Archives du mot-clé Rentrée littéraire 2014

« La fractale des raviolis » de Pierre Raufast

On en avait tellement parlé sur les blogs de ce premier roman que je savais que j’allais le lire. Mais vous me connaissez, je préfère découvrir ces romans-vedettes après tout le monde, une fois que les projecteurs sont redescendus.

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Je n’ai pas été déçue! « La fractale des raviolis » a atteint toutes les promesses lues à son sujet, et avant tout, celui de passer un excellent moment. L’histoire a cette particularité d’avoir été construite sur le même schéma que celui des poupées russes. On commence l’aventure aux côtés de cette épouse dont les doutes sur l’infidélité de son mari se confirment : « Je suis désolée ma chérie, je l’ai sautée par inadvertance ». S’ensuivent alors des envies de meurtre, évidemment, qui n’en aurait pas?! Mais un meurtre qu’on souhaite masquer en un accident, alors qu’un plan machiavélique est déjà en train de se mettre en place sous la forme d’un empoisonnement. Mais comme tout plan qui se prépare minutieusement à l’avance et qu’on attend fébrilement, rien ne se passe comme prévu! Et c’est le point de départ vers d’autres portes qui s’ouvrent les unes à la suite des autres, sur d’autres univers incongrus, que l’auteur a pris soin de lier par un infime élément. J’applaudis d’ailleurs cette cohérence dont fait preuve « La fractale des raviolis » dans l’enchaînement de toutes ces histoires. L’espace-temps est bousculé, le lecteur rencontre des personnages atypiques, comme Paul Sheridan au don improbable de voir le rayonnement infrarouge, de l’écrivain Grimalov qui lutte sans vergogne contre une invasion de rat-taupes, Rémy le grand tacticien, ou encore, l’arnaqueur des cimetières dont le procès offrira plusieurs clefs de compréhension sur l’ensemble. Des histoires qui auraient pu se lire séparément, qui vivent et fonctionnent déjà très bien indépendamment du reste, et qui ont donc cette particularité de s’encastrer à merveille.

C’est inventif, addictif, et bourré d’humour. Pour son premier roman, Pierre Raufast s’est bien certainement amusé en entrant dans ce jeu de boîtes surprises, dont il nous livre les rouages sur son blog. Un plaisir indéniablement partagé avec ses lecteurs. Je me suis RE-GA-LEE, en grande amatrice de pâtes que je suis! L’une de mes plus belles surprises de 2015!

Je vais d’ici quelques jours me plonger avec grand enthousiasme dans son second roman, La variante chilienne, très bien reçu également de la part des lecteurs.

Pierre Raufast, « La fractale des raviolis », Editions Alma, 2014 (Folio, 2015), 234 pages.

« Trente-six chandelles » de Marie-Sabine Roger

« … y a-t-il un gène de la scoumoune? Un allèle de la mistoufle? Un chromosome du manque de pot? » (P.46)

Mortimer Decime, notre narrateur, est arrivé au jour J. Celui de sa… mort! En effet, une bien sombre malédiction touche sa famille depuis des lustres : tous les hommes ont tiré leur révérence le jour de leur 36ème anniversaire, dans des circonstances pour le moins inattendues et loufoques. Plus de surprise possible pour notre bonhomme, il a tout prévu, clôturé le bail de son appart, rendu sa démission, vendu ses meubles et l’ensemble de ses affaires personnelles. Aujourd’hui, il a donc 36 ans et il attend la mort dans son plus beau costume! Mais alors qu’il a toujours tout planifié dans sa vie, sachant forcément la date ultime, Mortimer est confronté à l’imprévisible : le voilà toujours en vie! Et ça, ce n’était pas du tout prévu au programme!

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C’est donc sur cette scène cocasse que s’ouvre le dernier roman de Marie-Sabine Roger, en plantant d’emblée un décor peu ordinaire. Je découvre par la même occasion son écriture qui, déjà, me fait mourir (on reste dans le thème) de rire. Comment rendre risible, une scène qui revêt à la base un caractère tragique? Bref, elle fait de moi une énième adepte de ses Trente-six chandelles, lauréat des matchs de la rentrée littéraire de Price Minister 2014.

De bons sentiments sont semés au fil des pages,  sans jamais laisser tomber le lecteur dans l’ennui. C’est un roman coloré, qui égaye. Mortimer revient ainsi durant plusieurs courts chapitres sur la malédiction qui a frappé ses ancêtres. Marie-Sabine Roger réussit un tour de force : parler avec humour de la mort. Je vous défie de rester sérieux en apprenant par exemple que l’arrière grand-père finit en confettis, que le grand-père est foudroyé par la faute d’un âne ou encore que le père trouve la mort à cause d’un ballon. Le passé du jeune Mortimer et son parcours jusqu’à l’aube de ses 36 ans sont  retracés, pour en venir à l’élucidation finale: pourquoi a-t-il échappé à la poisse des Decime?

« Sa mort lui avait pourri la vie, en somme. » (P.35)

« Nous n’avons pas assisté à l’enterrement, ma tante considérant que ce genre d’amusements n’était pas de mon âge et que, de son côté, elle en avait trop vu. » (P.41)

La petite pincée de fantaisie est renforcée par une palette de personnages attachants, qui s’assument, et qui vont entourer Mortimer, comme le font les vrais amis. Orphelin d’une maman qui n’a pas voulu l’élever et qui s’en est allée, et d’un papa mort jeune, ce survivant s’est trouvé une famille d’adoption dans les bras de la « sexygénaire » Paquitta et de son rêveur de mari à la parole sage, Nassardine.

Le temps qui passe est le socle de ce roman qui nous interroge sur tout ce que l’on voudrait faire si l’on connaissait l’heure de notre mort. Il y en a qui graviraient l’Everest, d’autres qui refuseraient de vivre le grand amour parce qu’il ne durerait pas (charmante Jasmine créatrice de chapeaux entre deux toilettages pour chiens), ou encore vivraient simplement en attendant. Il y en a qui barrent les jours les séparant d’un événement extraordinaire. Mortimer barre (ou plutôt barrait) les jours avant sa mort. Tout le défi qui se présente à lui maintenant est de commencer une nouvelle vie, en s’octroyant tout ce dont il s’était interdit jusqu’alors, et de vivre pleinement toutes les joies de la vie.

Comme beaucoup me l’avait prédit, cette romancière manie l’art de parler de l’anodin avec beaucoup de saveur et de sensibilité. Elle imagine des personnages qui n’ont rien de particulier, décrit des scènes de la vie de tous les jours. Elle balade son lecteur à travers une histoire sans grande action ni suspens, qui lui donnera résolument le sourire et le laissera au final avec un sentiment de bien-être.

C’est une bouffée d’oxygène, l’un de ces livres qui font du bien et qui réchauffent le cœur, au gré de banalités touchantes, jouant avec les mots et expressions pour nous faire rire. Cela ne vole peut-être pas haut, mais arriver à garder l’attention du lecteur avec l’anodin, et lui laisser un sentiment de dépaysement au final, j’appelle ça de l’art, et je suis forcément conquise! Je la retrouverai avec plaisir avec son recueil de nouvelles « Les encombrants » ou encore « La tête en friche ».

Marie-Sabine Roger, « Trente-six chandelles », Editions La Brune au Rouergue, 2014, 278 pages.

« Jacob, Jacob » de Valérie Zenatti

110881_couverture_Hres_0A Constantinople, Jacob, 19 ans, est la tête posée d’une tribu nombreuse et modeste, aux relations complexes. Le père et le frère aîné démontrent au quotidien leur domination masculine, que ce soit sur les neveux ou les femmes de la maison (maman et belle-soeur) qui se tuent à la tâche. Tout le monde l’aime, Jacob. Il représente la sagesse, le calme, mais aussi la curiosité et l’avenir. Doué et déterminé, il s’investit dans ses études et compte bien poursuivre un chemin différent de celui qu’on lui a tout tracé. Avant cela, il part suivre son service militaire, laissant une maman meurtrie. L’ange gardien du foyer laisse un grand vide derrière lui. Et voilà  qu’après quelques semaines seulement, il est envoyé en France avec d’autres comparses pour combattre les allemands. La peur au ventre, il prend la flotte avec néanmoins la ferme intention de sauver une patrie qui le fait rêver et à laquelle il s’identifie profondément.

Jacob ne sait pas s’il a peur, on a fait de lui un soldat, le mot contient une autre façon de bouger, s’habiller, manger et dormir, utiliser son corps et ses forces et bientôt, il voudra dire tuer ou être tué. » (p.64)

Je ne suis habituellement pas attirée par les romans historiques, encore moins traitant de la guerre. Mais s’il est signé Valérie Zenatti, ça change tout. Je l’avais en effet beaucoup aimée avec Les âmes soeurs.

C’est avec force et détermination qu’elle nous embarque à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et aux prémisses de la Guerre d’Algérie, aux côtés de ce jeune Jacob. Dès les premières lignes, on sait que ce récit sera passionnant et qu’il sera très difficile de le lâcher. J’ai été littéralement hypnotisée par la fougue, la vivacité et le courage de ce jeune homme qui avance sans relâche dans le seul objectif de sauver un peuple de l’emprise nazie. Un peuple qui ne les a pas toujours soutenus, eux, les algériens. Il y voit donc la possibilité de changer le cours de l’Histoire, de son histoire. Une seconde chance, en somme, pour accéder à un avenir meilleur et sortir de l’engrenage familial. Et puis, qu’est-ce qu’il est attendrissant, empathique et généreux! Un personnage hautement charismatique que Valérie Zenatti a réussi à rendre si réel. Et pour cause, elle nous apprend sur le plateau de La Grande Librairie il y a plusieurs mois, que ce Jacob a réellement existé. Il s’agissait d’un frère à son grand-père parti effectivement combattre l’ennemi en France, et pour lequel elle a développé un intérêt tout particulier. Lors de cette émission, elle a fait un énorme cadeau aux téléspectateurs en abordant cette vie au destin trop court, et ce qui l’a poussée à parler de ces événements historique, de la Guerre d’Algérie en particulier.

Dans le roman, les mots jaillissent, sautent à la figure du lecteur, avec nervosité. La romancière l’a confirmé, elle ne pouvait gérer son écriture, tellement les faits devaient sortir rapidement d’elle-même. Malgré tout, le lecteur est confronté à plusieurs émotions : il traverse la fureur des événements de l’époque, passe ensuite à la douce naïveté de Jacob, pour repartir dans la désolation la plus paralysante de sa maman qui cherche partout après son cadet. De fait, en parallèle, la mère de Jacob, restée en Algérie, pleure le « cygne de la maison ». Elle y puise néanmoins toute la force nécessaire pour partir à sa recherche (puisqu’elle ne sait pas que son petit dernier est parti au combat). La pression est palpable à tout moment, aucun temps mort n’est permis

Réellement passionnant!

J’en fais d’ailleurs une pépite pour le non-challenge 2014-2015 de Galéa!

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Valérie Zenatti, « Jacob, Jacob », Editions de L’Olivier, 2014, 166 pages.

« J’aurais dû apporter des fleurs » d’Alma Brami

« J’aurais dû apporter des fleurs », tout est dans le titre. Un homme, cinquantenaire, « banal », qui s’excuse presque d’être là. Gérault vient de perdre son emploi, il était ouvrier dans une usine qui a donc fermé. Et il croise par hasard un ancien camarade de classe, Jean-Yves, cadre, belle situation, un appartement chic en ville, marié avec Greta, une dame « parfaite », toute proprette. Deux vies, deux milieux totalement différents. Mais face au licenciement de son ami, Jean-Yves, bon samaritain, souhaite prouver sa générosité débordante (c’est ironique, évidement) en trouvant un nouveau job à Gérault.

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Ce nouveau roman d’Alma Brami est très agréable à lire, et surtout, promet bon nombre de sourires. Gérault, c’est François Pignon. Un homme qui passe inaperçu partout où il va, c’est celui qui fait partie des meubles. C’est le « gentil », le béni oui-oui. Mais au fond de lui, Gérault n’en pense pas moins. Ça lui brûle les lèvres, de crier tout ce qu’il pense de ce couple bobo-bourgeois, du « p’tit » con » qui lui sert désormais de patron, de sa maman, « mémé », qui ne cesse de lui reprocher d’avoir gâché sa vie en arrivant au beau milieu de sa carrière d’actrice et qui a décidé de le lui faire payer à grands coups de larmes et de chantages. Alors il se moque de tout ceux là, leur trouve des surnoms ridicules, leur claque leurs cinq vérités. A l’intérieur. Il se construit une façade, une carapace, en somme. Pourquoi? Pour paraître « bien », juste comme il faut être en société, tel que les autres attendent?

STOP! Gérault veut vivre sa vie tranquille, comme il l’entend. Mais il n’ose jamais le dire, il acquiesce sans un mot. Une telle division intérieure est-elle viable?

Alma Brami met en lumière, à travers l’histoire de Gérault, la division actuelle de la société en cases sociales, dans lesquelles nous sommes tous enfermés. Elle le fait de façon ironique, tendre, mais tellement réaliste. Elle brasse les différentes catégories de personnes, les cadres, les ouvriers, les mères au foyer, les ambitieux, les rêveurs, les « sans intérêts » et fait virevolter tous les stéréotypes qui y sont liés. C’est un regard amusant sur ce qui nous entoure, et qui ouvre les esprits et les cœurs. Des Gérault, il en grouille les rues. Des Gérault qui veulent juste se faire entendre, se faire respecter, en faire à leur tête. Vivre leur vie, pépère, comme bon leur semble.

J’avais déjà lu « C’est pour ton bien » de cette auteure, un récit plus intime sur le destin d’une jeune fille-mère. Elle démontre toute l’étendue de son talent en misant sur des univers variés, mais revient toujours à l’essentiel : la réflexion intérieure de l’humain sur ce qu’il veut dans la vie, ce qui le rend heureux, et lui permet d’avancer.

Alma Brami, « J’aurais dû apporter des fleurs », Editions Mercure de France, 2014, 160 pages.

« La peau de l’ours » de Joy Sorman

Cela fait déjà plusieurs semaines que j’ai refermé ce roman. Il me laisse mitigée. L’idée de départ me paraissait originale : le roman démarre sous la forme d’un conte, en présentant un monde où les humains et les ours sont en rivalité. Jusqu’au jour où l’homme décrète que les bêtes ne peuvent plus s’approcher des villages, sous peine de se faire massacrer. Un jour, l’un d’eux enlève une jeune fille réservée de 18 ans appelée Suzanne, et la garde en captivité durant 3 longues années. Cette horrible période sera ponctuée de viols, qui donneront d’ailleurs naissance à un être hybride. Un bébé mi-ours, mi-humain. Le prologue se referme sur la libération de Suzanne par un groupe de chasseurs, son internement car considérée comme une sorcière, et la vente de son enfant.

1_423732297_north_607xL’histoire sera ensuite présentée par ce personnage complètement atypique. Il déballe, à l’aide d’un « je » déterminé, ses pérégrinations autour du sort que ses multiples propriétaires lui réservent. Il le fait avec tristesse et un regard noir mais réaliste sur son rapport à l’humain. Car « l’ours » passera tour à tour entre les mains d’un montreur, d’un organisateur de combats d’animaux, fera ensuite une plus longue escale parmi une troupe de cirque et terminera finalement dans un zoo qui vend du rêve à des spectateurs aveuglés. C’est la domination de l’Homme sur l’animal, frôlant évidement tout au long du récit, la manipulation, la maltraitance, et la course vers toujours plus de rentabilité. Des parenthèses plus fantaisistes garde le lecteur dans un monde où, entre autres, un homme-serpent côtoie une dame de plus de 150 ans, abrités tous deux dans une galerie de monstres attisant la curiosité de spectateurs sans cesse en attente de l’extraordinaire.

Plutôt qu’offrir une histoire, Joy Sorman mise tout sur un personnage désemparé, mélancolique, qui se cherche. On a évidement mal pour lui, surtout lorsqu’il expose les conditions dans lesquelles il est exploité. Partout où il est, il cherche le sens de sa vie et se pose beaucoup de questions sur son identité. Il campe entre deux mondes sans jamais arriver à se situer : son physique se rapproche clairement de l’animal, mais la réflexion qu’il possède est plutôt humaine. Cette ambiguïté est intéressante et amène une lecture à part de ce qu’on a l’habitude de lire.

J’ai trouvé par ailleurs l’écriture masculine, sans doute due à l’ambiance, plutôt bien plantée. L’intérêt de ce livre réside dans les questions qu’elle soulève, sur un monde animal sans cesse lié à la bonne volonté de l’humain. J’ai été intriguée par le parcours de la bête, mais sans jamais vraiment savoir vers où j’allais. Je m’attendais peut-être à une exacerbation de ce mélange du à un accouplement contre-nature. J’avais besoin de quelques chose de plus, en tout cas, pour entrer véritablement dans cet univers sombre.

Il n’a peut-être pas su me toucher, mais « La peau de l’ours » a le mérite d’exister dans sa différence et l’originalité de son sujet.

Joy Sorman, « La peau de l’ours », Editions Gallimard, 2014, 160 pages.

« Louise » de Julie Gouazé

Louise a 18 ans, elle doit passer son bac.

Louise a peur, sa soeur Alice est revenue vivre à la maison. Elle est alcoolique.

Louise a des parents étouffants, qui choient leurs enfants. Pour combler autre chose.

Louise fait des rencontres, pas toujours les bonnes.

Louise est perdue, désorientée, se cherche elle-même. Elle voudrait retrouver sa soeur, se trouver par la même occasion.

Louise grandit, et une lueur se dessine.

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Il y a tant d’émotions qui passent par ce court roman! Tout vole en éclats, ça crie, ça pleure. La honte flirte avec la surprotection. Alice a de gros problèmes et chaque membre de cette tribu essaie de contribuer, à sa façon, pour tenter de remonter la pente. Parfois, on atténue, pour ne pas se rendre à l’évidence. Le futile est dérisoire lorsque le souhait le plus profond est de tout simplement revenir « comme avant ».

Avec des phrases tranchantes, qui frappent fort, là où ça fait mal, Julie Gouazé ouvre le coeur malade d’une famille qui bascule. Et un lien qui se devine, tout fin et si présent à la fois, finira par tout faire tenir. Louise est au milieu de ce tableau, elle se perd,veut tout quitter et vivre sa vie, mais retourne contre toute attente dans le cocon familial. Le seul endroit où les maux se soignent. Tout le monde encaisse, se tait, et se concentre sur l’issue finale.

C’est un roman qui possède une grande portée, il est vraiment très touchant. L’écriture est particulière, les phrases, courtes, claquent en même temps que la réalité. Il faut reprendre son souffle, heureusement, les chapitres le permettent. Et le lecteur, hypnotisé par tant de courage et de force dont font preuve les parents et la jeune soeur, ne peut se détacher des pages.

Happant, réaliste, vivifiant, généreux. J’ai beaucoup aimé ce premier roman très prometteur, d’une auteure qui, décidément, en a sous le clavier.

Julie Gouazé, « Louise », Editions Léo Scheer, 2014, 168 pages.

« Mon lapin » de Mathilde Alet

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Pour son premier roman, Mathilde Alet a choisi d’aborder l’éloignement au sein d’une famille, qui justement se réunit autour d’un malheur commun : le décès du patriarche. Gabrielle revient dans son village d’enfance pour l’enterrement de son papy Louis. Évidement, elle y reverra sa famille, ses parents, sa sœur Clara, sa tante et des membres plus éloignés. Les échanges sont froids, indifférents même. Le lecteur sera sans doute surpris de découvrir le peu, voire l’absence totale, de sentiments. D’ailleurs, Gabrielle appelle ses proches par leur prénom, chose qui m’a particulièrement marquée. Les temps s’entrecroisent : les étapes de cette triste journée s’alternent aux souvenirs de la jeune fille. On en découvre ainsi un peu plus sur son enfance, ces petits riens magiques et adorables qui enchantent les journée d’une jeune rêveuse, et sur les raisons d’une telle distance avec sa famille. C’est une façon de présenter l’histoire qui m’a particulièrement plu.

Même si perdre son grand-père est un événement qui remue pas mal de choses en elle, puisqu’il s’agit de la seule personne avec laquelle elle était liée, Gabrielle n’est pas bouleversée. Sa neutralité est d’ailleurs étonnante. En s’éloignant de ce lieu, elle s’est forgée semble-t-il une carapace. Elle est, en se sens, assez mystérieuse, comme perdue.

C’est pour tous ces éléments que j’ai trouvé ce court roman subtil et sensible. J’espérais cependant de l’auteure qu’elle décortique davantage ces rapports familiaux complexes. Les raisons d’une telle indifférence sont effleurées par bribes, sans jamais être réellement approfondies. Je l’avoue, j’en ai été frustrée. J’attendais une exploration plus importante, pour trouver mes propres clefs de compréhension à des situations vécues. Cela reste malgré tout un beau premier titre d’une auteure tout aussi sympathique, et à l’écriture moderne, que je serai tentée de relire une seconde fois assez rapidement pour être certaine de n’avoir rien manqué.

Je pense que nous nous sommes trompés de mots, nous avons trop parlé et nous ne nous sommes rien dit. Nous nous aimons mal. » (p.98)

Ce livre est un aller-retour rapide, le temps d’un enterrement, entre Paris et la ville en province que Gabrielle a choisie pour construire une nouvelle vie, toute seule. Le temps de se rappeler de Papy Louis, le temps où elle se faisait appeler « Mon lapin ».

Mathilde Alet, « Mon lapin », Editions Luce Wilquin, 2014, 121 pages.

« Retour à Little Wing » de Nickolas Butler

Nous étions unis par le sentiment d’être différents de notre milieu et aussi peut-être par un sentiment de supériorité par rapport à l’endroit qui nous avait formés. En même temps, nous en étions épris. Épris d’être les rois d’une petite ville, perchés sur ces tours abandonnées, dominant notre avenir, en quête de quelque chose – du bonheur peut-être, de l’amour ou de la gloire. » (p.88)

Deux thèmphotoes ont suffit à me guider vers ce choix de roman : l’amitié et la puissante attractivité du lieu de vie.

Revenir sur ses terres d’origine, ou plutôt dans le patelin de son enfance, et y voir jaillir les souvenirs d’antan est précisément au coeur de ce premier roman de l’américain Nickolas Butler. Little Wing, petite ville du Wisconsin ne fait rêver que les amateurs de calme, de simplicité et de verdure. Là-bas, les habitants ont su préserver les relations de voisinage et de proximité, ils apprécient se délecter des petites choses simples du quotidien, en toute modestie. Mais surtout ils profitent chaque jour de l’année du bonheur de travailler la terre et d’avoir pu garder ce rapport privilégié avec les joyaux que la nature leur offre. Ces gens-là sortent par tous les temps salir leurs mains, traire les vaches, humer l’herbe fraîche, sentir cet air particulier emplir leurs poumons, et regarder le soleil se coucher derrière les collines.

Cette sensation de liberté, celle de vivre à huis clos loin de la circulation, du bruit, du stress et de la modernité, je l’ai ressentie à chaque page du livre. C’est, en ce sens, un très bel hommage que réussit à nous offrir Nickolas Butler, aux petits coins perdus qui ne paient pas de mine et qui rendent les gens si heureux. Nous viennent alors à l’esprit et en permanence, un savoureux mélange de palettes de couleurs, d’odeurs et d’images liés à notre mémoire personnelle, pour ce charmant tableau que Butler nous fait découvrir à travers cette histoire d’amitié.

Quatre amis, aujourd’hui trentenaires, se retrouvent en effet dans ce village d’enfance de Little Wing, pour fêter le mariage de l’un d’eux. Après avoir fait les 400 coups ensemble, certains se sont distancés pour se lancer dans une carrière de rockstar ou de courtier. D’autres ont opté pour les origines en reprenant l’exploitation agricole familiale. D’autres encore, y sont restés, bien malgré eux. C’est donc autour de cet événement que la bande se remémore leurs frasques de jeunesse. Mais Nickolas Butler ne fait pas que relater la douce et belle amitié qui dure qu’importe les années et l’éloignement géographique. Il ajoute une dimension réelle en faisant exploser les non-dits, les regrets et certaines blessures profondément enfouies. Car être amis, c’est accepter que les autres évoluent pendant qu’on fait du sur-place, c’est regarder le bonheur dans les yeux de certains alors que notre vie prend le mauvais virage, c’est écouter les reproches des uns et se remettre en question, c’est se laisser guider par l’expérience des autres pour avancer. Mais ce n’est certainement pas un long fleuve tranquille, et c’est ce que Butler nous démontre de façon subtile et tendre. Il nous interroge sur nos propres relations et nous aide à en faire le bilan.

C’est un roman qui aurait pu être banal, plat, presque ennuyant. Il ne se passe rien grand-chose, il s’agit d’une photographie de vies « ordinaires ».  Mais en donnant la parole tour à tour à ses personnages, l’auteur a donné du rythme et une dynamique. Car l’enjeu, lorsque l’on passe d’un homme à une femme, d’un friquet à un champion de rodéo, est de faire passer avec cohérence une personnalité, une façon de s’exprimer, une vision du monde. En alternant les narrateurs, je suis entrée dans des vies intimes fort différentes où s’expriment aussi bien les joies de la maternité, et de l’harmonie familiale, que les doutes existentiels et les blessures anciennes. Se tisse par ailleurs à travers ces voix, la complicité qui continue à les lier, parsemée d’anecdotes qui vous plongeront vous aussi dans des moments de nostalgie. Ces flash-back croisés à leur témoignage sur les faits du présent évitent toute lassitude. Aidée par une écriture facile et agréable, la lecture est particulièrement fluide.

J’ai succombé à ce premier roman très bien mené, sur une amitié cimentée par un lieu de souvenirs, à l’ambiance douce et fidèle à la région mise à l’honneur. Durant les 440 pages, j’ai été taraudée entre la curiosité et la ferveur de connaître vite-vite la suite, et la volonté de prendre le temps pour ne pas devoir quitter ces personnages. Un premier coup de plume auquel je donne la note de 16/20 dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire organisés par Price Minister.

Nickolas Butler, « Retour à Little Wing », Editions Autrement, 2014, 445 pages.