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« Le Dragon déchaîné » d’Effel

A quelque jours de la Ducasse de Mons, l’ambiance torride et bon enfant prend doucement place. Les premières notes de l’hymne local, le « Doudou », s’élèvent au détour des rues à pavés. Les montois qui attendent cet événement depuis un an sont impatients de démarrer ces Prévisualiser les modifications (s’ouvre dans une nouvelle fenêtre)nouvelles festivités, bien connues dans la région. Pour la petite info, la Ducasse de Mons est un événement qui mêle le folklore festif au protocole religieux, qui fut reconnue patrimoine immatérielle de l’Unesco en 2005. C’est LE rendez-vous incontournable, avec comme apogée le combat dit Lumeçon qui se déroule le dimanche de la Trinité. Saint Georges se livre à une lutte sans merci durant pratiquement 45 minutes avec le Dragon venu menacer la cité. L’opposition entre le Bien et le Mal, pour la survie de la ville et de ses habitants.

Mais un fait bien plus dramatique vient tout juste de frapper le cercle très fermé de la réalisation du combat : Saint Georges, ou plutôt celui qui l’incarne, Gabriel Degand, vient d’être retrouvé mort. On apprend rapidement grâce à l’autopsie qu’il s’agit d’un meurtre. Tout le petit monde qui entoure le Combat est choqué, mais aussi très inquiet pour le déroulement de cette nouvelle édition.

Arthur Rémy, journaliste local à « La Voix de Mons » est mis sur l’affaire. Il a pour mission de s’immiscer dans l’équipe de réalisation du Lumeçon, avec l’aide précieuse de son vieil ami Didier Renuart, commissaire à la police locale. L’objectif, savoir qui est l’auteur de ce drame, un certain Dragon déchaîné, et surtout, déjouer l’autre coup qu’il prépare pour le jour J, celui du Combat.

Au fil des interviews et du temps passé dans cette drôle de « famille », l’enquête suit doucement son cours. Arthur et son acolyte découvrent, de l’intérieur, l’organisation si minutieuse de cette fête populaire. Ils restent en éveil pour déceler la moindre piste qui pourrait compromettre la menace, très sérieuse, du Dragon déchaîné.

Je ne vais pas vous le cacher plus longtemps, je connais bien l’auteur de ce premier roman belge! Et commencer son livre fut un énorme plaisir car j’y ai retrouvé sa plume soignée, son humour subtil, ses clins d’œil à un environnement qui m’est familier. Mais tout n’était pas forcément joué!

J’ai directement plongé dans cette enquête qui se passe en plein cœur de l’organisation du Lumeçon grâce à un style particulièrement prenant. Même si l’auteur se doit de rappeler les moments clefs du folklore montois, dans un esprit de bienveillance pour les lecteurs qui ne le connaissent pas, cela ne m’a pas dérangée car l’enquête journalistique et policière surplombe cet aspect plus descriptif. J’ai particulièrement apprécié le duo Rémy/Renuart qui est complémentaire et attachant. Le rythme est haletant : on alterne entre les rencontres du journaliste, et le déroulement des ultimes jours qui précèdent le fameux dimanche où le Dragon Déchaîné a prévu une nouvelle fois d’attaquer. Effel mêle folklore, ambiance, ce petit grain de folie propre à la Ducasse de Mons, et les éléments policiers. Tout cela forme un tout agréable à lire et addictif. On a envie de savoir qui se cache derrière ce Dragon Déchaîné!

C’est une immersion totale dans un folklore unique, tout à fait accessible aux non-montois. Suivre l’enquête dans cette atmosphère festive est un parti pris original, et réussi pour ma part. Par ailleurs, l’auteur fait preuve d’une grande connaissance de la Ducasse, tant sur le plan historique que religieux. On sent toute la passion qui l’anime autour du sujet! Il le transmet en tout cas à ses lecteurs.

Un très chouette premier roman, particulièrement maîtrisé. Il faut dire, l’auteur a mis 4 ans pour l’écrire! Je vous invite chaudement à vous plonger à votre tour dans cette ambiance et à vous laisser embarquer au fil des pensées d’Arthur Rémy!

Le « Dragon Déchaîné » fut finaliste du Prix Fintro, un prix belge qui récompense les premiers romans polar. 2017 était la première édition et la suivante est d’ores et déjà prévue.

Effel, « Le Dragon déchaîné », 180° éditions, 2017, 300 pages

Une lecture inscrite au rendez-vous « Mauvais genre » du mois belge organisé par Anne

« Le sang du monstre » de Ali Land

Rien de tel qu’un bon thriller bien prenant pour passer des heures totalement déconnectée!

C’est un titre repéré lors de la rentrée littéraire 2016, en même temps que le premier roman de David Joy. Et c’est une première publication également pour cette auteure anglaise, ancienne infirmière en pédopsychiatrie. Justement, son roman a vraiment cette originalité, c’est de nous emmener dans une histoire qui concerne une ado traumatisée. Il y a de quoi, puisque sa maman est une tueuse en série. A sa charge, pèse le meurtre de 9 enfants. Des enfants dont elle devait s’occuper, dans un refuge de femmes battues. Elle les reprenait chez elle, et leur faisait vivre un véritable enfer dans la pièce, la « salle de jeux », où ils étaient enfermés.

Annie, sa fille, vit cet enfer depuis ses 5 ans. Elle est elle-même victime de violence par sa mère, physiques et psychologiques. Le traumatisme est donc total pour elle, et cette situation complètement insoutenable. C’est elle qui dénonce donc sa mère à la police, après l’assassinat de trop…

Suite à l’arrestation de sa maman, Annie doit changer d’identité et bénéficie de la protection de témoin. Elle est rebaptisée Milly et est placée, dans l’attente du procès, dans une famille d’accueil, celle de son psychologue Mike.

Cette situation d’entre-deux, Milly l’a vit plutôt mal : elle a envie de se reconstruire, mais d’une part, le fantôme de sa mère continuer de la hanter jour et nuit. Et d’autre part, la fille de Mike, Phoebe, supporte très mal cette nouvelle venue dans leur famille et lui fait vivre un véritable cauchemar au lycée. Particulièrement vicieuse, elle n’hésite pas à insulter, harceler et ridiculiser la jeune fille devant tout le monde. Est-ce que toutes ces brimades, qui se rajoutent à son traumatisme initial et à l’échéance du procès, accompagné évidement d’une surmédiatisation, feront-ils perdre pied à Milly?

J’ai très très vite accroché à ce roman. Le style est particulier, percutant, qui s’accorde parfaitement à l’ambiance malsaine de l’histoire. Le rythme est haletant car il n’y a pas de temps mort. De par cette double histoire finalement, qui est le procès et le parcours de Milly d’une part, et la relation toxique qui s’installe entre elle et Phoebe, le lecteur est emmené dans tous les sens. Nos nerfs sont mis à rude épreuve! J’ai trouvé la construction parfaite, plausible, puisque l’auteur parle d’un sujet très actuel du harcèlement scolaire. Et puis toute la partie du procès est très prenante. Vous n’aurez aucun répit puisque les rebondissements et les surprises sont partout et tombent à tout moment.

Tous les ingrédients sont donc réunis pour se prendre au jeu du parfait thriller. Une chose est certaine, on ne s’ennuie pas une seconde et il est d’ailleurs très difficile de lever les yeux de ce bouquin une fois qu’on l’a commencé!

Ali Land, « Le sang du monstre », traduit de l’anglais par Pierre Szczeciner, Éditions Sonatine, 2016, 348 pages

« Hortense » de Jacques Expert

Sophie Delalande a été folle de sa fille dès les premières secondes qu’elle l’a mise au monde. Bien entendu le contexte de cette naissance y est pour beaucoup. Éperdument amoureuse de Sylvain, un type volage, sans attache, très mystérieux et surtout bel homme, Sophie s’est retrouvée seule durant la grossesse et les premières années de sa fille, Hortense. Le papa n’ayant jamais eu l’intention de s’engager, encore moins d’être père.

Les années passent, Sophie et Hortense sont très fusionnelles. Jusqu’au jour où Sylvain refait surface, et demande le droit de voir sa petite fille. Son ex-compagne tient là sa vengeance et refuse catégoriquement le moindre contact avec celui qui les a abandonnées lâchement. Juste avant son troisième anniversaire, Hortense est enlevée par son père, dans l’appartement de sa maman qui a été battue et ligotée.

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22 ans plus tard, en 2015, Sophie n’a jamais retrouvé la trace ni la moindre information sur l’enlèvement de sa fille. Disparus en pleine nature! Ont-ils changé d’identité, se sont-ils expatriés? Sont-ils morts? Malgré les enquêtes, détective privé, passage à la télévision, sortie médiatique, rien n’a jamais abouti. Sophie est aujourd’hui une pauvre femme, paraissant bien plus âgée, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle a perdu toute envie de vivre depuis cette terrible nuit de 1993. Néanmoins, jamais elle n’a perdu l’espoir de tomber sur une piste, un jour ou l’autre.

Et c’est justement l’un de ces jours ordinaires, où elle se fait bousculer en rue, qu’elle croit reconnaître Hortense, désormais âgée de 22 ans. Sophie en est certaine, elle a bien reconnu sa fille! Elle la suit jusqu’à l’hôtel où elle travaille et y retournera chaque soir. D’abord pour avoir une confirmation, ensuite pour réfléchir à la façon de présenter la chose à sa tendre petite…

Je suis essoufflée. Est-ce de pluie ou de sueur, mon visage ruisselle. Je dois être écarlate, et mes cheveux trempés sont une ruine. Il faut que je reprenne mes esprits et que je me rajuste avant de tenter quoi que ce soit. Je ne peux pas me présenter à elle dans l’état où je suis. Elle me prendrait pour une folle.

Mais je l’ai retrouvée. J’exulte, tout en étant saisie de panique. Il ne faut pas que je la perde. Ce serait trop injuste. (p.59)

Voilà encore un roman Sonatine très prenant et réussi! Je n’avais encore jamais lu Jacques Expert, mais avais entendu beaucoup de bien de ses talents de conteur. Une chose est certaine, il fait preuve avec « Hortense », d’une juste maîtrise du suspens et du dénouement.

« Hortense » est captivant dès le départ! Et pourtant, je n’ai pas du tout développé d’empathie pour cette mère anéantie. Malgré ce terrible chagrin qui la touche, Sophie ne possède pas de capital sympathie ni de sensibilité particulière. J’ai également trouvé le style froid, ce qui a nécessairement mis une distance avec les personnages. Cette jeune fille, prénommée Emmanuelle, que Sophie retrouve en rue est également bien mystérieuse. C’est ce petit jeu de confusion constante que j’ai surtout apprécié dans ce roman. Jamais on n’arrive à se dire s’il s’agit bien d’Hortense. Il y a un toujours un indice qui fait peser notre ressenti d’un côté ou de l’autre de la balance.

Tous les ingrédients sont réunis pour ne pas s’ennuyer une seule seconde avec ce livre entre les mains. Surtout avec un dénouement aussi inattendu que spectaculaire!

J’ai dernière acheté « Deux gouttes d’eau » du même auteur, très réussi également paraît-il!

Jacques Expert, « Hortense », Editions Sonatine, 2016, 319 pages

« Tout n’est pas perdu » de Wendy Walker

Après avoir découvert le très beau roman de Celeste Ng, j’ai enchaîné avec une autre publication de Sonatine, parue il y a quelques mois. Alors que le premier est plutôt lent, très psychologique et basé sur les non-dits au sein d’une famille, ce titre-ci offre beaucoup plus de suspens, de questionnements, de remises en doute, de la belle manipulation comme je l’apprécie dans ce genre de « page-turner ».

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Dans le village de Fairview situé dans le Connecticut, un fait divers atroce va bouleverser la quiétude habituelle des lieux, et ses habitants. Au moment où une soirée réunissait la plupart des jeunes de l’école de Fairview, Jenny Kramer, 16 ans, se faisait sauvagement violer dans le bois juste à côté du rendez-vous festif. Un événement écœurant, d’une violence sans nom, revu dans les moindres détails par le narrateur de l’histoire. Ce narrateur, il s’agit d’un psychiatre de Fairview, Alan Forrester, qui a très vite été chargé du dossier. Jenny a en effet survécu, physiquement en tout cas, à ce qui lui est arrivé, mais pour ce qui est du mental, rien ne peut effacer pareil acte. Et pourtant, très rapidement après son admission à l’hôpital, les médecins ont pris la décision, avec ses parents, de lui administrer un traitement qui est reconnu efficace pour supprimer complètement du cerveau le moindre souvenir d’un événement bouleversant, comme un viol. Mais quelques mois après cette intervention, et le retour à la maison de Jenny, le psychiatre est contacté car la jeune fille n’arrive évidement pas à passer au-dessus de ça. Tel que le conçoit le traitement, elle n’a en effet plus aucun souvenir du viol en lui-même, ni de son agresseur, ni des circonstances, etc, mais elle ressent des choses. Comme si son corps et son cerveau n’avaient su balayer définitivement les émotions liées à l’acte. Il s’agit donc là d’un traumatisme purement émotionnel, et non factuel, lié à quelque chose qu’elle ne peut se rappeler. Le lecteur est ainsi face à une jeune fille complètement désorientée, incomprise, seule avec ses « fantômes » qu’elle sent au fond d’elle. Le doigt est mis sur les limites du traitement, en ajoutant à cela un manque cruel de témoignages et d’indices qui accéléreraient indéniablement l’enquête. Forrester se lance donc dans ce travail de longue haleine pour ouvrir les tiroirs de la mémoire de Jenny et tenter de remettre, avec elle, les images, les odeurs et les sons de cette terrible soirée. En parallèle, il suit également les parents de la jeune fille, évidement marqués par ce qui lui arrive. Dans le cabinet du psychiatre, chaque protagoniste laisse s’échapper leurs propres démons, et jette le voile sur les failles d’une famille en apparence soudée. Difficile en effet de trouver sa place à la maison en ce moment, entre le besoin de régler ses comptes avec soi-même, et l’envie irrépressible de trouver le coupable, rendre justice, et tourner enfin la page.

Dans ce roman, ce qui frappe le lecteur dès les premières phrases, c’est le style narratif opté par l’auteure, que j’ai trouvé tout simplement fabuleux. Alan Forrester, le psychiatre, relate les faits et les séances qu’il réalise avec les Kramer, de façon presque objective et extérieure. Il décrit méthodiquement les mécanismes du cerveau humain et de la mémoire, en s’appuyant sur le cas de Jenny et d’anciens patients, comme s’il s’adressait à un enquêteur, ou plutôt, tel que je l’ai perçu, au lecteur. Je me suis dès lors immédiatement senti impliquée, et bien « dans » le récit. Passé cet aspect très « protocolaire » et médical du témoignage, ce médecin à la déontologie qui semble presque irréprochable va commencer, contre toutes attentes, à partager ses ressentis. Que les choses soient claires, j’ai adoré ce personnage! Mais je n’en dirai pas plus…

« Tout n’est pas perdu » est particulièrement efficace, et rempli les attentes du lecteur qui se tourne vers ce genre de littérature: c’est un incroyable « page-turner » au côté addictif très marqué – et marquant! L’intrigue, rythmée par les nombreux rebondissements et surprises, se dénoue de façon constante à chaque chapitre. Et le suspens reste à son comble jusqu’à la fin, laissant un lecteur à la limite de l’hystérie (je parle de moi ^^) une fois le livre refermé.

Autre élément fort apprécié, est la crédibilité de la méthode imaginée par Wendy Walker, de l’effacement des souvenirs, qui ne paraît finalement pas si farfelu que cela. Elle le précise d’ailleurs dans quelques notes à la fin du bouquin.

« Tout n’est pas perdu » m’a fait vivre des émotions incroyables, du stress, et surtout beaucoup d’empressement à poursuivre la lecture et connaître la suite de l’histoire. L’auteure fait preuve d’une grande maîtrise, d’inventivité et d’audace! Je suis ravie de son adaptation au cinéma qui est déjà au programme!

Wendy Walker, « Tout n’est pas perdu » (traduit par Fabrice Pointeau), Editions Sonatine, 2016, 352 pages.