« Apprendre à lire » de Sébastien Ministru

Aussitôt reçu en cadeau, aussitôt lu!

Je connais l’homme de radio, le journaliste, le chroniqueur littéraire… en ouvrant « Apprendre à lire », je m’apprêtais à découvrir une nouvelle casquette de Sébastien Ministru, celle d’écrivain.

Pour ce premier roman, il a opté pour l’intime.

Antoine, la soixantaine, est directeur de presse. L’image du patron antipathique et froid lui colle à la peau, même en dehors du boulot. Mais derrière cet homme limite méprisant se cache une blessure d’enfance : la mort de sa maman alors qu’il était tout jeune. Après cette épreuve douloureuse et réellement choquante, Antoine a continué à vivre sous le même toit que son père, mais plus aucun échange ne passait entre eux.

Après avoir fait de longues années sans se parler, l’homme se rend aujourd’hui une fois par semaine chez son père de 80 ans avec qlequel les contacts restent froids mais cordiaux. Du coup, Antoine est très surpris le jour où son père lui fait part d’une demande improbable, qui lui vient de loin : lui apprendre à lire et à écrire. Originaire de Sardaigne, le père d’Antoine a eu une enfance pas facile avec un père dur, pas compréhensif du tout,  qui l’a envoyé s’occuper de les moutons plutôt qu’à l’école. Difficile d’imaginer que ce manque d’instruction a été vécu comme un réel handicap pour ce vieux qui, tout au long de sa vie, n’a jamais laissé transparaitre aucune émotion pas même envers son fils unique. Après avoir avalé le morceau, Antoine essaie donc tant bien que mal à enseigner la lecture à son « vieux ». Il y voit surtout l’opportunité de se rapprocher et de mettre à plat ce qui le tourmente depuis toutes ces années. Mais après avoir essuyé nombre de remarques déplacées et désobligeantes de la part de son élève, Antoine décide d’engager une personne qui endossera ce rôle bien mieux que lui. Il se tourne vers un escort prénommé Ron, récemment rencontré lors d’une brève partie de jambes en l’air que notre narrateur pratique régulièrement.

Avec ce récit, Sébastien Ministru explore un univers différent, plus grave,  de ce qu’il a l’habitude de produire. La voix de son narrateur se veut sobre, singulière. Il porte un regard cynique qui frôle la moquerie, sur les gens et les situations qui l’entourent. Rien de surprenant donc que ce soixantenaire n’ait pas beaucoup d’amis. Seul Alex partage sa vie depuis 30 ans. A eux deux ils forment un couple soudé, mais ce n’est pas grâce au sexe qu’ils ont décidé de proscrire de leur relation (d’où les rencontres avec les escorts).

Cette voix particulière d’un homme qu’on ne peut pas trouver sympathique vous attrape malgré tout et ne vous lâche plus. Ses mots sont chargés d’une grande émotion qui dit les regrets, les peurs et les douleurs. Ce roman aborde la terrible relation entre un père et son fils, relation qui n’en est pas vraiment une car l’amour qui les unit est presque inexistant. Le défi qui se cache derrière la timide demande du patriarche est donc l’occasion rêvée pour faire sortir plus de 30 ans de non-dits.

J’ai aimé l’histoire, mais ce qui m’a le plus séduite est incontestablement cette écriture unique, lourde de sens mais offerte dans une grande retenue. Je suis d’autant plus admirative de ce premier roman que Sébastien Ministru nous a livrés l’avoir écrit sans réfléchir au style, en se laissant aller, en faisant sortir cette histoire largement inspirée de son vécu. Le journaliste et désormais romancier belge fait une nouvelle fois preuve de toute l’étendue de son talent, servi par une plume extraordinaire qu’on lui connaissait déjà à travers ses chroniques. A la différence qu’ici, elle est d’une pudeur extrêmement touchante.

Sébastien Ministru, « Apprendre à lire », Editions Grasset collection Le Courage, 2018, 160 pages

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