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« Le Dragon déchaîné » d’Effel

A quelque jours de la Ducasse de Mons, l’ambiance torride et bon enfant prend doucement place. Les premières notes de l’hymne local, le « Doudou », s’élèvent au détour des rues à pavés. Les montois qui attendent cet événement depuis un an sont impatients de démarrer ces Prévisualiser les modifications (s’ouvre dans une nouvelle fenêtre)nouvelles festivités, bien connues dans la région. Pour la petite info, la Ducasse de Mons est un événement qui mêle le folklore festif au protocole religieux, qui fut reconnue patrimoine immatérielle de l’Unesco en 2005. C’est LE rendez-vous incontournable, avec comme apogée le combat dit Lumeçon qui se déroule le dimanche de la Trinité. Saint Georges se livre à une lutte sans merci durant pratiquement 45 minutes avec le Dragon venu menacer la cité. L’opposition entre le Bien et le Mal, pour la survie de la ville et de ses habitants.

Mais un fait bien plus dramatique vient tout juste de frapper le cercle très fermé de la réalisation du combat : Saint Georges, ou plutôt celui qui l’incarne, Gabriel Degand, vient d’être retrouvé mort. On apprend rapidement grâce à l’autopsie qu’il s’agit d’un meurtre. Tout le petit monde qui entoure le Combat est choqué, mais aussi très inquiet pour le déroulement de cette nouvelle édition.

Arthur Rémy, journaliste local à « La Voix de Mons » est mis sur l’affaire. Il a pour mission de s’immiscer dans l’équipe de réalisation du Lumeçon, avec l’aide précieuse de son vieil ami Didier Renuart, commissaire à la police locale. L’objectif, savoir qui est l’auteur de ce drame, un certain Dragon déchaîné, et surtout, déjouer l’autre coup qu’il prépare pour le jour J, celui du Combat.

Au fil des interviews et du temps passé dans cette drôle de « famille », l’enquête suit doucement son cours. Arthur et son acolyte découvrent, de l’intérieur, l’organisation si minutieuse de cette fête populaire. Ils restent en éveil pour déceler la moindre piste qui pourrait compromettre la menace, très sérieuse, du Dragon déchaîné.

Je ne vais pas vous le cacher plus longtemps, je connais bien l’auteur de ce premier roman belge! Et commencer son livre fut un énorme plaisir car j’y ai retrouvé sa plume soignée, son humour subtil, ses clins d’œil à un environnement qui m’est familier. Mais tout n’était pas forcément joué!

J’ai directement plongé dans cette enquête qui se passe en plein cœur de l’organisation du Lumeçon grâce à un style particulièrement prenant. Même si l’auteur se doit de rappeler les moments clefs du folklore montois, dans un esprit de bienveillance pour les lecteurs qui ne le connaissent pas, cela ne m’a pas dérangée car l’enquête journalistique et policière surplombe cet aspect plus descriptif. J’ai particulièrement apprécié le duo Rémy/Renuart qui est complémentaire et attachant. Le rythme est haletant : on alterne entre les rencontres du journaliste, et le déroulement des ultimes jours qui précèdent le fameux dimanche où le Dragon Déchaîné a prévu une nouvelle fois d’attaquer. Effel mêle folklore, ambiance, ce petit grain de folie propre à la Ducasse de Mons, et les éléments policiers. Tout cela forme un tout agréable à lire et addictif. On a envie de savoir qui se cache derrière ce Dragon Déchaîné!

C’est une immersion totale dans un folklore unique, tout à fait accessible aux non-montois. Suivre l’enquête dans cette atmosphère festive est un parti pris original, et réussi pour ma part. Par ailleurs, l’auteur fait preuve d’une grande connaissance de la Ducasse, tant sur le plan historique que religieux. On sent toute la passion qui l’anime autour du sujet! Il le transmet en tout cas à ses lecteurs.

Un très chouette premier roman, particulièrement maîtrisé. Il faut dire, l’auteur a mis 4 ans pour l’écrire! Je vous invite chaudement à vous plonger à votre tour dans cette ambiance et à vous laisser embarquer au fil des pensées d’Arthur Rémy!

Le « Dragon Déchaîné » fut finaliste du Prix Fintro, un prix belge qui récompense les premiers romans polar. 2017 était la première édition et la suivante est d’ores et déjà prévue.

Effel, « Le Dragon déchaîné », 180° éditions, 2017, 300 pages

Une lecture inscrite au rendez-vous « Mauvais genre » du mois belge organisé par Anne

« Rose cochon » de Clémence Sabbagh et Françoise Rogier

Avec cet album, j’avais envie de vous présenter le magnifique travail d’illustratrice de Françoise Rogier. Son créneau, c’est le loup. A mes yeux, son loup fait partie de ceux les plus réussis dans la littérature jeunesse. Il est précis, toujours en rouge et noir, il a un petit côté sympa tout en gardant son visage de prédateur. Mais le talent de Françoise Rogier ne se traduit pas uniquement à travers son loup. J’adore tout ce qu’elle fait! Je trouve son style assez épuré, j’aime les couleurs qu’elle choisi. On sent aussi à travers ses titres une vraie passion pour les contes. Bref, je suis fan!

Je vous présente son dernier album sorti aux éditions A pas de loups, maison d’édition belge que j’apprécie beaucoup également. Le texte de ce titre est de Clémence Sabbagh, qui est française.

Pour son anniversaire Héloïse souhaite avoir un animal de compagnie. Très naturellement, son choix se porte pour un cochon! Rien que la déco de sa chambre traduit sa passion pour l’animal rose. Mais au fur et à mesure qu’elle en parle à ses amis, ils la dissuadent d’un tel choix : un cochon, ça grogne, ça sent mauvais, c’est gros… Ses camarades n’ont peut-être pas tort, Héloïse doit donc opter pour un autre animal!

En passant en revue les potentiels animaux de compagnie, on se balade au fil des contes classiques.

Cet album est un coup de cœur et le lit et le relit très régulièrement à la maison. A chaque fois qu’on l’ouvre, je découvre des éléments nouveaux dans les superbes dessins de Françoise Rogier. Je pourrai rester à les contempler pendant un bout de temps. Le scénario est aussi très sympa, il parle aux enfants qui peuvent facilement s’identifier à Héloïse.

J’ai eu le chance de rencontrer Françoise Rogier à la Foire du Livre de Bruxelles en février dernier et elle m’a confié ne pas avoir du tout rencontré Clémence Sabbagh pour cet album. Une symbiose s’est produite assez vite, à travers le mail et cela donne ce très beau résultat. A ce qu’elle m’a confié… une nouvelle collaboration devrait voir le jour!

Clémence Sabbagh (textes) et Françoise Rogier (dessins), « Rose cochon », Éditions A pas de loups, 2017, 40 pages

Une lecture inscrite au rendez-vous jeunesse dans le cadre du mois belge organisé par Anne

 

« Et tous seront surpris » de Monique Persoons

Cela faisait bien longtemps que je n’avais plus lu de nouvelles, et ce recueil trônait sur ma bibliothèque depuis bien 2 ans!

Dans son premier recueil, Monique Persoons met en scène dans un humour noir, des moments de vie qui basculent. Les personnages sont, ou meurtris, ou en colère, ou encore jaloux. Et l’ultime décision qu’ils prennent, contre toute attente, ont la particularité de surprendre. Oui, le créneau de ce recueil passionnant est d’offrir aux lecteurs un virage à 360° à la fin de chaque histoire! Grâce à ce procédé, mais aussi parce que Monique Persoons arrive à nous embarquer dès les premiers mots dans ses histoires parfois bien déjantées, j’ai été littéralement captivée!

J’ai beaucoup apprécié l’humour omniprésent, qui joue sur le cynisme et le désespoir du personnage principal (bien souvent, une narratrice). Le style est fluide, les histoires se lisent à une vitesse folle. Elles sont courtes, élément que j’apprécie particulière dans le genre. Monique Persoons démontre toute son efficacité car en 3-4 pages par histoire, elle nous plonge dans une ambiance particulière, énigmatique, qui tient en haleine du premier au dernier mot.

J’ai également aimé les personnages, des gens ordinaires à la vie des plus banale. Ils sont lassés de cette (in)existence et cherche l’élément déclencheur pour changer la donne.

La surprise fut au rendez-vous dès la première histoire intitulée « Résurgence », que j’ai trouvé très réussie. Un excellent coup d’envoi!

Quelques nouvelles se distinguent parce qu’elles sont plus chargées en émotions. Je pense à « Un cercueil verni », qui m’a profondément remuée. D’autres sont vraiment comiques, ou plutôt ironiques. A travers des sujets comme les réseaux sociaux, l’infidélité, le mariage qui bat de l’aile, l’auteure met à mal les « vieux couples ». Un autre thème se retrouve dans la majorité des nouvelles, c’est la mort. Mais ne craignez pas le côté plombant! Les personnages sont malmenés, les issues sont rarement positives, mais c’est tantôt drôle, tantôt explosif.

Monique Persoons a créé une vraie belle surprise en moi, ce recueil m’a beaucoup amusée. Ceci dit, j’ai été très rarement déçue des recueils publiés par Quadrature…

Monique Persoons, « Et tous seront surpris », Editions Quadrature, 2016, 125 pages

Une lecture inscrite au rendez-vous de la nouvelle dans le cadre du mois belge organisé par Anne

 

Bilan lectures – Février 2018

Un bilan un peu maigre à nouveau pour ce mois de février, mais en parallèle, j’ai bien avancé dans la constitution de mes piles et dans la priorisation de mes futures lectures.

Tour d’horizon…

Les romans

Commencé en janvier, je l’ai enfin terminé en février : « Dans la forêt » de Jean Heagland, un titre qu’on a énormément vu en 2017 sur les blogs. Je l’ai trouvé lent, mais c’est cette même ambiance qui a réussi à me captiver jusqu’au bout. Et puis, c’est aussi une merveilleuse histoire de soeurs.

Il y a aussi eu du belge en février! Le premier roman de Sébastien Ministru « Apprendre à lire« , reçu pour mon anniversaire début du mois, m’a enchantée et beaucoup émue. L’écriture sobre et aux apparences plutôt froides, a été un pur délice. A découvrir absolument!

Les bandes dessinées

La découverte d’une série IN-CON-TOUR-NA-BLE dans le domaine de la BD : celle des Vieux fourneaux.

J’ai rigolé, j’ai passé un bon moment, j’ai eu la pêche, en lisant les 2 premiers tomes. Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas encore lue, je vous la conseille vraiment. C’est frais et drôle. Ces petits vieux sont très attachants. Au programme en mars  : les tomes 3 et 4.

PAL et projets

Si durant le mois de janvier, ma PAL urgente n’a pas changé d’un iota, il en a été tout autrement en février! Mais j’ai une bonne excuse:  le rendez-vous incontournable de la Foire du Livre de Bruxelles! J’ai fait le plein en littérature québécoise, il y a aussi eu du belge, des prêts de la part de Marie-Claude, des échanges avec Fanny. 3 autres titres ont rejoint mes étagères, en dehors de cet événement : « La tristesse des éléphants« , « Banquises » et « Tijuana Straits« .

Que du bon!!!

Quant aux projets à venir, ils sont nombreux et plutôt de bonne augure : épinglons d’emblée la 5ème édition du Mois Belge, organisé par ma compatriote Anne. Je dédierai un article spécifique à ce sujet, avec présentation de ma PAL belge. Il n’y aura que des titres issus de ma bibliothèque, ce qui me remplit de fierté 🙂

Au mois de mai, Marie-Claude et Electra se lancent dans l’organisation de leur premier mois thématique. C’est la nouvelle qui sera mise à l’honneur! Un format que j’apprécie particulièrement, et ce ne sont pas les titres qui manquent chez moi. Hop, une petite liste déjà effectuée. Objectif à nouveau : faire sortir des livres de ma PAL!

Du coup, l’un dans l’autre, beaucoup de nouveaux livres sont arrivés chez moi, mais beaucoup vont sortir aussi!

Merci pour vos commentaires laissés sur mon premier billet-bilan. Même si je n’ai pour le moment pas énormément de titres à présenter, cet exercice de faire le point autant sur sa PAL et que sur ses lectures et projets, me plaît beaucoup.

« La Grande Ourse » de Carl Norac (texte) et Kitty Crowther (dessins)

Que se passerait-il si la Grande Ourse se détachait du ciel pour venir voir ce qu’il se passe sur la Terre?

C’est très symboliquement que Carl Norac envisage les tourments qui apparaîtraient si pareille chose se produisait! Avec les beaux dessins de Kitty Crowther, ils arrivent tous deux à imaginer une réelle ourse, en train de voyager sur la terre, pendant que le reste du système solaire s’affole : le soleil se rapproche pour voir ce qu’il se passe, les habitants ont d’un coup très très chaud; déboussolée, la terre refuserait de tourner plongeant une moitié du monde dans le noir complet, et l’autre moitié continuellement dans le jour. Les terriens essaieraient de convaincre la Grande Ourse de rejoindre les autres étoiles, mais en vain : elle se plaît trop bien sur la terre ferme!

Le monde poétique de Carl Norac à nouveau entre mes mains, accompagné cette fois-ci de la talentueuse et illustratrice belge Kitty Crowther. Sans réellement comprendre l’enchaînement des faits, mon bonhomme de bientôt 4 ans s’est amusé des réactions que la balade de la grande ourse provoquait. Pour les plus âgés, cette histoire, aux allures féériques, permet d’expliquer que chaque chose dans le monde a une place précise et que si l’une d’elle bouge, c’est le reste qui en est bouleversé.

J’ai beaucoup aimé le format du livre, qui offre de grandes pages et de superbes illustrations. C’est tout doux, rigolo. Une bien jolie histoire!

 

Cinquième et dernière contribution au mois belge d’Anne et Mina!

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Carl Norac (texte) et Kitty Crowther (dessins), « La Grande Ourse », Éditions École des Loisirs, collection Pastel, 1999, 30 pages

« Je n’ai rien vu venir » d’Eva Kavian

Faut-il tomber au plus bas de l’échelle sociale pour être dans le monde réel? (p.86)

A 68 ans, Jacques doit se rendre à l’évidence : il a besoin d’aide. Après la faillite de l’entreprise pour laquelle il travaillait, les ennuis se sont enchaînés. Les factures impayées ont entraîné la coupure du gaz, de l’électricité. Ce monsieur a du ensuite vendre ses livres pour pouvoir manger, et finalement quitter son logement qu’il louait. A la rue depuis plusieurs jours, il se tourne bon gré mal gré vers une résidence située à Namur qui abrite des sans-abri. Il n’a pas d’autres mots : « Je n’ai rien vu venir ». Jamais il n’aurait pensé que ça pouvait un jour lui arriver. Malgré cet échec, Jacques garde sa fierté et refuse qu’on le compare aux autres pensionnaires. Il partagera une chambre avec 3 autres personnalités bien trempées. Il y a tout d’abord Momo, trentenaire hyperactif, toujours soucieux à se rendre utile aussi bien à la résidence que pour ses collègues. Filleul Royal, au passé troublant et qui a déjà essayé de se suicider plusieurs fois. Et enfin Ramon, qui noie son chagrin dans la boisson. Mais derrière chacun de ces visages traumatisés par une expérience douloureuse, se cache une âme sensible, une volonté de s’en sortir malgré tout et une générosité sans limite. Petit à petit, les préjugés de Jacques vont tomber, il se rendra compte qu’être sans-abri n’est pas une maladie et que pour beaucoup, ce sont les rencontres, l’environnement extérieur ou simplement un mauvais destin, qui les ont mis sur cette voie. Il va s’ouvrir aux autres, apprendre à aller au-delà de l’apparence et du mot « sans-abri », comprendre réellement ce qui lui arrive, et se retrouvera bien plus changé qu’il ne pouvait l’espérer.

Il n’en a pas l’air comme ça, mais ce court roman soulève bon nombre d’interrogations et sans le faire directement, Eva Kavian donne à son lecteur/sa lectrice, l’envie de réagir. Elle arrive notamment à y glisser un manque d’accompagnement des résidents dans leur projet de vie de la part des équipes éducatives, ainsi qu’une carence flagrante dans les aides disponibles à l’extérieur. La voix des travailleurs sociaux s’élèvent de temps en temps au cours du récit, pour faire le point sur les personnes qu’ils suivent, et qui se résument soit par des questions, soit par un appel à l’aide. L’auteure précise bien que son livre détient une part de réel, observée sur le terrain, mais qu’il s’agit d’une fiction.

Je n’ai pas pensé le mot solution après le mot abri. Trouver un abri était une solution. (p.11)

Malgré la tristesse du sujet, il y a une sorte de « good-feeling » qui se dégage de cette histoire. Ce sentiment est sans aucun doute liée aux personnages qui véhiculent de chouettes valeurs d’entraide, de solidarité. Ils donnent vraiment à réfléchir, à relativiser notre propre vie. Ils n’ont rien, leur avenir n’est pas très optimiste, et pourtant ils ne perdent ni la foi en l’humain, ni l’espoir de sortir de là un jour et de reprendre les rails d’une vie « normale ». On se sent bien dans cette résidence, on aime découvrir leur quotidien, leurs anecdotes. Des scènes soulèvent même quelques sourires. Il n’y pas de calcul, ni d’à priori entre eux, ils parlent comme ils pensent. Je n’avais pas envie de les quitter, c’est bons hommes de la résidence.

Comme ce fut le cas avec « Ma mère à l’Ouest » qui est axé jeunesse, contrairement à ce titre-ci, l’auteure belge aborde des sujets de société graves, mais avec finesse et sans jamais alourdir l’ambiance. Je repense d’ailleurs au beau roman de la québécoise Sophie Bienvenu sur le même sujet, avec un personnage central beaucoup plus jeune, qui m’avait tout autant remuée. Avec une légère préférence pour « Je n’ai rien vu venir », pour cette part d’humanité plus développée, et ses personnages attendrissants. Je suis très contente de l’avoir sorti de ma bibliothèque à l’occasion du mois belge.

Une fois encore, j’ai aimé ses mots, son style fluide, touchant et marquant. Je vous le conseille, juste pour connaître le temps de quelques pages le quotidien de ces hommes et ces femmes que l’on croise chaque jour, et qui se fondent aujourd’hui dans le décor.

Merci à Mina qui m’a offert ce roman il y a 2 ans!

Quatrième contribution au mois belge d’Anne et Mina!

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Eva Kavian, « Je n’ai rien vu venir », Editions Weyrich, collection Plumes du Coq, 2015, 128 pages

« Rue des amours » de Carl Norac (textes) et Carole Chaix (dessins)

Au fond, ma rue est pareille à un petit pays, même s’il n’y a pas la mer. Dans la ville grise, je vois aussi des couleurs.

Comment une rue peut-elle être aussi grise, avec un joli nom tel que « la rue des Amours »? La jeune narratrice de cet album se pose la question. Elle va alors nous inviter, nous lecteurs et lectrices, à se balader parmi les maisons et immeubles du quartier, tout en s’interrogeant sur la quantité d’amour qui peut avoir dans chacune de ces habitations.

Carl Norac et Carole Chaix signent ici le mariage parfait entre un texte à la fois innocent et réaliste, et des dessins qui les illuminent. Les deux éléments se combinent à merveille, l’un rendant grâce à l’autre, toujours très justement.

C’est à pas feutrés que nous entrons chez ces personnes, qui présentent une caractéristique qui a sauté aux yeux de la raconteuse. Une passion, une humeur, un parcours, une habitude. J’ai aimé m’interroger sur cet aspect que l’on retient au premier coup d’œil, d’une personne que l’on rencontre.

Cela donne une galerie de portraits éclectiques qui prennent vie sous la superbe plume poétique de Carl Norac. Les textes sont doux, certains renferment un soupçon de naïveté qui m’a fait sourire. D’autres sont un peu plus graves, et lèvent un voile sur la part plus solitaire de la personne présentée. C’est ceux-là qui m’ont le plus touchée :

Monsieur Daily Mirror est mon voisin d’en face. Souvent, je le vois par la fenêtre : il se parle à lui-même. Dans son appartement, il a placé beaucoup de miroirs. Dès qu’il entre chez lui, il est plusieurs. (…)

Cependant, il y a toujours un court moment où je le vois, tristement, jeter un coup d’oeil à une photo. Dans ce petit cadre, derrière la vitre sans reflets, il est assis sur un banc, tout seul.

 

Je trouve que c’est un ouvrage qui donne envie de se poser, même quelques secondes, sur toutes ces personnes que l’on croise, et d’en savoir plus sur ce qui rythme leur vie. Sont-ils heureux? Sont-ils aimés? Ont-ils des projets? Que font-ils de leurs journées? Je pense que ça colorerait un peu plus le monde qui nous entoure, comme dans ce superbe « Rue des Amours ».

Carl Norac (textes) et Carole Chaix (illustrations), « Rue des Amours », Éditions A pas de loups, 2016, 72 pages

Dès 8 ans

Troisième contribution au mois belge d’Anne et Mina!

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Le très beau billet de Fanny qui a aussi succombé au charme de cette rue, dans la réalité, proche de chez elle en plus!

Un mot enfin sur la maison d’édition jeunesse et belge « A pas de loups » qui propose un éventail d’ouvrages aussi beaux qu’originaux. Leurs albums sont des objets de qualité, aux formats variés. Et je trouve que l’harmonie entre l’auteur et l’illustrateur est à chaque fois très juste. C’est un gros coup de cœur donc pour cette maison, que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors de la foire du livre de Bruxelles et dont je vous présenterai tout bientôt un autre bijou!

« Le Ouistiti » de Myriam Mallié (texte) et Gianluigi Toccafondo (dessins)

A mes yeux, les contes, ils sont destinés aux enfants. Ils sont soufflés juste avant d’aller dormir, pour rêver, ou pour vivre pendant quelques minutes une aventure extraordinaire. Mais ce conte-ci, je ne le mettrais pas entre les mains d’un petit, croyez-moi! J’ai d’ailleurs moi-même frissonné à cette lecture!

Dans ce conte des frères Grimm, la princesse n’a rien de gentil. La beauté, elle semble l’avoir. Mais elle fait peur, elle ne se mêle pas aux gens et pique des crises d’humeur toute seule dans sa tour où elle s’est enfermée. Tout en hauteur, composée de 12 fenêtres, elle lui offre une vue complète et très détaillée de ce qui se passe dans le village. Et qu’est-ce qu’elle y fait dans cette tour? Elle regarde.

La tour lui avait paru soudain désirable. Un ailleurs possible, un lieu de protection, une chambre forte. Un atelier aussi, où étudier, écrire, peindre, dessiner. Un retour vers des lieux d’enfance, des sentiments et des souvenirs perdus. (p.11)

Elle espère l’amour aussi… Mais ses prétendants, elle les invite à se cacher. Si elle les trouve, elle les tue. Et comme elle a un œil partout, les malheureux sont souvent décapités. Jusqu’au jour où trois frères tentent de conquérir son cœur.

Il s’agit d’un conte que je ne connais pas et que j’ai découvert sous la plume de Myriam Mallié, grâce à Mina. Une plume différente, qui réinvente certains mots. Un style saccadé, par des retours à la ligne fréquents et des répétitions nombreuses.

Étonnante image de la méchante princesse qui tue les hommes qui n’arrivent pas à se cacher. On sent malgré tout un profond mal-être chez elle et l’espoir de voir sa vie prendre un autre tournant. Ce tournant, elle pense le connaître grâce à l’amour. Mais elle n’y croit pas, à l’amour.

Cette histoire de princesse perchée en haut de sa tour m’a fait voyager, m’a emmenée dans un lieu qui ne ressemble à aucun autre. L’ambiance générale sombre, un peu effrayante aussi, est accentuée par des illustrations tout aussi « bizarres », faites de collages et de mélange de genres.

J’ai été emportée par les mots de Myriam Mallié, ce sont des mots que j’aurais d’ailleurs aimé écouter. Car un conte, ça se raconte surtout. C’est vraiment la découverte d’une plume que je réalise avec ce court texte, et un « presque » retour en enfance! Un plaisir retrouvé également avec Esperluète, ce format très agréable et toujours cette qualité de papier et de présentation.

Seconde contribution cette année au mois belge d’Anne et Mina!

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Myriam Mallié (textes) et Gianluigi Toccafondo (illustrations), « Le Ouistiti », Éditions Esperluète, 2013, 62 pages

« Petite fantôme » de Mathilde Alet

Quand on a une grande soeur, on passe les quinze premières années de sa vie à essayer de lui ressembler et les suivantes à essayer d’être différente. (p.102)

Pour cette quatrième édition du mois belge, je renoue avec Mathilde Alet et sa « Petite fantôme », dont j’avais apprécié le premier roman « Mon lapin« .

Gil et Jo sont deux sœurs qui ne sont pas spécialement proches. Deux mode de vie différents, deux personnalités qui s’harmonisent peu. Pourtant, elles tiennent à leur rendez-vous hebdomadaire : tous les mercredis après-midi elles se retrouvent au café Les trois compères, qu’elles ont rebaptisé Les deux commères, juste pour passer un moment à elles deux et discuter. Gil est assistante dans un bureau d’avocats et rêve de publier son premier roman intitulé « Troisièmes lundis ». Cela fait un moment maintenant qu’elle essuie bon nombre de lettres de refus. Il lui manque juste un petit quelque chose pour faire adorer ce roman, mais lequel? C’est là que Jo entre en piste et lui sort l’élément déclencheur qui va faire exploser son histoire. Lorsque Gil envoie cette nouvelle version de « Troisièmes lundis », bingo! Une éditrice accepte de le publier et il devient un best-seller! Comment les deux sœurs parviendront-elles à vivre ce succès qui leur revient finalement à toutes les deux? Voilà toute la question de ce roman!

Pas de grande surprise avec cette histoire qui malheureusement avait pour moi un aspect de « déjà-vu » puisqu’elle m’a fait très vite penser au titre de Katherine Pancol « Les yeux jaunes des crocodiles ». La trame est identique : alors que Gil est l’auteure de ce « Troisièmes lundis », c’est Jo qui fera la promo du bouquin. A ce détail près que Gil a voulu utiliser un pseudo pour son roman. Esther Egova. Qui est donc incarnée par sa grande sœur. Le succès est très rapide et Jo/Esther est prise dans ce tourbillon l’envoyant sur les plateaux télé, aux séances de dédicaces, à de nombreuses interviews. Le fil entre les deux sœurs se détend assez rapidement.

Le début du texte ne m’a pas beaucoup emballée. On assiste aux côté de Gil au début de la rupture avec sa sœur, qui lui pose deux lapins consécutifs à leur rendez-vous fétiche du mercredi. Gil est une fille renfermée et solitaire. Dotée d’un pouvoir d’observation particulièrement pointu, elle analyse beaucoup les personnes qui l’entourent, et même les relations avec ses proches. Elle contractualise dans sa tête chaque faits et gestes de ceux qui l’entourent, se sentant uniquement rassurée qu’à travers les habitudes et les règles. C’est une personnalité que j’ai eu du mal à saisir, surtout quand elle embellit la réalité en s’imaginant une version sublimée des personnes qui lui sont cher, comme son petit-ami Arnaud (devenu Arnaud chéri) et sa sœur Jo (dont le pendant plus complice est appelé Joséphine).

Il s’est cependant produit un revirement qui m’a happée, lorsque le sujet a commencé à être réellement développé, où les personnages ont pris place de façon plus concrète et surtout où j’ai mieux appréhendé la personnalité de Gil. C’est là que j’ai retrouvé la « patte » de Mathilde Alet. J’ai finalement trouvé cette relation triangulaire intéressante, entre l’Auteure/Gil, le Visage/Jo et Esther Egova. J’ai apprécié voir à quel point elle grignote petit à petit le peu de complicité qui restait entre les sœurs, larguant Gil au titre de « Petite fantôme ».

Par la présente convention, la petite fantôme s’engage à demeurer invisible. Seuls sont autorisés à apparaître ses mots, sans que ces derniers puissent lui être attribués. En toute circonstance, la petite fantôme se tait. (p.100)

Décortiquer les relations familiales qui sombrent est ce que réussit le mieux Mathilde Alet. Cela avait été le cas avec « Mon lapin ». Avec ces deux sœurs, qui sont unies contractuellement et dont les menus liens affectifs tiennent surtout de la nostalgie des souvenirs, elle arrive à présenter une relation qui tend à disparaître sur base de non-dits, sans jamais dramatiser. Et c’est justement ce point qui est appréciable. Elle ne tombe pas dans la tristesse, mais le fait plutôt naturellement, presque comme une fatalité. Ayant moi-même une sœur, ce récit m’a parlé.

La jeune auteure franco-belge offre de jolies phrases sur la relation fraternelle, les souvenirs, et les liens qui s’étiolent. Un sujet de fond finalement loin d’être anodin, sur la création littéraire, l’origine véritable d’un roman – est-ce celui qui écrit ou celui qui apporte les idées? Et une très belle balade dans les rues de Bruxelles avec des descriptions rendant hommage à l’ambiance bon-vivant et multiculturelle de notre capitale.

Finalement, je termine ce roman sur une note assez positive! C’est un second texte qui confirme une écriture singulière, un ton ni enjoué ni sombre, et une vision réaliste mais non-dramatique des relations familiales complexes.

Première contribution cette année au mois belge d’Anne et Mina!

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Mathilde Alet, « Petite fantôme », Éditions Luce Wilquin, 2016, 152 pages

4ème saison du Mois belge

Dans un peu plus d’une semaine débutera la nouvelle saison du Mois belge, initiée par mes compatriotes et copines Anne et Mina! Cette année, Anne reprend les rennes toute seule comme une grande, avec malgré tout le petit nez de Mina qui pointera ci et là 😉 C’est une organisation que je n’ai jamais manquée depuis son lancement. Elle m’a permis de découvrir de petites pépites de notre littérature belge, des maisons d’édition dont je ne loupe désormais aucune sortie, des auteurs que j’ai parfois eu la chance de rencontrer, des titres qui m’ont fait rêver. Le Mois belge, ce n’est pas seulement un challenge littéraire de la blogosphère, c’est vraiment l’occasion de mettre en lumière les trésors de notre petit pays, tout ce qui participe à son charme et qui entretient sa particularité (je ne dirais pas surréalisme) aux yeux du monde entier. Gastronomie, musique, cinéma, art, culture, les billets qui s’inscriront dans ce mois thématique permettront à tous de se rendre compte de notre richesse.

Vous l’aurez compris, c’est un rendez-vous que je manquerais pas, même si mes précédentes participations ne sont pas tout à fait équilibrées. Je tiens à y être et à lire pendant ce mois d’avril du belge!

Au menu de cette édition 2017

« Ouistiti », un conte repéré l’année passée et prêté par Mina, édité chez Esperluète que j’apprécie particulièrement.

Le dernier roman pour adultes d’Eva Kavian, « Je n’ai rien vu venir », offert également par Mina pour mon anniversaire l’année passée 🙂

Un recueil de nouvelles Quadrature est incontournable ! Cette année, je jette mon dévolu sur « Et tous seront surpris » de Monique Persoons.

Enfin, le mois belge n’est pas un bon mois belge sans un Luce Wilquin! Je l’ai trouvé tout à fait par hasard lundi dernier en flânant en ville : « Monsieur a la migraine » de Valérie Cohen, une auteure hyper sympa que je rencontre 2x par an et avec qui je discute volontiers.

En accompagnement, il y aura un ou deux albums jeunesse. Comme à la maison, ce n’est absolument pas ce qu’il manque, je piocherai en temps voulu. Je peux simplement vous dévoiler qu’il y a aura un Pierre Coran (Fanny 😉 ).

J’espère tenir ce petit programme, et si ce n’est pas possible, le principal est que le coeur y est!

Pour celles et ceux qui seraient intéressés à nous rejoindre, même avec une toute petite lecture, toutes les infos se trouvent chez Anne dans ce billet de lancement. Elle y a aussi répertorié de nombreux titres belges, en cas de manque d’inspiration ou d’idées! Il y a un groupe (fermé) facebook pour partager les lectures, billets et autres infos en référence au thème.

Enfin, vous pouvez découvrir mes précédentes lectures via le mot-clef « Mois belge » repris dans les principaux tags.

A très vite 😉