Après ma lecture de « Petit pays« , plusieurs m’ont donné envie de poursuivre sur le thème du génocide rwandais avec ce roman sorti en même temps que celui de Gaël Faye et, par ailleurs, un peu moins exposé.
J’ai vraiment beaucoup aimé le point d’accroche de cette histoire : Suzanne anime des ateliers écriture dans les écoles, et au lancement de l’un d’eux, elle décide d’inviter ses élèves à s’exprimer autour d’un thème bien précis : « l’objet de famille« . Il fallait qu’ils trouvent un objet qui a du vécu, qui a traversés des générations, qui est important à leurs yeux ainsi que pour leur famille. Dès la première rencontre, Suzanne est attirée par un jeune garçon noir plutôt taiseux au fond de sa classe. Elle SENT qu’il a quelque chose à raconter, que le besoin de s’ouvrir est très fort. Mais elle devine aussi qu’il faudra du temps, de la patience et beaucoup de douceur.
C’est donc à travers le thème de la transmission, du témoignage, que Yasmine Ghata aborde le terrible sujet de la guerre. Développer cette approche en utilisant l’objet comme déclencheur de souvenirs était très intéressant. Personnellement, j’aime me raconter les événements passés autour d’un objet, d’une photo. Ils gardent une trace de celles et ceux qui nous ont été si chers. Comme s’ils avaient incorporé en eux une trace indélébile de leur passage sur terre. Ces objets sont aussi remplis d’amour, l’amour que l’on continue de porter à nos regrettés disparus.
Le jeune garçon qui est au centre du roman et qui va raconter son histoire, c’est Arsène. Il a 8 ans seulement lorsque la guerre éclate. Issu d’une grande fratrie, il sera pourtant le seul à s’en échapper. Sa grand-mère l’a en effet poussé à la fuite, en se cachant dans une valise. Cette valise, bien plus qu’une compagne de route, permettra sa survie. C’est celle-ci, précisément, qu’il présente à Suzanne, le jour de l’atelier d’écriture. La sortir de son armoire est déjà un exploit en soi. Comme pour marquer une scission entre sa vie d’avant et celle à Paris, il ne l’a plus ressortie. Mais elle a encore quelque chose à lui offrir, cette valise. La possibilité d’enfin parler pour, peut-être, tourner la page. Digérer ce mal qui continue de le ronger, malgré tout, inconsciemment sans doute. Faire sortir les mots qui brûlent, tenter de transmettre les images qui cognent dans sa tête. Il est heureux là en France. Un couple aimant et protecteur de parisiens l’ont adopté, après avoir été secouru par les casques bleus à moitié conscient, après de longues journées à errer sur ses anciennes terres ensanglantées. Mais il saisit pourtant cette opportunité pour ouvrir son coeur et faire parler sa mémoire.
Tu as peur d’ouvrir cette valise, peur de poser ton regard sur les ténèbres qu’elle renferme. Pur toi, elle loge un cadavre : celui de ton enfance pillée, en lambeaux. (p.24)
Arsène va trouver auprès de Suzanne une alliée et une oreille pour écouter son courageux parcours. Toujours à huis-clos cependant. Comme lorsque l’on confie un secret. De con côté à elle, peut-être est-ce parce qu’elle garde au fond d’elle des souvenirs qui font mal, que Suzanne se sent d’emblée proche du jeune élève?
Même s’ils se différencient en de nombreux points et particulièrement au niveau du style d’écriture et du point d’accroche, je n’ai pu m’empêcher de comparer ces deux récents romans sur le génocide rwandays. Et j’ai été beaucoup plus émue par celui-ci, je l’avoue. J’ai suivi avec admiration le parcours relaté par Arsène. Subjuguée également par le courage dont il fait preuve pour survivre au drame. J’ai également été attachée à Suzanne, qui a cette volonté d’accompagner son élève dans ce travail de reconstruction qu’elle provoque sans l’avoir prémédité, finalement.
Tu n’as jamais oublié son visage, ni même sa voix. Elle t’a sauvé la vie, tu es ici grâce à elle et tu n’as jamais cessé de croire qu’elle te protègerait encore. Tu as toujours senti son regard sur toi, ses yeux à peine entrouverts dotés de lourdes paupières. (p.151)
La distinction entre le récit d’Arsène et les moments présents est clairement établie grâce à une double narration, une fois en « tu » et une autre, extérieure. Si j’ai trouvé cette technique originale et judicieuse, elle m’a surtout permis d’entrer attentivement dans le témoignage si poignant du garçon. Le lecteur est directement intégré au récit, permettant de saisir la dureté du moment.
Un roman vraiment émouvant qui, en quelques pages, fait passer des larmes à l’espoir. Merci à Fanny pour ce prêt et cette très belle découverte, qui a écrit un très joli billet sur ce roman.
Yasmine Ghata, « J’ai longtemps eu peur de la nuit », Edition Robert Laffont, 2016, 156 pages