Archives pour la catégorie Littérature française

« Les attachants » de Rachel Corenblit

C’était celle qui était en dernière position sur sa liste, mais c’est dans cette école qu’Emma a été envoyée. L’école des Acacias, située dans un quartier socialement moins aisé. Pas de bol, se dit-elle! Surtout que ses premières années en tant qu’enseignante n’ont pas été de tout repos.

Voilà que commence donc une nouvelle année scolaire. Nous allons la suivre de septembre à juin au gré de ses interrogations, de ses péripéties, de ses joies et des nombreux enjeux qui gravitent autour du métier d’enseignant. Il s’agit de l’histoire d’Emma (ou de Rachel Corenblit?) mais qui possède évidement une portée universelle.

Rachel Corenblit met le doigt, sans jamais entrer dans le pathos, sur le quotidien parfois terrible, de ces enfants qui vivent dans un environnement (très) modeste. Elle souligne l’insécurité de leur quotidien, l’ignorance de leurs parents, le manque d’amour qui est devenu si banal pour eux. Il en faut du courage, de nos jours, pour enseigner. Et l’auteure le démontre formidablement dans ce court roman. Il faut dire que le sujet, elle le maîtrise. Elle a elle-même enseigné pendant des années. Des témoignages comme ceux-là, elle doit en avoir à la pelle. Et c’est sans aucun doute tous ces souvenirs qui se sont ravivés lorsqu’elle a décidé d’écrire sur le sujet.

Écrire sur le métier d’enseignant n’est pas simple non plus. Il s’agit d’un métier tellement polyvalent, il faut s’armer de patience et de psychologie. Ne pas dépasser certaines limites, ne pas se montrer trop proche de ses élèves, laisser une juste distance aussi entre sa vie privée et tout ce qui se passe à l’école. Au final, Rachel Corenblit réussit à jongler avec tous ces éléments et dresse un portrait cohérent et juste de la jeune femme et enseignante débutante qu’est Emma. Sa vie privée est effleurée, son histoire avec Mathieu était à mon goût un peu limite, invraisemblable. Ce pan du roman aurait très bien pu être inexistant, ce n’est pas ça qui importe.

Si j’ai globalement aimé ce portrait, ainsi que le rythme et la structure du roman,  il m’a manqué quelque chose pour vraiment entrer dans la vie et dans la classe d’Emma. J’ai d’ailleurs eu plus d’affection pour son directeur Monsieur Aucalme. Placide, réfléchi, empathique mais pas trop, c’est un homme qui arrive à réguler Emma, parfois prise au dépourvu avec ses élèves.

« Les attachants » lance un message effrayant mais réel, politique aussi, avec la juste lueur d’espoir qui nous prouve que l’avenir du métier n’est pas encore en péril, et qu’il existe de bons enseignants motivés pour accompagner nos enfants dans la vie (et j’insiste sur le mot « accompagner » et non pas « éduquer »!).

Je suis déçue de ne pas avoir eu le coup de coeur de Fanny ou encore de Marie-Claude, mais ce roman m’a malgré tout fait vivre des émotions allant de la colère à un gros sentiment de révolte, en passant par la tristesse et le rire. Et c’est déjà très bien ! A lire, donc!

Rachel Corenblit, « Les attachants », Editions La brune au rouergue, 2017, 192 pages

« Le bleu des abeilles » de Laura Alcoba

Je peux rester longtemps, comme ça, à me laisser bercer par la musique de la langue française – je lâche prise du côté des paroles pour ne m’intéresser qu’à la mélodie, aux mouvements des lèvres de tous ces gens qui arrivent à cacher des voyelles sous leur nez sans effort aucun, sans y penser, et hop -an, -un, -on, ça paraît si simple, -en, -uint, -oint : j’écoute, j’apprécie. (p.61)

Là où il est question d’immigration, il est aussi question d’intégration et de découverte de l’autre… Faire connaissance avec des nouveaux sons, des traditions, un environnement, des attitudes totalement différents.

Dans ce court roman, une jeune voix s’élève pour nous dire quelques mots sur sa venue en France. La narratrice, qui a 10 ans au moment où elle quitte l’Argentine, rejoint sa maman en banlieue parisienne, déjà installée depuis quelques années. Elle partage son excitation du départ et l’envie, la curiosité qu’elle développe depuis un moment, à découvrir un nouveau pays. Mais c’est aussi un déchirement, puisque son papa est prisonnier politique en Argentine.

Avant de quitter son pays déjà, elle apprend le français, si différent de sa langue maternelle. L’émerveillement, le plaisir de jouer avec les sons, l’empressement de faire sortir toujours plus vite ces mots qu’elle apprivoise aux côtés de Noémie, son professeur de français.

Avec Noémie, j’ai découvert des sons nouveaux, un r très humide que l’on va chercher tout au fond du palais, presque dans la gorge, et des voyelles qu’on laisse résonner sous le nez, comme si on voulait à la fois les prononcer et les garder un peu pour soi. (p.12)

Tous ces sentiments joyeux se délient et nous enveloppent dans le même émerveillement. Une vie nouvelle s’offre à elle : elle nous la présente au moyen de courts chapitres qui s’apparentent à des anecdotes, des clins d’oeil à son quotidien au Blanc-Mesnil. En parallèle, notre héroïne poursuit sa correspondance avec son papa. Une lettre envoyée chaque lundi, avec quelques bribes de ce qu’elle vit de l’autre côté de l’Atlantique. Ils parlent ensemble littérature, une passion commune. Elle, tente de lire les mêmes romans que son père, en français. Une lecture commune et simultanée, pour maintenir le lien. C’est de là que née l’attirance pour les abeilles…

L’auteure s’est inspirée de son enfance pour nous raconter cette très jolie histoire d’intégration. Elle met en lumière, tout en élégance et poésie, la petite fille qu’elle était à l’époque. Le style y est joyeux et enfantin, je me suis laisser emmener, telle une jolie balade. Elle met le doigt aussi sur les différences de cultures, la gastronomie française et ses fameux fromages qui puent, sur la mode de l’époque post-hippie, ces papiers peint kitchissimes… Un régal!

Comme le récit se porte du côté de la fillette, on ne se focalise pas sur la tristesse liée à l’exil, ni même sur le danger qui pouvait régner à cette époque en Argentine (1979). C’est un texte positif, lumineux, rempli d’espoir. Et quelle magnifique couverture dans sa version poche!

J’ai fait mes premiers pas dans l’année 2018 avec ce roman qui m’a laissée sur un sentiment d’apaisement et de bien-être. Une très belle découverte faite grâce à Delphine qui aime particulièrement Laura Alcoba (son billet). Je continuerai avec ses autres romans!

Laura Alcoba, « Le bleu des abeilles », Editions Gallimard, 2013 (Folio 2015), 140 pages

« Je me promets d’éclatantes revanches » de Valentine Goby

J’aime qu’il n’y ait pas de « message » dans l’oeuvre de Charlotte Delbo. Elle est une somme de poèmes et récits sans visée autre que la restitution à l’humanité de sa propre et entière mémoire par le truchement de la langue. (p.155)

La toute première fois que Valentine Goby a entendu le nom de « Charlotte Delbo », la rencontre lui a paru comme une évidence. L’évidence de devoir connaître ce parcours extraordinaire d’une ancienne prisonnière des camps, et l’évidence de devoir le porter au plus grand nombre. Des mots qui furent quasi placés sous silence quelques années plus tôt. C’est une autre grande dame, Marie-José Chombart de Lauwe, qui énonce le nom de Charlotte Delbo à Valentine Goby, en 2015. Elles se rencontrent dans le cadre de la préparation de son roman de l’époque, « Kinderzimmer ». L’auteure s’enferme alors dans une bibliothèque pour ne perdre aucune miette des ouvrages publiés par celle qui deviendra très vite un véritable modèle de courage pour l’auteure. Issue d’une famille d’immigrés italiens, Charlotte Delbo se marie à Georges Dudach, un militant communiste. Ils sont tous deux arrêtés en 1942. Lui est fusillé, elle, fera partie du tristement célèbre convoi du 27 janvier 1943 l’envoyant à Auschwitz. Elle y connaîtra évidement les pires atrocités, des images à jamais gravées dans sa tête. En 1944, elle change de camp et part pour Ravensbrück et est rapatriée en France en 45.

S’enfermer dans le silence à jamais ou avancer, tel est le dilemme de Charlotte Delbo, après avoir traversé une période aussi sombre et inhumaine. Alors elle se met à l‘écriture. Elle ne commence pas vraiment puisque son désir d’écrivain est apparu bien avant la guerre. Mais l’écriture apparaît ici comme un besoin vital de s’exprimer et de partager. Son œuvre littéraire est longue mais ne sera pas diffusée comme l’écrivaine l’espérait.

La liberté retrouvée est un vertige, souvent une illusion. On n’est pas libre, occupé de cauchemars. (p.134)

Voici en quelques mots l’incroyable histoire de Charlotte Delbo, que je découvrais à mon tour au travers des mots de Valentine Goby, une auteure que j’apprécie beaucoup. Je n’avais jamais entendu parler de cette grande dame qui avait tant de choses à dire.

Les mots de Valentine Goby m’ont encore plus éblouie dans ce texte. Ils ont quelque chose de très personnel, ils sont perçus par le lecteur comme une confession. Je les ai trouvés spontanés et en même temps, parfaitement choisis, en adéquation avec le destin qu’elle nous présente. Ils lui rendent grâce. Dès que j’ai entamé cette lecture, j’ai su qu’elle méritait toute mon attention, que chaque mot aura son importance et qu’ils me permettront de m’imprégner véritablement des événements ainsi narrés.

La narration justement, m’a beaucoup plu aussi. J’ai trouvé une auteure traversée par divers sentiments : l’admiration tout d’abord, la curiosité, ensuite la peur, le dégoût des événements relatés, à nouveau l’admiration pour cette femme qui, une fois la guerre terminée, veut continuer d’en parler, et ensuite la désolation et l’incompréhension face au quasi rejet de ses ouvrages. Des sentiments qui nous arrivent, à nous lecteurs-trices, grâce à nouveau à un talent indéniable de raconteuse, de transmetteuse.

Un titre qui sonne comme un cri de joie, de la part de Charlotte Delbo. Et comme un cri rempli de promesses, de la part de Valentine Goby. La promesse de continuer à parler de cette héroïne, de partager son histoire, son existence. De continuer à la faire vivre au travers des mots.

Deux portraits se distinguent ainsi dans « Je me promets d’éclatantes revanches », qui ont des points communs à divers égards, et avant pour pour l’amour du partage via l’écriture. Ce livre renferme également un très joli hommage au pouvoir de l’écriture sur l’humain.

Elle, elle veut être Electre doublée d’une poète : « plus que se souvenir, c’est porter au langage ». Son obsession pour la forme est le rempart le plus sûr contre l’oubli. (p.127)

J’y ai découvert une facette beaucoup plus intime de Valentine Goby, que j’apprécie encore plus aujourd’hui, ainsi que la personnalité incroyablement combattive et passionnée de Charlotte Delbo.

Je ne lis jamais de récit, me portant beaucoup plus facilement vers les romans. Mais j’avoue qu’un texte comme celui-ci remue et marque. En plus de cela, l’objet est magnifique, avec une couverture rouge vif et des reliefs aux lettres, un objet précieux.

Valentine Goby, « Je me promets d’éclatantes revanches », Éditions L’iconoclaste, 2017, 178 pages

« Le Jour d’avant » de Sorj Chalandon

Michel et son frère aîné Joseph, dit Jojo, vivent avec leurs parents dans une ferme du nord de la France, à Liévin. Durant tout sa vie, le patriarche s’est tué à la tâche en labourant courageusement la terre pour offrir une vie décente à sa petite famille. Mais sur cette petite tribu plane une ombre qui prend la forme d’une poussière noire omniprésente sur chaque toit des maisons, dans les jardins et même sur les habitants de Liévin : c’est celle provenant de la fosse 3 de la mine dite de Saint-Amé. Ils sont nombreux les hommes à y descendre chaque jour, se coupant de la lumière et de l’air pur. D’ailleurs, l’oncle de Michel et de Joseph y a perdu la vie il y a plusieurs années. Jojo décide de suivre les mêmes traces, envers et contre tout et surtout de la colère de son père. Près de 10 ans après sa première descente, un coup de grisou marque à jamais ce matin du 27 décembre 1974. 42 mineurs périront dans cette tragédie. Jojo succombera à ses blessures en janvier. Tout le monde le sait, c’est un accident qui aurait pu être évité s’il n’y avait pas eu cette négligence au niveau de la sécurité. Mais à l’époque, seul le rendement compte. Travailler, travailler et travailler encore. Sans penser aux catastrophes qui sont là, tout près de ces courageux travailleurs, des pères de famille, des époux. Ceux qui y survivent après des dizaines d’années d’investissement gardent de toute façon, au plus profond d’eux-mêmes, tel un poison qui les grignote chaque jour, les traces de ce quotidien passé dans les entrailles de la terre. Ça s’appelle la silicose. 1 an après le décès de Joseph, c’est le papa de Michel qui se suicide. Après avoir perdu son héros, son modèle, son grand frère, Michel devra vivre avec ce double malheur, accompagné d’une ultime recommandation laissée sur un bout de papier par son papa : « Venge-nous de la mine« . Cette phrase le hantera toute sa vie, et se transformera en un véritable moteur.

Alors en 2014, au décès de sa femme Cécile, Michel n’a plus rien à perdre et retourne dans le village de son enfance bien décidé à retrouver Lucien Dravelle. C’est l’homme qui était responsable de l’équipe de mineurs ce matin-là, qui n’a jamais exprimé le moindre mot d’excuse. Il est temps de faire éclater la vérité, il est temps de rendre justice à toutes « gueules noires ». C’est en tout cas la mission qu’a préparé Michel toute sa vie durant. Et il est prêt à la concrétiser.

Sorj Chalandon a voulu, on le ressent clairement tout au long  du roman, rendre hommage, d’une part aux victimes du 27 décembre 1974. Mais surtout, plus globalement, à tous ces hommes qui ont travaillé dans des conditions extrêmement pénibles dans les charbonnages français, belges, italiens… A travers son écriture, c’est la hargne, la colère, l’injustice d’une exploitation sauvage et irrespectueuse de l’humain, qui prennent toute la place. Oui Sorj Chalandon exprime très largement ces voix oubliées, ces voix perdues, qui jamais ne se sont plaintes. C’est aussi une écriture aux apparences froides, qui n’arrondit rien, plus cassante, que j’ai découvert pour la première fois. Une mise à distance inévitable du coup avec tout ce qu’il plante dans la première partie. Mais c’est une écriture que j’ai trouvé juste pour le thème choisi. Ses descriptions des rues brumeuses, sans âme, avec toutes ces petites maisons identiques et gentiment alignées, si caractéristiques des corons, sont tout simplement fabuleuses. Impossible pour le lecteur de ne pas se plonger dans cette ambiance particulière et hypnotisante à fois.

C’est un roman beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, qui parle de la perte, du deuil, mais aussi de la haine et de la soif de vengeance. La dimension humaine et le respect des anciens y sont fort présents. C’est une qualité de l’auteur que j’ai le plus appréciée. Les liens fraternels si forts qui unissent Michel à son Jojo m’ont beaucoup émue aussi. Après une lente familiarisation avec son style et le décor qu’il plante en début de livre, j’ai été totalement engloutie par la seconde partie, inattendue.

Tout sonne juste dans ce roman, les faits s’enchaînent ne laissant aucun répit au lecteur, qui se prend toute ces vérités en pleine figure. Car même si l’histoire de Joseph et de Michel Flavent est fictionnelle, on sait qu’elle renvoie à des choses qui se sont réellement produites et à des existences noircies, au sens propre comme au figuré, à tout jamais. C’est donc un roman qui touche énormément, qui apporte une vraie réflexion sur le travail à l’époque, sur les différences flagrantes entre les classes sociales et sur le mépris de beaucoup d’hommes pour les « petites mains ».

Un gros coup de coeur pour ce « Jour d’avant » qui m’a vraiment chamboulée et qui continue de me trotter. On peut dire que pour une première avec Chalandon, c’est une grande réussite !

Sorj Chalandon, « Le Jour d’avant », Éditions Grasset, 2017, 336 pages

« Point cardinal » de Léonor de Récondo

Combien de temps faut-il pour être soi-même? (p.96)

Léonor de Récondo m’a toujours beaucoup émue, notamment grâce à son écriture si raffinée. Que ce soit avec Pietra Viva ou Amours, deux histoires se situant à des époques différentes, elle m’a marquée. Elle trouve les mots simples pour aborder des sujets forts et plante des scènes inoubliables.

Dans son nouveau roman Point cardinal, elle a décidé de changer et d’imaginer un univers contemporain où elle aborde des sujets bien encrés dans notre époque : la quête d’identité, le regard des autres, le jugement de valeurs, mais aussi une faculté d’ouverture et d’acceptation de l’inévitable.

Laurent est un père et un mari aimant. Il a rencontré Solange très jeune mais entre eux, tout semble couler comme un fleuve paisible. Leur famille n’est qu’harmonie et bonheur. En façade du moins car à l’intérieur de Laurent, c’est un tourbillon, un orage. Mathilda a décidé de s’exprimer. Même si elle a émergé il y a peu, elle vit en lui depuis toujours finalement. Seulement Laurent n’a jamais voulu l’écouter. Pour le moment, les seules fois où il vit en Mathilda sont bien pauvres, c’est lorsqu’il sort au Zanzibar avec son amie Cynthia. Elle est la seule pour le moment à savoir, et à le soutenir. Mais l’homme qui désormais ne vit qu’en façade n’en peut plus, il est temps pour lui de s’assumer. Est-ce que sa famille, ses deux enfants Thomas et Claire, âgés de 16 et de 13 ans, sa chère épouse, comprendront? Le soutiendront?

(…) Mathilda était entrée en lui avec fracas. Elle s’était imposée brutalement, tout son corps en avait été meurtri. Elle s’incarnait, et lui avec elle. Il n’avait plus aucun doute sur la raison de ses douleurs. (p.37)

Tout est dit, le décor est planté. Avec Point cardinal, on se retrouve au même titre que Laurent face à un chamboulement des plus extrêmes. Changer de vie n’est pas chose aisée, mais changer de sexe! Il s’agit de tout reconstruire, de trouver de nouveaux repères. Mais surtout vivre avec le regard des autres, accepter le refus des êtres aimés, c’est celui qui fait le plus mal.

Les mots de Léonor de Récondo sont simples et forts à la fois. Son texte est un ouragan, elle fait tout exploser dans l’entourage de Laurent. Sans aucun jugement, elle explore cette quête d’une nouvelle identité, la volonté pour un homme de réaliser son rêve le plus intime, celui de devenir enfin la femme qu’il a toujours voulu être. Le plus difficile en effet, sont les répercussions sur sa famille, et l’auteure décrit ces scènes avec de la justesse mêlée à la colère évidement et aux mots qui font mal. Tout est en équilibre et il devient impossible pour le lecteur/la lectrice, de ne pas avoir envie de soutenir Laurent.

J’aurais bien aimé lire davantage de pages sur Solange, cette femme qui voit son monde s’écrouler le jour où elle découvre le secret de Laurent. Car elle se retrouve, elle aussi, inévitablement et profondément concernée par ce changement : peut-elle rester l’épouse d’un homme qui devient une femme? Qu’en sera-t-il de leur vie intime? Par ailleurs, le sujet aurait également pu être exploité un cran plus loin, mais je ne crois pas que c’était dans l’objectif de l’auteure. Elle a plutôt voulu mettre l’accent sur les conséquences sur l’entourage de Laurent. En tout cas, elle a réussi à décrire ce thème très finement.

C’est un gros coup de coeur, vous l’aurez compris. J’ai été hypnotisée par cette parenthèse, douloureuse et heureuse à la fois, dans la vie de Laurent et de sa famille. Un livre qu’on lâche difficilement et qui ne s’oublie pas. Un bijou!

PS : mon seul achat jusqu’à présent d’un livre de la rentrée littéraire 2017!

Léonor de Récondo, « Point cardinal », Éditions Sabine Wespieser, 2017, 224 pages

« Par amour » de Valérie Tong Cuong

Je me suis laissée tenter par ce roman après avoir vu passer de très nombreux avis, bien souvent élogieux. Valérie Tong Cuong, je l’ai découverte avec L’atelier des miracles, un titre qui m’avait plu sans plus.

C’est le sujet que l’auteure a voulu mettre en lumière qui m’a surtout donné envie : elle a choisi de parler de l’occupation allemande tout au long de la Seconde Guerre Mondiale dans la ville du Havre et des épisodes qu’ont été contraints de traverser les havrais. Dès les premiers exodes en 1940 jusqu’à la signature de l’armistice en 45, on découvre à travers la voix de 5-6 personnages tout ce qui s’est passé dans cette petite ville portuaire française. Les habitants ont non seulement du se mettre à la botte des allemands, leur laisser tout ce qui appartenait à leur vie d’avant, et obéir à leurs moindres désirs, et en même temps, assister impuissants aux bombardements sanguinolents de la part de l’armée britannique.

Deux familles se partagent ce roman choral : celle de Muguette et d’Elénie, deux sœurs à la personnalité fort différente mais dont l’amour véritable et la bienveillance ne cessent de les unir tout au long des événements. Leurs maris ont été appelés au front très rapidement. Pour leurs enfants respectifs, elles combattront la misère, la violence et la peur désormais omniprésente dans leur ville avec force, courage et persévérance.

Notre famille sombrait dans la défaite et j’étais impuissante. C’était une chose de lutter contre un ennemi, contre les circonstances, c’en était une autre de s’adapter au vide. (p.87)

Difficile de quitter ce roman, grâce notamment au grand talent de conteuse que j’ai (re)découvert chez Valérie Tong Cuong. A travers ses personnages touchants qui racontent chacun à leur tour ce qu’ils observent tout autour d’eux, on vit les événements. Elle arrive à attraper son lecteur et à l’emmener dans cette atmosphère triste, malgré le soleil régulièrement présent. Comme les héros, on ressent l’empressement d’agir vite pour sauver sa famille, l’empressement des choix qui transpercent le cœur. Les émotions sont vives, délivrées sans filtre. On passe par la tristesse, la joie, l’amour, la haine, le dégoût, l’espoir.

J’ai également le sentiment d’avoir réellement appris des choses sur cette Grande Guerre, et notamment le fait que les havrais devaient envoyer leurs enfants en Algérie pour les sauver mais surtout leur offrir un avenir meilleur.

Par amour pour une mère, par amour pour une soeur, par amour pour un enfant, par amour pour un mari, par amour pour un enfant recueilli, comment des personnes ordinaires arrivent à poser des choix qui vont au-delà de leur intérêt personnel. C’est l’amour pour l’autre qui prime, toujours.

Un roman qui vaut le détour, ne fut-ce que pour se rappeler par quoi sont passés tous ces innocents qui ont subi de plein fouet l’avidité de pouvoir de quelques personnes isolées. A lire également pour se plonger dans une histoire hautement romanesque, à ne plus pouvoir relever la tête. Et aussi pour toutes ces émotions qui vous submergent du début à la fin. Il m’a manqué la petite étincelle pour que cela soit le coup de cœur partagé par bon nombre d’entre vous, mais cela restera un très beau souvenir de lecture de mon été.

Valérie Tong Cuong, « Par amour », Éditions JC Lattès, 2017, 413 pages

« Journal d’un vampire en pyjama » de Mathias Malzieu

Il faut que je me fasse à cette idée : rien ne sera plus jamais comme avant. Me faire sauver la vie est l’aventure la plus extraordinaire que j’ai vécue.

Mathias Malzieu, je le connais évidement au travers de son groupe Dionysos. J’adore la pêche qu’il renvoie, son côté décalé lorsqu’il chante mais aussi de ses textes. J’ai également pu apercevoir son côté sensible, touchant et romantique, dans son film d’animation « Jack et la Mécanique du coeur », une adaptation de son roman du même titre. Car Mathias Malzieu est aussi un écrivain-poète, avec 7 publications à son actif (Journal d’un vampire… compris). C’est sous cette dernière facette que je n’avais pas encore eu l’occasion de le découvrir. Pourquoi avoir opté pour ce titre? Tout simplement parce que j’ai regardé à l’époque de sa sortie, ses nombreux témoignages à la télévision et son histoire m’a parlé. Il y dévoile un sujet très personnel qu’est la maladie qui la frappé dès l’hiver 2013.

Le leader de Dionysos est justement sur le point d’entamer la grosse promotion de son film « Jack et la Mécanique du coeur », ainsi que de l’album éponyme, lorsqu’il est pris de gros coups de fatigue, d’un mauvais souffle, d’un état général faible. Après quelques examens, les médecins sont déjà alarmistes : Mathias Malzieu a une infection du sang, à cause d’un dérèglement de sa moelle osseuse. C’est donc tout son système immunitaire qui est touché. Il s’agit d’une maladie rare, mais grave. La greffe de moelle osseuse est rapidement soulevée, une solution qui s’avérera infructueuse car ils ne trouveront pas de moelle compatible. Que lui reste-t-il à faire? Tout d’abord, de très nombreuses transfusions de sang, d’où sa métamorphose symbolique en vampire. Et des mois et des mois en chambre stérile, pour éviter tout virus et autres contaminations, durant son lourd traitement.

A partir de ces nouvelles peu réjouissantes, le chanteur et sa famille seront plus soudés que jamais et prêts à combattre cette maladie. Avec le décès de la maman quelques temps plus tôt, la peur est évidement très présente. Mais le moral y est, surtout pour Mathias et son amoureuse Rosy. A laquelle il rend d’ailleurs un superbe hommage tout au long de son roman, pour son soutien, l’amour qu’elle lui porte quoi qu’il en soit, et surtout la patience dont elle fait preuve.

Évidement, on connaît la fin (heureuse) mais les doutes sont nombreux vu le nombre de traitements qui échouent et les interrogations des professionnels de la santé, face à cette maladie rare. Par rapport à eux aussi, l’auteur les remercie chaudement au fil des chapitres, et il est vrai que l’accompagnement dont il a bénéficié ne fait aucun doute sur le professionnalisme, la gentillesse et le soutien des équipes médicales.

Ce que j’ai surtout apprécié dans ce texte, c’est qu’il est semé d’une multitude de doux moments et de clins d’oeil attendrissants. Étonnant vu le sujet, mais justement Mathias Malzieu s’est doté d’un incroyable courage et a décidé d’appréhender cette épreuve avec beaucoup d’humour, d’inventivité (un de ses traits de caractère qui m’a le plus bluffée) et toujours toujours de l’espoir. Bien sûr, il traversera de gros moments de doute, son état empire gravement par périodes. Cette peur, il l’a représentera au moyen d’une jolie nymphe appelée Dame Oclès. Elle représente la mort, qu’il combattra régulièrement d’un point de vue imaginaire évidement.

J’ai découvert une nouvelle facette du chanteur, celle d’une personne positive, lumineuse, extrêmement reconnaissante, terriblement créative. Pendant ses hospitalisations, jamais il ne cessera de penser à la musique, à l’écriture, à de nouvelles créations. Il réalisera ainsi ses premiers vinyles, chez lui, dans un studio conçu au moyen d’un siège-oeuf.

Beaucoup d’amour traverse ce livre, et aussi une façon de croire en la vie et en sa petite étoile. Sa force, il la puise parmi les siens et dans ses nombreuses passions.

Mathias Malzieu parle d’une renaissance, lorsqu’il apprend qu’il est « guéri » (car malgré tout, il garde un système immunitaire trop faible pour un homme de 40 ans). Il est en effet facilement imaginable que cette mauvaise étape de sa vie l’a transformé, et qu’il l’utilisera désormais comme une force. En tout cas, ce n’est pas ça qui l’arrête puisqu’il en a sorti un roman, et un album!

Gros coup de coeur pour ce journal, donc, qui m’a happée. Je suis vraiment restée scotchée à ses mots, pour connaître la suite des événements, mais aussi pour cette ambiance joyeuse et détendue qui casse avec le décor médical lié à l’histoire. On en sort avec le sourire aux lèvres et une furieuse envie de dédramatiser nos petits tracas du quotidien, lorsque l’on pense à tout ce que peut détruire la maladie. Il m’a donné très envie de lire ses autres romans, pour justement retrouver cette petite lumière qui semble constamment briller dans ses yeux de grand enfant.

Mathias Malzieu, « Journal d’un vampire en pyjama », Éditions Albin Michel, 2016, 245 pages

« En attendant Bojangles » d’Olivier Bourdeaut

J’étais prévenue par les nombreux-ses lecteurs-trices qui ont adoré ce roman : il ne ressemble à aucun autre! Je me suis donc laissée emporter par ce rythme dansant dès les premiers mots. Sans le savoir, j’entrais dans un univers à part, foisonnant, généreux, un pur bonheur de lecture!

Dans ce court livre, se déroule le quotidien d’un couple pas comme les autres, qui se vouvoie, porte des vêtements d’une autre époque, ne s’appelle jamais par le même prénom.

C’est leur petit garçon qui nous raconte cette incroyable fête qu’est leur vie. Dans leur appartement, les invités se bousculent chaque soir et passent des nuits entières à boire, à manger et à danser. Entre ses parents, c’est l’amour fou, véritable coup de foudre qui les a frappé il y a quelques années sur un bateau. Deux âmes-sœurs, qui ont immédiatement parlé le même langage.

A la moindre occasion, ils s’enlacent et se mettent à danser sur leur chanson fétiche « Monsieur Bojangles » de Nina Simone. Elle est devenue leur hymne, les notes sont directement imprégnées dans les murs de leur appartement. Ils n’ont sans doute rien en commun avec les parents « traditionnels », mais ils transmettent une réelle joie de vivre autour d’eux.

Mon côté très terre à terre s’est un peu méfié de cette première partie totalement hors du temps. Elle m’a beaucoup amusée car l’écriture permet de bien visualiser les scènes. J’entendais la musique à travers les pages, je ressentais la bonne humeur qui s’en échappait, et les fous rires. Un véritable vent de fraîcheur! Et puis, je savais au fond qu’Olivier Bourdeaut avait autre chose à raconter, et j’étais pressée de le découvrir. Chose qui arrive assez vite finalement, au premier signe d’énervement de la part de la maman, lors de la visite impromptue d’un contrôleur fiscal. On sent que sa réaction est un peu excessive. Les premiers signes de la maladie apparaissent au lecteur.

Le problème avec le nouvel état de Maman, c’est qu’il n’avait pas d’agenda, pas d’heure fixe, il ne prenait pas rendez-vous, il débarquait comme ça, comme un goujat. (p.74-75)

Un second narrateur s’intercale de temps en temps, entre les propos du fils, c’est le papa. Il partage quelques passages de son journal intime dédié à sa femme tant aimée. On sent que ces annotations lui permettent surtout de prendre un peu de recul par rapport aux situations parfois très abracadabrantes, voire dangereuses, qu’il traverse avec sa famille.

Son comportement extravagant avait rempli toute ma vie, il était venu se nicher dans chaque recoin, il occupait tout le cadran de l’horloge, y dévorant chaque instant. Cette folie, je l’avais accueillie les bras ouverts, puis je les avais refermés pour la serrer fort et m’en imprégner, mais je craignais qu’une telle folie douce ne soit éternelle. Pour elle, le réel n’existait pas. (p. 65)

Quelle réussite! L’auteur aborde un sujet finalement bien triste, qu’est la maladie mentale, mais jamais il ne plombe l’ambiance de son roman. C’est un texte lumineux, joyeux, qui donne envie de danser, de chanter, de crier, de vivre sa vie sans se soucier du regard des autres. Il est aussi très émouvant car l’amour, le véritable amour, est omniprésent. On ne peut que s’attendrir de ce petit garçon qui est rempli d’admiration pour ses parents. Ils sont extravagants, certes, mais il ne lui manque de rien, il est aimé, choyé, et c’est ça le principal. Par ailleurs, j’ai eu le cœur littéralement retourné face à cette mère qui se bat contre ses propres démons, et parallèlement, veut protéger coûte que coûte les deux hommes de sa vie. Car les personnages imaginés par Olivier Bourdeaut sont des plus attachants et éminemment solaires. On s’en détache avec beaucoup de difficultés, tant leur énergie positive prend de la place.

Le style m’a amusée aussi, grâce à cet auteur qui joue avec les codes et les expressions de la vie courante qu’il remanie à sa façon. C’est une nouvelle façon de voir les choses qui s’offre à nous, en somme. Que le narrateur soit un jeune garçon ajoutait un petit côté naïf que j’ai beaucoup aimé. D’autant plus que cette situation familiale n’est pas toujours très facile pour lui car elle n’est pas bien comprise dans notre société faite de modèles classiques et pré-conçus, comme l’école.

Je mentais à l’endroit chez moi, et à l’envers à l’école, c’était compliqué pour moi, mais plus simple pour les autres. Il n’y avait pas que le mensonge que je faisais à l’envers, mon écriture aussi était inversée. L’écrivais « comme un miroir » m’avait dit l’institutrice, même si je savais très bien que les miroirs n’écrivaient pas. (p.47)

En le terminant, ce sont des frissons qui m’ont parcourue, et les larmes n’étaient pas bien loin (ceux qui me connaissent bien savent que ça n’arrive pas souvent!). Un premier roman impressionnant, original et maîtrisé!

Olivier Bourdeaut, « En attendant Bojangles », Editions Finitude, 2016 (Folio, 2017), 172 pages

 

« Se résoudre aux adieux » de Philippe Besson

Je t’écris tout cela sans la moindre intention d’organiser ma pensée, au fil de la plume. J’écris ce qui me vient à l’esprit, sans respecter de logique, sans plus poursuivre un but.C’est ainsi : cette lettre est le produit d’un moment, celui strict de l’écriture, et le reflet de mes jours, que je n’ordonne pas. (p.66-67)

Pour tenter d’oublier son ancien amant qui l’a quittée, Louise s’exile à l’autre bout du monde, là où rien ne lui rappellera son histoire. A Cuba pourtant, elle ne peut s’empêcher de se ressasser les événements qui ont marqué cette relation, qui était, avouons-le, chaotique dès le départ. Il s’agissait en réalité d’une relation extraconjugale, et Clément a décidé de rester avec sa compagne « officielle ».

Elle décide alors d’écrire à cet homme, de longues lettres. A travers celles-ci, le lecteur découvre le fil de leur histoire : la rencontre, les émois, mais également les doutes et premiers signes de leur incompatibilité.

En dehors de ces souvenirs, elle y couche ses pensées quotidiennes, le déroulement de ses journées à l’étranger, ce qu’elle y trouve pour tenter de se ressourcer, et d’oublier son amour. Après Cuba, parce qu’il est encore trop tôt pour retourner à Paris, elle séjournera à New-York, Venise, et retournera au pays en faisant l’expérience de l’Orient-Express. Journaliste de métier, la jeune femme peut se permettre ces voyages puisqu’elle continue d’envoyer ses papiers à son employeur. Rien ne la retient sur ses anciennes terres, mais trouvera-t-elle l’apaisement tant attendu, ailleurs?

A travers ce monologue, aucune action ne permet de donner du relief ou du rythme à l’histoire. Et pourtant, le lecteur se laissera embarquer volontiers par les écrits mélancoliques de cette dame qui n’arrive pas à passer outre son histoire d’amour.

Ce sont les détails qui me crèvent plus le cœur, ce sont les choses de presque rien, qui se produisent sans que je les prévoie, surviennent sans prévenir, surgissent de mon quotidien, qui me mettent par terre. (p.28)

En décidant de tout plaquer et de partir vivre ailleurs, elle tente de se retrouver elle et de redonner un sens à sa vie. En tant que femme, Louise a aussi besoin de retrouver ses repères, d’envisager un avenir différent de ce qu’elle espérait, de revoir ses projets. Avec cette rupture, malgré tout assez brutale, puisqu’elle n’a plus aucun signe de Clément depuis cette décision, elle a grand besoin de retrouver confiance en elle. Et pourtant, loin de tout et surtout de lui, que décide-t-elle de faire? De lui écrire, et de ne parler que de lui et de leur histoire. Bien sûr, ça lui permet aussi de mettre noir sur blanc l’analyse de cet échec, vu qu’elle n’a plus personne à qui parler, mais est-ce vraiment la bonne solution d’écrire d’aussi longues lettres pour l’être encore aimé?

J’ai en effet eu un peu de mal à comprendre cette démarche, puisque la décision de Louise est clairement d’oublier cet homme. Néanmoins, les mots qu’elle trouve pour parler de leur amour passé évoluent au fil des mois et des voyages. Elle devient plus sûre d’elle, réenvisage un avenir sans lui, imagine se trouver un nouvel amoureux… Au final, j’ai constaté que ces lettres prenaient des allures de défouloir. Elles lui permettent d’extérioriser ses sentiments, et prendre du recul plus facilement. L’écriture est vue comme un moyen de guérison, en somme.

Je n’ai pas été ultra impressionnée par cette femme qui est assez banale. Elle ne le nie pas et se décrit comme tel dans ses missives. D’ailleurs, elle se demande si ce n’est pas sa personnalité trop linéaire, calme, sans trop de panache, qui a eu raison de son couple. Néanmoins, c’est une lecture qui est passée vite, qui m’a fait voyager. Philippe Besson a l’habitude de nous inviter dans ces lieux bien loin de notre environnement habituel pour une invitation au dépaysement. J’en au fait l’expérience avec Lisbonne (« Les passants de Lisbonne ») et Los Angeles (« Un homme accidentel »).

Et puis dans ce roman, on retrouve le Besson que l’on a toujours connu, là où il est le plus fort : dans l’analyse des émotions, des relations amoureuses, et des rapports humains. Une nouvelle fois, ce qu’il écrit sonne juste et nous parle.

Oui, cette Louise m’a touchée, sans pour autant m’émouvoir. J’ai sincèrement eu envie qu’elle s’en sorte, qu’elle s’échappe de ces vieux fantômes, plus forte, plus sûre d’elle, tout en ayant l’espoir de refaire sa vie un jour, peut-être aux côtés d’un autre homme.

Philippe Besson, « Se résoudre aux adieux », Éditions Julliard, 2007, 188 pages

« Marx et la poupée » de Maryam Madjidi

Attention, bijou!! Je suis tellement heureuse d’avoir laissé Delphine me convaincre avec ce titre!

Je pense n’avoir jamais lu d’histoire qui parle de façon aussi intime et ouverte de l’exil et du travail laborieux qu’est l’intégration dans un autre pays. Sur le sujet, je ne peux que faire le lien avec le très beau « J’ai longtemps eu peur de la nuit » de Yasmine Ghata. « Marx et la poupée » analyse encore plus profondément la longue et parfois douloureuse épreuve de refaire sa vie ailleurs, tout en essayant de faire le deuil de son pays d’origine quitté à contre-coeur.

Je comprends pourquoi Maryam Madjidi a été récompensée du Prix Goncourt du premier roman avec ce titre! Chacun de ses mots est à savourer! Le style est original, varié, utilisant plusieurs codes. lElle emploie un sens de l’humour discret frisant parfois avec l’ironie, et une telle poésie, pour nous dévoiler tout le chemin qu’elle a parcouru depuis ses 6 ans, pour se sentir enfin chez elle en France.

Elle n’est encore que dans le ventre de sa maman lorsque la révolution fait rage en Iran. Rêveurs et combattifs, ses parents tenteront de trouver leur place et de faire entendre leur voix, leur pensée. Mais au fur et à mesure que leurs amis se font soit tuer ou jeter en prison, ou encore torturer, ils prennent la décision de quitter le pays pour un autre où la liberté d’expression et la démocratie assureront une vie plus paisible à leur fille. Maryam a alors 6 ans lorsqu’elle arrive en France. Avec ses deux parents, ils passent les premières années sur le sol français dans un tout petit appartement miséreux. Très vite, elle fait son entrée à l’école. C’est avec ce passage obligé que commence la très longue période de transition et d’adaptation entre sa vie d’avant, celle de son enfance en Iran et désormais celle qu’elle doit recommencer en France.

Drôle d’image que cette mère et sa fille, immobiles au milieu de toute cette agitation, deux statues posées sur un banc, un peu pathétiques, chacune en proie à ses angoisses, s’excluant de la vie sociale qu’elles observent pourtant avec avidité. (p.99)

En alternant les époques, les narrations, ce récit peut paraître décousu. Car Maryam Madjidi offre un mélange de pensées, d’anecdotes et de bribes de son quotidien actuel. Pas vraiment un roman, il s’agit donc plus d’un ensemble de témoignages qu’elle nous livre, autour de thèmes bien précis.

La différence d’alimentation (et le fromage qui pue 🙂 ), de culture, la place de la femme dans la société, la jeune auteure explique en quoi son intégration a été périlleuse. Le thème le plus récurrent dans ce magnifique ouvrage, est l’amour de la langue. Comment passer d’une langue à l’autre, sans faire mourir celle qui a façonné son enfance et qui résonne encore avec tous les souvenirs qui lui sont liés? Son principe est le suivant : la langue façonne l’identité. Dès lors, à partir du moment où la jeune Maryam succombera au français, c’est l’iranienne qu’elle était qui disparaît. Cette double identité qui cohabite durant des années en elle, et qui finalement ne la lâchera jamais, est au centre de cet écrit.

(Au sujet du persan que le papa de Maryam veut continuer à parler à la maison)

(…)

– C’est notre langue, tu comprends, c’est tes racines.

– Je suis pas un arbre, j’ai pas de racines. C’est votre langue, plus la mienne. (p.143)

J’ai trouvé ses mots d’une infinie délicatesse, teintée parfois de tristesse, lorsqu’elle parle de cette dualité. La petite fille qu’elle était en a souffert et je l’ai trouvé extrêmement courageuse lorsqu’elle fait face aux propos racistes, aux moqueries de ses camarades de classe. En toutes circonstances, la jeune Maryam garde la tête haute, s’enferme de temps en temps dans sa bulle, mais avance quoi qu’il arrive. Plus tard, durant ses années universitaires, ou au fil des rencontres qu’elle fera, les questions et sous-entendus relatifs à ses origines persisteront.

Elle évoque également avec beaucoup de délicatesse l’amour de sa famille, en particulier de son oncle Saman emprisonné durant des années, et de sa grand-mère qui continuera de l’accompagner, grâce à une forme de transmission de pensées. Elle garde en elle les saveurs, les couleurs, la poésie propres à l’Iran. Son identité repose finalement sur un savoureux et passionnant mariage entre l’orient et l’occident dont elle a tiré de chaque côté, les meilleurs enseignements.

« Marx et la poupée » sonne comme une libération. Y prédomine, l’amour de la poésie et de la langue en général à travers lesquelles les émotions sont aussi bien apaisées, que dédoublées.

Un bijou à découvrir et à partager! Maryam Madjidi m’a bluffée et beaucoup touchée. J’ai savouré chacune de ses paroles! Merci Delphine 🙂

Maryam Madjidi, « Marx et la poupée », Éditions Le nouvel Attila, collection Incipit, 2017, 208 pages