Archives du mot-clé Rentrée littéraire 2016

« Petit pays » de Gaël Faye

Le roman s’ouvre sur les mots d’un homme, vivant à Paris, qui semble être à côté de sa vie. Il erre, ne sait pas ce qu’il veut, quel sens donner à son existence. Il multiplie les filles, sans jamais s’attacher. Il pense à Ana

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C’est alors qu’il remonte les souvenirs. Ces souvenirs qui l’ont façonné. A ses 10 ans, au Burundi, lorsqu’il y vivait avec son père, sa mère et sa sœur. Au moment où tout était paisible et lui, innocent. C’est l’histoire de Gabriel, ou plutôt, de Gaby.

Ce sont les mots d’une enfance joyeuse, qui défilent d’abord, dans un pays où il se sent bien. Son père est français et sa maman est rwandaise.

Bientôt ce sera la fin de mon anniversaire, je profitais de cette minute avant la pluie, de ce moment de bonheur suspendu où la musique accouplait nos cœurs, comblait le vide entre nous, célébrait l’existence, l’instant, l’éternité de mes onze ans, ici, sous le ficus cathédrale de mon enfance, et je savais alors au plus profond de mois que la vie finirait par s’arranger. (p.110)

Gaël Faye, qui s’ouvre à travers ce personnage de Gabriel, se replonge dans ce qui était alors ses plus belles années : l’odeur des fruits, les premières cigarettes, les bières. C’est la période les 400 coups avec les copains! Gino son frère de sang, Armand et les jumeaux. A eux cinq, c’est une petite bande qui vole quelques fruits, se moque gentiment des voisins… Des p’tits mecs qui veulent parfois jouer les caïds mais qui gardent leur âme d’enfant. Il y a cet endroit, l’impasse, où il se réfugient, dans un ancien combi VW, qui renferme tous ces moments de bonheur qu’on n’oublie jamais.

Mais Gaby sent que quelque chose se trame, particulièrement alerté par le comportement changeant de son père. Une musique classique à la radio, et tout est compris. La guerre a éclaté au Rwanda, pays limitrophe, et surtout, le berceau de sa mère.

Je voulais me lover dans un trou de souris, me réfugier dans une tanière, me protéger du monde au bout de mon impasse, me perdre à nouveau parmi les beaux souvenirs, habiter de doux romans, vivre au fond des livres. (p.188)

Tout ce cocon que Gaby tentait de maintenir bien précieusement vole alors en éclat. Malgré tout, il ne veut pas se laisser atteindre par la violence et la haine qu’il sent dans l’air et qui gagnent son entourage. Il devient également le témoin de la déchéance de sa maman, qui a assisté au massacre de sa famille au Rwanda. Chaque personne qui lui était chère, sera touchée à jamais par ce génocide. Il essaie malgré tout de rester dans sa bulle. Les livres prêtés par une dame grecque vivant tout à côté, lui offrent cette enveloppe sécurisante. Mais la barbarie s’étend, elle n’a plus de frontières.

Même si je n’ai pas ressenti l’extase partagée par la grande majorité des blogeurs-ses, j’avoue avoir été totalement séduite par l’écriture si poétique de Gaël Faye. Avec des mots simples, il nous plonge dans une atmosphère enveloppante. Une poésie qui n’amoindrit en rien ces horreurs, mais qui donne une dimension plus aérienne et délicate de la situation. Je n’ai vraiment accroché qu’à la seconde partie du roman où je deviens hypnotisée par les mots de ce jeune Gabriel. Il sous-entend les événements qui secouent le Rwanda et qui touchent directement sa famille, sans jamais entrer dans la violence. On reste avec lui dans sa bulle. Ce regard innocent, parfois même naïf, qu’il garde à tout prix, m’a touchée. Je trouve merveilleux et très intelligent le ton, le style que l’auteur emploie pour aborder ce pan de l’Histoire.

Au final, Gaël Faye ouvre son cœur d’une façon juste et poétique, et se livre dans ce très beau premier roman, son « Petit pays », qui reste à jamais gravé dans sa mémoire. Ses lecteurs sont chanceux de cette évocation qu’ils devraient partager, à leur tour, encore et encore. Enfin, c’est un livre qui peut convenir au jeune public aussi.

Un texte sincère et précieux!

Grâce à mes lectures, j’avais aboli les limites de l’impasse, je respirais à nouveau, le monde s’étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs. (p.170)

Gaël Faye, « Petit pays », Editions Grasset, 2016, 217 pages

« Un paquebot dans les arbres » de Valentine Goby

Mission accomplie! Je suis arrivée au bout de ma lecture pour les matchs de la rentrée littéraire organisés par Price Minister, dont j’avais complètement oublié la date de remise des copies (encore merci à Fanny pour le rappel ^-^).

Ce roman m’a accompagnée durant ce long week-end de Toussaint, et j’étais à chaque fois ultra enthousiaste et impatiente de me replonger dedans! Il s’agit de ma première rencontre avec Valentine Goby, fortement encouragée par Fanny une nouvelle fois! Et waw… quelle lecture!

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« Un paquebot dans les arbres » nous plonge au début des années 50, au Balto, le café-épicerie que tiennent les Blanc dans un village appelé La Roche. Paulot, le père, et Odile, son épouse, sont propriétaires et gérants de ce lieu festif où tout le village aime passer du bon temps. L’ambiance y est bon enfant et chaleureuse, surtout les soirs de « bals ». Le couple Blanc a 3 enfants : Annie l’aîné, Mathilde âgée de 9 ans en 1952 et Jacques le petit dernier, 4 ans.

La prose de Valentine Goby fait effet dès les premiers mots, qui est juste parfaite pour décrire l’ambiance si enveloppante des soirs de fête au Balto. On s’y sent bien, aimé, accueilli sans jugement. Telles sont les valeurs des Blanc qui nous sont présentés comme étant de « belles personnes ».

C’est pour cela que la suite est si injuste : Paulot va tomber malade, et son état ne cessera de se dégrader. Le verdict tombe, c’est la tuberculose. Il doit remettre son commerce pour entrer au sanatorium d’Aincourt, là où sont soignés les « tubards », ceux qu’on a aimés, qu’on rejette, qu’on isole, par peur de contagion. Et elle se situe là, toute l’injustice de ce roman : malgré une vie à faire tourner leur bistrot, les Blanc n’ont pas droit à la sécurité sociale ni aux assurances complémentaires pour faire face au terrible coût des soins. Odile le rejoindra quelques temps plus tard, elle aussi atteinte. Annie est en âge de fonder une famille, elle part à Paris. Restent Mathilde et Jacques, qui sont envoyés dans deux familles d’accueil. A 18 ans pile, Mathilde demande alors son émancipation, et retourne dans la maison familiale de La Roche où elle trimera chaque jour pour arriver à son but principal : obtenir son diplôme, gagner sa vie pour récupérer Jacques et recomposer sa famille. On suit alors le « petit gars » tel que l’a toujours surnommée son papa, dans ce combat qu’est devenu son quotidien, où elle connaîtra le froid, la faim, la peur des lendemains, les doutes. Avancer, tomber, échouer, apprendre, gagner. Des passages que l’on vit, que l’on ressent, la peur au ventre, et avec la furieuse envie d’aider Mathilde.

C’est un livre qui se savoure, dans lequel il faut véritablement se plonger pour pouvoir s’imprégner de toutes les émotions que traverse Mathilde. Dure réalité pour cette jeune fille qui est devenu le pilier d’une famille disloquée par la maladie, et qui tente par tous les moyens, de la reconstruire. Elle fait preuve d’un courage inouï, uniquement porté par l’amour pour sa famille, et la foi en un avenir meilleur. Jamais elle n’en doutera, et c’est certainement grâce à cette persévérance qu’elle s’en sort. Quelques rencontres bienheureuses se mettront à travers son parcours, et lui donneront le petit coup de pouce dont elle a besoin pour retrouver un soupçon d’énergie. Des personnages que l’on ne peut qu’aimer : Jeanne, une camarade de classe bègue, Mathieu un premier amour, ou encore, la directrice d’école de Mathilde, qui m’a juste scotchée par tant de sagesse et de générosité.

J’ai été happée, dès les premières phrases. La  force dont fait preuve Mathilde, à la maturité impressionnante, aimantent le lecteur à chacune des page de ce roman.

C’est le plaisir des mots, mais l’histoire est tout aussi merveilleuse. C’est une véritable leçon de vie que l’on retient. Elle prend aux tripes et ne peut laisser personne indifférent. Un livre qu’on n’a pas envie de lâcher, ni de laisser, une fois terminé…

Je crois qu’après cette lecture, chacun et chacune garde en soi un petit peu de Mathilde, tellement ce personnage représente un modèle de générosité, de bonté, d’amour, de sincérité. Pour ma part, elle m’a véritablement éblouie.

Valentine Goby, « Un paquebot dans les arbres », Editions Actes Sud, 2016, 270 pages.

« Les règles d’usage » de Joyce Maynard

Presque 15 ans jour pour jour, Joyce Maynard revient sur la plus grosse tragédie perpétrée sur le territoire américain. Les attentats du 11 septembre, ce sont plus de 3.000 victimes, et un visage en particulier : celui de la maman de Wendy, l’héroïne de ce roman, seulement âgée de 13 ans. Son monde s’écroule, ainsi que celui de Josh son beau-père et de son petit frère Louie, 3 ans. Au fur et à mesure que les jours passent, l’évidence apparaît, qu’ils ne peuvent évidemment envisager. Le père biologique de Wendy, Garret, décide alors de la reprendre chez lui en Californie. Un père absent durant toutes ces années, et qui tout d’un coup s’empare d’un rôle qu’il a du mal à apprivoiser. S’ajoutent à cette douloureuse épreuve, les doutes et interrogations que traversent les adolescents, les métamorphoses corporelles, tout cela si justement décrit par l’auteure (inspirée par ses enfants ados, dit-elle en début de livre). Loin de tout, Wendy réapprendra les « règles d’usage », manger, étudier, dormir… vivre. La musique et la littérature sont vus ici comme des pansements, des guides qui lui permettront d’avancer. Deux arts parmi lesquels elle enfuit son esprit pour y piocher tout ce qui pourra lui servir à sa propre évolution. Nombre de références ponctuent ce parcours et qui participent à la richesse du roman.livre_galerie_311

New-York n’existait plus, ni cette montagne de gravats haute de deux kilomètres, ni les avis de recherches placardés dans le métro, ni même Josh penché sur les albums de photos, ni Louie scotché devant la télévision qui n’était même plus allumée, ni le poids qui lui pesait sur la poitrine à la seule pensée de sa mère. La musique occupait tout son esprit, et pas seulement son esprit, mais son corps. Tout le reste avant peut-être changé, mais pas la musique. (pp.446-447)

Pour cette rentrée 2016, Joyce Maynard signe un roman délicat, dont j’ai sous-estimé la puissance émotionnelle – ce qui est loin d’être sa faute, je ne suis pas fan des histoires d’ados. Ce qui fait, à mes yeux, la réussite de ce nouveau titre est qu’elle arrive à rendre cette histoire lumineuse et optimiste, sur fond de tragédie et de la perte immense qu’est le décès d’un parent. On assiste à la lente mais sérieuse reconstruction de Wendy, cette fillette qui vient non seulement de perdre sa maman et qui doit, en plus, composer avec ce papa qu’elle ne connaît pas, dans un environnement qui lui est également totalement étranger.

Fait de nombreux retours en arrière, constitués de souvenirs que Wendy se remémore de sa maman, mais aussi avec Josh et son petit frère Louie, ce roman parle aussi de ces paroles qu’on a un jour eues envers des êtres chers, qui resteront gravées à jamais parce qu’on n’aura plus de seconde chance pour les rattraper. Maynard évoque ainsi douloureusement les regrets d’une gamine envers sa maman disparue, tout ce qu’elles ne pourront pas vivre ensemble, dont le poids l’enferme dans une carapace difficilement pénétrable.

Seuls le temps, et les rencontres, lui permettront de s’ouvrir à nouveau à ce monde qui n’est finalement pas si sombre que le laisse entendre l’actualité.

La vie était beaucoup plus simple avant, hein? dit Amelia. Tout est devenu trop compliqué.

Elle a probablement été toujours compliquée, répliqua Wendy. On ne le savait pas, c’est tout. (p.399)

Wendy est très émouvante, ainsi que tous ces seconds personnages qui l’entourent et qui ne lui veulent que du bien. Elle est dotée d’une impressionnante maturité et se servira au fil des mois de toutes ces nouvelles situations qu’elle vit, et qui sont à l’opposée de sa vie à New-York, pour sortir encore plus grande et incroyablement forte de ce deuil. J’ai également beaucoup aimé le personnage de Carolyn, la belle-mère de Wendy, cette femme un peu « à part », qui aime les cactus comme ses enfants et lit les lignes de la main, qui cherche timidement à s’approcher de Wendy pour lui offrir la présence féminine si importante pour une adolescente.

Ce sont des personnages qu’on a du mal à quitter, tellement on se sent bien parmi eux. A eux tous, se crée une force, une énergie, qui permet à chacun d’avancer dans ses propres tourments.

Un merveilleux roman sur la résilience, l’amour – fraternel, familial, amical – et la beauté des rencontres. Du grand et émouvant Joyce Maynard! Il sort ce 1er septembre.

Après « L’homme de la montagne« , et « Long week-end« , « Les règles d’usage » est clairement mon préféré.

Merci aux éditions Philippe Rey de m’avoir permis de lire ce roman en avant-première!

Joyce Maynard, « Les règles d’usage », (traduit par Isabelle D. Philippe), Editions Philippe Rey, 2016 (édité aux Etats-unis en 2003), 472 pages.