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« Dans la forêt » de Jean Hegland

Que ferions-nous si tout ce qui alimente notre société actuelle se coupait? Plus d’électricité, ni d’essence. Plus de moyens de communication, les magasins se vident affreusement vite. Les gens quittent les villages en espérant trouver de l’aide dans les grosses villes. C’est ce qu’a imaginé Jean Hegland dans ce roman publié aux USA pour la première fois en 1996. Autour de ce phénomène, qui n’est pas vraiment post-apocalyptique, mais plutôt un événement soudain qui touche d’un coup la population, l’auteure imagine cette famille : Nell et Eva, deux soeurs de 18 et 17 ans, et leurs parents, vivant dans une forêt à des dizaines de kilomètres de Redwood. Cette maison, c’était un coup de coeur de Robert, le papa. Il y fonda sa famille, et tous étaient très heureux de cette vie à l’écart. Les parents étaient fiers de laisser leurs deux filles s’instruire librement, et passer leurs temps dans un environnement naturel qu’elles aiment tant. D’ailleurs, cette éducation alternative fait plutôt ses preuves, Nell et Eva sont particulièrement brillantes, déterminées et très ambitieuses. Alors que l’aînée envisage d’entrer à Harvard, sa cadette s’entraîne sans relâche pour rejoindre la troupe de ballet de Boston.

A la disparition de leurs deux parents, les sœurs se retrouveront très éprouvées, livrées à elles-mêmes dans ce milieu sauvage mais qu’elles ne quitteraient pour rien au monde. Leur quotidien, parfois répétitif, est livré dans une langue poétique et envoûtante.

Ce roman, outre une immersion totale dans la nature si belle et dangereuse à la fois, est avant tout une superbe histoire de sœurs. Jean Hegland dresse deux portraits assez différents mais complémentaires. Leur détermination et leur courage sont des armes redoutables face à cette nouvelle vie qui apparaît. La plus âgée des deux, qui est aussi la narratrice de ce récit, Nell, confie dans un carnet ses doutes, ses peurs, mais aussi ce qui la pousse à avancer. Son amour inconditionnel pour sa soeur Eva est confié avec beaucoup de justesse, sans fioriture, et énormément d’admiration.

Je l’aimais tant – ma douce, douce soeur -, j’aimais en elle tout ce que j’avais jamais aimé, j’aimais tout ce que je savais d’elle et tout ce que je savais ne pouvoir jamais atteindre, j’aimais cette danseuse, cette femme belle sous mes mains, cette soeur avec qui j’avais autrefois peuplé une forêt, cette soeur avec qui j’avais souffert de tant de choses, cette soeur que je pourrais jamais quitter ni pour l’amour ni dans la mort. (p.202)

C’est vrai que leurs journées se ressemblent, c’est tout à fait compréhensif. Que ferions-nous à leur place? La même chose qu’elles : chercher des vivres, trouver de quoi se chauffer, se projeter dans les mois à venir en fonction des saisons, pour préparer de quoi combler les besoins primaires. A cet égard, Jean Hegland ouvre un débat, nous questionne, nous plonge dans un monde à mille lieux de la société actuelle, mais qui pourrait néanmoins se présenter un jour, tout d’un coup. J’ai vraiment été immergée dans l’espace confiné qu’est leur maison isolée du monde extérieur. C’est lent, mais le suspens dû à la situation rend ce livre difficile à lâcher. Excellent « nature writing« , il est autant émouvant que mystérieux.

Qu’est-ce qui fait qu’un roman nous touche plus qu’un autre ? A la façon dont il nous poursuit, plusieurs semaines, mois, après sa lecture. Aux questions qu’ils soulèvent, aux traces qu’ils laissent dans notre mémoire. Sans être un coup de coeur, « Dans la forêt » fera, je pense, partie de ceux-là.

Ce roman est un des chouchous des membres du Picabo River Club, un groupe (fermé) sur facebook qui met en lumière la littérature nord-américaine et géré par Léa Mainguet. L’occasion pour moi de vous en parler car il y règne une très bonne ambiance et de véritables pépites y sont partagées chaque jour!

Jean Hegland, « Dans la forêt », traduit par Josette Chicheportiche, Editions Gallmeister, 2017 (1ère édition : 1996), 304 pages

« Comme un air de tendresse au bout des doigts » de Frédérique Dolphijn & Annabelle Guetatra

Aujourd’hui, point de classique sur le blog pour le « mois belge », mais plutôt ce roman paru chez Esperluète qui m’a suivie toute cette semaine, comme un joli compagnon de route, qui m’a apporté douceur, tendresse et poésie.

Le résumé évoque deux sœurs, qui s’éloignent, se retrouvent, se croisent, il ne m’en pas fallu plus pour acheter ce bouquin. Et puis, avec un titre aussi joli…!

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Je reviens tout d’abord sur le livre-objet. Quel bonheur à nouveau de tenir entre les mains un si beau papier, aux textes aérés, qui prennent leur espace entre les pages, accompagnés ici de dessins colorés. Je crois que le plaisir de l’ouvrir chaque jour était aussi associé à cette grande qualité qui fait partie des gros points forts des éditions Esperluète. C’est un objet à tenir précieusement, à manipuler avec précautions, et à garder près de soi.

IMG_1988Quant au roman… J’ai déjà lu un texte de Frédérique Dolphijn, intitulé Désir, qui était très poétique, mais c’est dans un autre univers qu’elle nous emmène ici, et dans une version beaucoup plus longue. J’y ai retrouvé évidement sa plume d’une douceur extrême, qui souffle les mots, pour ne pas trop perturber le calme que demande cette lecture. Deux soeurs, Cheyenne et Abeille, aussi proches que des siamoises durant leur enfance, qui déjà, se trouvent en marge du monde extérieur, et laissent aller leur imagination dans des mondes qu’elles se créent. Puis le temps fait son œuvre, et les deux sœurs, aujourd’hui adultes, vivent en parallèle des quotidiens routiniers, teintés de gris. Leurs journées sont présentées en alternance, leurs jobs et portraits se dessinent lentement, au fil des pages. Cela paraît assez flou pour le lecteur, l’auteure désire sans doute le garder dans un état d’apesanteur, comme le sont ses deux personnages. Une rupture s’est opérée, notamment avec le décès de leur maman. Mais le lien entre elles deux, sur lequel insiste Frédérique Dolphijn, est incassable, malgré les chemins différents qu’elles ont pris.

L’auteure nous invite à laisser exprimer nos sens, qui sont fortement présents et explorés tout au long du roman. Le toucher, l’ouïe, la vue. Ce livre est un souffle, fait tantôt de phrases courtes, parfois juste une succession de mots, tantôt d’échanges fantasmés. Quelques souvenirs de Cheyenne et d’Abeille petites, viennent marquer une coupure plus gaie, des clins d’oeil à leur grany, des sourires et beaucoup de complicité. Une naïveté enfantine qu’elles recherchent aujourd’hui. On aperçoit deux âmes en peine, à l’affût d’un rayon de soleil.

Teinté d’une mélancolie, ce roman très doux nous propose de parcourir un bout de vie avec Cheyenne et Abeille et à entrevoir avec elles un avenir plus lumineux, tout en gardant des cicatrices du passé.

Les splendides peintures d’Anabelle Guetatra apportent de la couleur à l’histoire, même si je n’ai pas tout le temps fait le parallèle avec le texte. Elles sont souvent suggérées, tout comme les phrases, et renforcent la sensualité que délie le livre.

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Frédérique Dolphijn (textes) et Annabelle Guetatra (illustrations), « Comme un air de tendresse au bout des doigts », Editions Esperluète, 2014,120 pages.

Une lecture dans le cadre du Mois belge d’Anne et Mina

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