’attends de le découvrir dans un autre registre.

Alexandre Seurat, « La maladroite », Editions du Rouergue, 2015, 121 pages.

« L’intérêt de l’enfant » de Ian McEwan

Je n’avais pas spécialement prévu de lire ce roman, que j’ai vu par-ci par-là et qui me tentait plutôt bien. Il est venu à moi, en apparaissant sur l’étagère « nouveautés » de la bibliothèque! Et… c’est un coup de cœur!

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Ian McEwan nous plonge dans un monde d’apparence froide et plutôt fait d’hommes, le milieu juridique. Le personnage central, Fiona Maye, est, à l’aube de la soixantaine, magistrate spécialisée dans les affaires familiales. Une vocation pour cette dame qui a consacré sa vie à cette carrière. Elle est aujourd’hui extrêmement respectée et reconnue pour son professionnalisme et pour la qualité de ses décisions, rendues après avoir profondément exploré chaque hypothèse des affaires en cours et faisant valoir, sans exception, le seul intérêt de l’enfant. Il s’agit de mettre en avant des arguments liés à son bien-être actuel, tout en songeant à son avenir.

A côté de ça, il y a malheureusement des dommages collatéraux, au sein de son couple, notamment. Le roman s’ouvre sur des révélations peu supportables, de la part de son mari. Un soir, il explique en effet à sa femme qu’il souhaite s’abandonner dans une liaison avec une tentatrice, pour combler un manque qui s’est renforcé depuis quelques temps. Il lui reproche de ne plus être là, avec lui, et de n’en avoir que pour son travail. A cette époque, Fiona a du rendre des verdicts compliqués, pour des affaires particulièrement médiatisées ou délicates. Des affaires qui l’ont possédée, jour et nuit. Et voilà que le fil très délicat qui la tenait encore à sa vie privée est en train de se casser.

Et ce n’est pas le cas qui se présente à ce moment-là qui changera la donne : un ado de 17 ans, atteint d’une leucémie, doit absolument recevoir une transfusion sanguine. Une pratique rejetée par sa religion qu’est le judaïsme. En extrême urgence, la Lady est face à un nouveau dilemme : sauver la vie de cet enfant, ou bien respecter sa volonté à travers sa croyance? Fidèle à elle-même, Fiona va étudier toutes les hypothèses et les arguments avancés par les différentes parties. Un tête-à-tête avec ce jeune homme lui semble incontournable…

Cette rencontre est le tournant du roman qui va bouleverser chacun de nos personnages. Pour le lecteur, il s’agit d’un moment suspendu, durant lequel il boit chaque parole. Le suspens quant au verdict est là, mais il continuera de poursuivre les protagonistes – et le lecteur – tout le reste de l’histoire.

Ian McEwan nous livre, à mon sens, un texte totalement hypnotisant, avec des moments d’une puissance émotionnelle extrême. Le lecteur découvre des personnages d’une intelligence remarquable, qui retournent le cœur, et se retrouve lui aussi face à ce dilemme implacable. J’ai adoré découvrir par la suite les failles de Fiona Maye, sous une apparence forte et presque insensible. Je ne sais pas si c’est cette affaire, ou la demande de son mari, qui va la faire pivoter à ce point, ces deux événements me semblent indéniablement liés, mais quoi qu’il en soit, elle va se retrouver à un tournant important de sa carrière et de sa vie de femme. Elle trouve par ailleurs refuge dans la musique, omniprésente dans ce roman, qui ajoute à l’élégance déjà très présente du style, une  touche encore plus noble.

Un roman qui m’a bouleversée moi aussi avec des passages lus en déconnexion totale avec la vie réelle. L’auteur a exploité avec brio un cadre qui n’est pas facilement accessible, à priori. Il a réussi à vulgariser un vocabulaire très spécifique pour permettre à ses lecteurs d’entrer sans aucune embûche dans le milieu juridique et d’en comprendre le fonctionnement. Difficile de parler de tout ce qui m’a marquée dans ce roman, j’y ai vraiment été très sensible, comme Mior et Clara. J’en fait une pépite chez Galéa, la première de la saison!

Une rencontre surprise, en plus, qui m’invite bien sûr à lire d’autres titres de cet auteur, mais non sans une certaine attente suite à cette première lecture-coup de coeur. Quel titre me conseilleriez-vous?

Quelques extraits :

« Il allait l’abandonner et son monde continuerait de tourner. » (p.20)

« Elle prenait conscience que la qualité qui le distinguait était son innocence, une innocence pleine de fraîcheur et d’enthousiasme, une franchise enfantine qui devait tenir à l’univers clos de la secte. » (p.122)

« Elle devait garder à l’esprit que le monde n’était jamais identique à la vision angoissée qu’elle en avait. « (p.189)

Ian McEwan, « L’intérêt de l’enfant », Gallimard, 2015, 229 pages

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« La Variante chilienne » de Pierre Raufast

Quand un jeune auteur obtient autant de succès que Pierre Raufast avec « La fractale des raviolis« , le second roman est attendu au tournant! Le défi était de taille, vu l’originalité du procédé usé avec ce véritable melting pot d’histoires abracadabrantes qui s’encastrent entre elles, à l’image des poupées gigognes. L’auteur continuera-t-il sur cette même démarche? Préfèrera-t-il marquer une cassure avec ce premier titre fortement remarqué?

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L’extrême talent de conteur de Pierre Raufast n’est plus à démontrer, c’est cette grande qualité qui a été mise en avant chez les blogueurs. Néanmoins, dans « La Variante chilienne », il présente à nouveau toute l’étendue de son imagination d’une part, mais surtout, le plaisir qu’il prend à s’envoler vers des univers uniques en leur genre, et de le faire partager avec ses lecteurs. A nouveau, donc, ce deuxième titre est composé d’une multitude de petites histoires ahurissantes, à la seule différence que celles-ci gravitent autour d’un seul et même point. Et il s’agit d’un personnage, celui de Florin. « La Variante chilienne », c’est l’incroyable existence d’un homme ordinaire, qui a connu de folles aventures, mais qui a aussi traversé des événements moins drôles.

En vacances pour l’été, Pascal, professeur de philosophie, loue un gîte dans un coin totalement perdu nommé Saint-Just-Sur-Harmac. Il est accompagné clandestinement de Margaux, sa jeune élève, poète dans l’âme. Son histoire, on la découvrira plus tard. C’est là qu’il fait la connaissance de Florin, qui, chaque soir, lui fera part d’un pan de sa vie autour des plaisirs les plus simples qu’ils partagent tous deux, un bon repas, un verre de vin rouge et une pipe. Florin est d’emblée attendrissant lorsqu’il explique que, suite à un grave accident survenu lorsqu’il était jeune, il perd instantanément la mémoire. Il doit alors recueillir des cailloux pour se souvenirs des belles choses, des rencontres. Tous ces cailloux, il les collectionne dans des bocaux, scrupuleusement classés chez lui par année. Cela promet de belles et longues soirées entre six yeux à  refaire le monde. Le moment aussi d’ouvrir son coeur et de réfléchir à l’essentiel.

Ainsi se déroula ma première rencontre avec l’homme qui ramassait des cailloux.

Ainsi naissent les amitiés. (p.38)

« La Variante chilienne » m’a semblé plus abouti car il se focalise sur le vécu de ces trois personnages. Une empathie s’est davantage créée, en restant un bout de temps en leur compagnie. Car s’il est principalement question des mésaventures de Florin, Pascal partage volontiers quelques notes de son passé, ainsi que Margaux qui doit dénouer des soucis familiaux. Les histoires sont toutes aussi nombreuses que dans « La fractale des raviolis », mais j’ai beaucoup aimé qu’elles se recentrent sur un seul et même point.

Toujours autant d’originalité, une profondeur davantage marquée dans les personnages principaux, un univers à part et explosif, beaucoup de fraîcheur… Pierre Raufast maîtrise ces éléments à la perfection, qui constituent désormais sa « patte ». Un auteur à suivre et à faire découvrir, sans aucun doute!

Pierre Raufast, « La Variante chilienne », Editions Alma, 2015, 260 pages.

Ps : il s’agit d’une lecture offerte par Price Minister dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire, un avis que je rends in extremis. #MRL15 #PriceMinister

(Je reviens très vite!)