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« La vie rêvée de Virginia Fly » d’Angela Huth

Je ne pense pas que je me serais retournée sur ce roman, à première vue… Mais la magie des blogs a, une nouvelle fois, opéré grâce à Sonia! Son billet, ainsi que son rappel lors de son bilan de fin d’année (et cette sublime couverture!), m’ont vraiment donné envie de faire la connaissance de cette Virginia Fly!

Il m’est assez difficile de qualifier ce roman à vrai dire. « La vie rêvée de Virginia Fly », c’est avant tout une rencontre. A première vue, la vie de cette femme de 32 ans vivant toujours chez ses parents dans une banlieue campagnarde de Londres, n’a vraiment rien de palpitant. Chaque personne qui a un jour croisé son chemin peut en témoigner :

(…) c’était une jeune femme extrêmement comme il faut, sensée et réservée, avec un regard sur les choses non dépourvu d’humour. (p.197)

Mis à part son métier de professeur de dessin, c’est le calme plat. Pas de sortie, pas d’amis. D’ailleurs, c’est peut-être à cause de ce manque cruel d’animation dans sa vie sociale, que sa maman est constamment sur son dos. Et les amours? C’est tout le nœud du problème! Virginia n’a jamais connu d’hommes… Ce qui arrange bien sa maman, évidement! Quel bonheur d’avoir une petite fille qui réserve son intimité pour le mariage. Mais pour la jeune femme, cela relève moins d’un choix, que d’avoir déjà rencontré un homme « correct ». Ceci étant, notre chère Virginia est une femme comme les autres, avec des désirs! En témoignent les fantasmes qui la font frémir à tout heure de la journée, dès qu’elle ferme les yeux.

Elle avait cette vision merveilleuse d’une main d’homme lui caressant le corps, lui causant le le long de l’épine dorsale le genre de frisson qui incitait ses doigts à fermer machinalement les trois boutons de son cardigan, et l’instant d’après elle s’entendait déclarer avec un calme admirable : « Miranda, je crois que c’est ton tour d’effacer le tableau. » (p.9)

Derrière le petit oisillon que tout le monde (sur)protège, se cache une demoiselle qui souhaite voler de ses propres ailes et écrire elle-même sa vie. Mais l’homme à la moustache qui apparaît dans ses rêves les plus torrides, viendra-t-il un jour à elle?

C’est à l’occasion du tournage d’une émission de télé ayant pour sujet l’amour autour du mariage, que Virginia espère un tournant dans sa vie amoureuse.

Quelqu’un, quelque part, serait peut-être touché par ce fameux sourire. (p.49)

Entre-temps, elle rencontrera pour la première fois Charlie, cet américain avec qui elle correspond depuis 12 ans. Il y aura aussi Ulick Brand, mis sur sa route grâce à l’intervention de Mrs Thompson, une londonienne séduite par le portrait de Virginia dans l’émission de télé.

Une affinité s’est créée avec Virginia, mais elle ne s’est pas faite immédiatement. Alors qu’elle me semblait vraiment nunuche au tout début du roman, l’héroïne présente au fur et à mesure de ses rencontres une personnalité en décalage avec l’image lisse qui lui colle inévitablement à la peau. Ce que j’ai aimé, c’est sa répartie et son humour décalé, parfois même très direct.

Dans ce roman, on parle de pression familiale, de la recherche de l’amour, de ce monument un peu inaccessible qu’est le mariage, mais aussi de sa place dans une société pas toujours très honnête. Des sujets qui sont très modernes, et pourtant, ce roman a été écrit en … 1972!

Si vous aimez le style « so british », l’humour parfois cynique et les personnages bien travaillés, je vous conseille ce très chouette roman!

Angela Huth, « La vie rêvée de Virginia Fly », traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Anouk Neuhoff, Éditions Quai Voltaire, 2017, 218 pages

« Juliette : les fantômes reviennent au printemps » de Camille Jourdy

Nouvelle découverte dans le monde de la BD aujourd’hui! Encore une fois, j’ai vraiment de la chance, mon coeur a fait un petit boum à la lecture de ce très bel album qu’est « Juliette ».

Qu’est-ce que j’étais heureuse de retrouver les personnages de ce roman graphique chaque soir! Leurs mésaventures, leur naturel, leur humour, me faisaient du bien. Ils me permettaient de me déconnecter. J’étais absorbée par leur quotidien. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans « Juliette » : une série de moments de vie, de scènes courantes qu’on observe nous-mêmes tous les jours. C’est à cet égard que Camille Jourdy frappe fort puisqu’elle retranscrit à merveille tous ces petits riens qu’on a déjà connus ou observés. Le summum : la fête d’anniversaire du neveu de Juliette. A cette occasion, tous les membres de la famille sont invités. Qu’ils s’apprécient ou pas, tant pis. Ça donne de vraies scènes cocasses qui m’ont franchement faire rire!

« Juliette » ce n’est pas une histoire abracadabrante. Juste celle de cette trentenaire qui revient vivre en province quelques semaines chez son père, pour souffler de son Paris habituel et morose. Il n’y a pas de raison en particulier qui justifie ce retour aux sources. On sent par contre une grande part de nostalgie à travers les regards tristounets de la demoiselle, lorsqu’elle retrouve son ancienne chambre et les photos d’enfance. Peut-être est-elle simplement venue retrouver une part de son âme d’enfant? Ses angoisses régulières et son côté hypocondriaque ajoutent de l’empathie que le lecteur ne peut que développer à son encontre, même si on la bousculerait bien un peu de temps en temps 🙂

A côté de Juliette, on découvre d’autres personnages qui prennent en intensité et en profondeur à mesure que l’on avance dans l’album. Marylou, sa sœur aînée, mère de deux garçons, qui tente de survivre à une triste routine dans les bras de son amant, qui aime par-dessus tout se déguiser. Georges, qui noie ses histoires d’amour ratées tous les soirs au Tropique et se noue d’amitié avec un tout jeune caneton. Les parents de Juliette, fidèles à l’image des divorcés, ne cessent de se chamailler en public mais qui, au fond, s’apprécient sans doute encore un tout petit peu. La grand-mère, qui perd la mémoire mais pas tant que cela. Des figures ultra sympathiques qui s’entraident sans le savoir et avancent à l’unisson dans leurs aventures personnelles. Quant aux dessins, Camille Jourdy offre des pages splendides, aux mille couleurs pastels, aux détails si précis, que l’on ne peut s’empêcher de les admirer pendant plusieurs minutes. Les nombreuses scènes s’enchaînent sous forme de « séquences », parfois interrompues par un double tableau qui nous plonge dans une douce atmosphère printanière. Le seul reproche que j’aurais, serait que les dessins et les textes sont parfois un peu petits. Mais l’enchaînement ainsi provoqué donne l’impression que la scène prend vie. Un tout petit bémol également pour les questions laissées en suspens à la fin de l’album qui s’arrête un peu net. Mais au final, à nous lecteurs et lectrices à imaginer une suite à tous ces personnages que l’on quitte sincèrement avec regret.

Inutile de préciser que je sauterai avec grand plaisir sur la série de Rosalie Blum!

 

bd-de-la-semaine-saumon-e1420582997574 Cette semaine chez Moka!

Camille Jourdy, « Juliette : les fantômes reviennent au printemps », Éditions Actes sud BD, 2016, 240 pages

« Ma fugue chez moi » de Coline Pierré

Quel plaisir de retrouver la douceur qui émane de l’écriture de Coline Pierré et l’attachement qu’elle arrive à créer immédiatement avec ses jeunes personnages! Après « La folle rencontre de Flora et Max« , écrit avec Martin Page, qui était un coup de cœur, je me suis laissée embarquer dans cette aventure qui concerne Anouk.

A 14 ans, elle a beaucoup de mal à trouver sa place à la maison : elle partage sa vie avec son papa et sa jeune sœur de 2 ans sa cadette. Leur maman est partie à l’étranger pour son travail, et ne revient au domicile familial qu’exceptionnellement. Même ses coups de téléphone se font de plus en plus rares. Ajoutez à cette absence déjà difficile, un papa qui ne communique que très peu, et une sœur qui est à l’internat toute la semaine, et vous comprendrez facilement la solitude à laquelle fait face au quotidien notre Anouk. Qu’est-ce qui a fait déclencher cette envie de voir ailleurs si l’herbe est plus verte? Une guerre nouvellement déclarée avec son ex-meilleure amie et qui s’illustre au moyen des pires mesquineries.

Anouk décide alors de tout quitter, avec pour seul souvenir de son « ancienne » vie un sac à dos et quelques effets personnels. Mais après quelques heures passées dans le froid hivernal de son Alsace natale et voyant les difficultés à trouver un endroit où passer la nuit, elle décide de rentrer chez elle, penaude. Lui vient alors à l’idée de mettre en scène sa fugue… et de se cacher dans le grenier. Grâce aux quelques vivres glanées durant la journée, pendant que tout le monde vaque à ses occupations, Anouk y voit la fugue parfaite sans prendre trop de risque! Un bref mot laissé sur la table à l’attention de son père, et voilà qu’elle organise la cache idéale avec le confort minimum, dans la seule pièce que personne ne pensera à vérifier.

« Ma fugue chez moi », voilà un titre et une accroche particulièrement originaux! Nombreux sont les ados qui veulent quitter leurs parents, leur école, leurs amis, mais n’osent le faire par peur de se retrouver sans aucun moyen. Anouk, elle, trouve alors une alternative séduisante, qui allie confort et fuite de sa propre vie. Mais ce qu’elle n’avait absolument pas imaginé, est qu’elle allait devenir le témoin de sa propre absence, et assister aux conséquences sur les personnes aimées. Tristesse, angoisse, insomnie, son entourage est profondément sonné par sa disparition et remue ciel et terre pour tenter de la retrouver. Toutes ces scènes se jouant sous ses yeux!

Si les premiers jours sont jouissifs, au fil du temps, Anouk se retrouvera face à ses propres responsabilités, et aura le sentiment de s’être mise dans une impasse, tout seule.

Personne ne fugue pour voir ses proches réagir. On fugue justement pour ne plus de préoccuper de rien. Pour ne pas avoir à affronter les raisons et les conséquences de son départ. (p.25)

Avec ce nouveau titre, Coline Pierré aborde des thèmes importants pour les ados et leur donne matière à réfléchir sur la conséquence de certains de leurs actes. Tout m’a semblé très cohérent et je me suis vraiment laissé imprégner par cette atmosphère  secrète, presque intime, que renvoie le tout petit lieu aménagé par Anouk.

Je me sens comme Robinson Crusoé sur son île : heureuse d’être accaparée par ma survie. Je ne m’ennuie pas. Chaque geste devient une mission. Manger est un véritable défi. Prendre une douche est un challenge. Piquer de la nourriture et des objets sans me faire repérer est un parcours du combattant. Je suis un agent secret du quotidien. (p.35)

J’ai beaucoup aimé ce court roman, empreint d’une belle humanité et qui réchauffe le cœur!

Coline Pierré, « Ma fugue et moi », Editions du Rouergue, Doado, 2016, 116 pages

« Le bleu est une couleur chaude » de Julie Maroh

Je ne sais vraiment plus ce qui m’a poussée vers cette BD que tout le monde connaît, #jedébarque, mais au moins, c’est l’occasion de refaire parler d’elle 🙂

Dans cet album, ce n’est pas le rouge mais le bleu qui est synonyme de l’Amour avec un grand A. La couleur d’une rencontre, la couleur de la révélation, la couleur de la vérité.

Un amour surprenant, qui prend naissance au fin fond des tripes de Clémentine. Juste un regard en pleine rue. Emma apparaît telle une hallucination, d’abord frappée par le bleu de ses cheveux. Mais elle est accompagnée… et Clémentine est hétéro, du moins le croyait-elle. On est au milieu des années 90, et l’homosexualité n’est pas encore tout à fait entrée dans les mœurs. Elle est même cachée voire prohibée aux yeux de beaucoup de personnes. Avec cette rencontre, Clémentine remet toute sa vie en question et plonge dans un profond mal-être. Ses sentiments se confondent, des milliers de questions lui martèlent la tête, et elle ne sait vers qui se confier. Qu’elle se sent petite face à Emma qui assume pleinement son identité sexuelle. Qui s’assume en tant que femme, qui défend ses valeurs et qui a une idée précise de ce qu’elle veut faire de sa vie. Un modèle pour la jeune Clémentine. Un lien très fort les unira d’abord amical. Des âmes sœurs, une relation platonique, Emma étant en couple depuis quelques années. Jusqu’au jour où, l’attirance prend le dessus. Entre elles deux, c’est intense, si facile et naturel. Ce n’est pas pour autant que le regard des autres a changé et Clémentine continue de se cacher. Elle a peur des représailles, et surtout peur de l’exclusion. Les deux jeunes femme arriveront-elles à se libérer des préjugés, des insultes et des barrières qui pèsent sur ce bel amour?

Les questions des ados sont banales aux yeux des autres. Mais quand on se sent seule à pieds joints dedans, comment savoir sur lequel danser?

Voilà encore une bande dessinée que j’ai adoré. L’histoire est happante et très émouvante, avec des personnages sensibles et profonds. Une histoire qui retourne le cœur, car cet amour-là, celui qui chamboule une vie, est précieux et rare. Évidement, il est aussi compliqué et il faut se battre pour le faire exister. Il a un coût, malheureusement. Une scission se marque passée la première moitié de l’album, lorsque la vérité éclate aux yeux des parents de Clémentine, qui mettent les deux filles hors de leur maison. Clémentine grandit d’un coup, et porte le poids de son choix sur ses menues épaules. Mais elle n’hésite pas et partira avec l’être aimé. Un césure marquée par un changement d’ambiance et de couleurs au niveau graphique, pour l’avant/l’après. Avant, le bleu est omniprésent, qui tranche avec le gris général des planches.

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J’ai été plus émue par l’histoire et le texte, que par les dessins à vrai dire. Les mots sont lourds de sens et poussent à la réflexion. Ceci étant, les personnages qui prennent vie sous le crayon que Julie Maroh portent une extrême sensibilité, qui va de pair avec le texte. C’est une BD qui mérite d’être transmise, échangée, et partagée pour son lourd sujet. J’ai été abasourdie et dégoûtée par les comportements de rejet qui touchent Clémentine, au moment où elle a le plus besoin de ses amis. Et pourtant, on est dans les années 90… J’ai dû relire plusieurs fois les dates, tellement j’étais surprise de ces agissements.

C’est donc un magnifique album qui traite de l’amour bien entendu, mais surtout de la recherche et de l’acceptation de soi. De la force qui nous pousse chacun et chacune à s’assumer, à croire en soi et en ses choix. Et à repousser le « moule » qui agit comme un aimant, sous prétexte que c’est la « normale » (de quoi, de qui?).

Julie Maroh m’a remuée avec ce premier titre très prometteur. J’ai hâte de la retrouver avec son nouvel album « Corps sonores » qui vient tout juste de sortir.

bd-de-la-semaine-saumon-e1420582997574Cette semaine, chez Noukette!

Julie Maroh, « Le bleu est une couleur chaude », Editions Glénat, 2010, 160 pages

« Plus tard je serai moi » de Martin Page

Comment réagir quand nos parents ont le sentiment de pouvoir choisir ce qu’on veut faire de notre vie, sans demander notre avis? Crise de la quarantaine? Stress soudain face à l’évolution de leur enfant?

Séléna est en tout cas confrontée du jour au lendemain à mille interrogations de la part de ses parents et à une turbulence de ce genre. Turbulence, ou devrait-on dire, raz-de-marée, qui va bouleverser le calme et l’harmonie qui régnaient jusqu’alors dans cette famille tranquille.

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C’est décidé, Séléna sera artiste! Décidé, enfin, elle n’est encore qu’au collège et n’a pas vraiment réfléchi à ce qu’elle voudrait faire plus tard. Mais ses chers parents, ont décidé que c’est la meilleure voie à suivre pour elle. Quelle chance pour elle, de ne pas être forcée à suivre des études supérieures, à imaginer un mode de vie plus bohémien, très loin du métro-boulot-dodo. Mais… ce n’est pas elle qui l’a choisi! Et même si l’idée paraît séduisante, Séléna veut avoir le libre de choix de prendre cette décision toute seule.

Seulement, ses parents ne s’arrêteront pas à cette simple discussion. Celle-ci a ouvert les portes à une véritable course au plus « offrant » : une palette d’aquarelle, un carnet, un appareil photo, un piano… jusqu’où vont-ils s’arrêter? Couper le chauffage peut-être? Arrêter de faire les courses? C’est bien connu, tous les artistes aujourd’hui sont passés par des phases difficiles durant leur enfance!

Après avoir lu « La folle rencontre de Flora et Max » écrit par Martin Page et Coline Pierré, j’ai eu envie d’en savoir un peu plus sur l’œuvre de celui-ci.

Très clairement, le style est différent! On entre dans un univers plus loufoque et déjanté, alors que celui du roman écrit à quatre mains y était doux et sensible.

J’avoue avoir perdu pied à plusieurs reprises dans cette histoire de parents qui imposent leurs choix à leur enfant. Face à cette ascension de gestes et d’achats, je n’ai pas vraiment été convaincue. Je n’ai pas réussi à me situer entre le côté grotesque et ridicule du comportement des parents de Séléna, et entre la part limite surréaliste, extraordinaire, voire drôle, de la situation. C’est un roman sympa, avec un message intéressant, mais je n’ai pas été emportée par les événements. Séléna ne m’a pas spécialement conquise non plus. Alors que j’aurais aimé qu’elle tape du poing sur la table, qu’elle crie haut et fort qu’elle seule a les clefs de son destin entre les mains, elle m’a paru bien trop effacée.

Je ne regrette pas pour autant d’avoir choisi ce titre, soufflé par Folavril, et lirai volontiers autre chose de Martin Page (peut-être l’un de ses romans pour adultes). Mais l’attachement n’a pas pris avec celui-ci.

En tout cas, elle ne vivrait pas une vie qui ne serait pas la sienne, elle ne passerait pas à côté des choses qui comptent pour elle. Restait à savoir exactement ce qu’elles étaient, ces choses. (p.64)

Martin Page, « Plus tard je serai moi », Edition du Rouergue, Doado, 2013, 73 pages

« Le complexe du papillon » d’Annelise Heurtier

Soudain, j’ai ressenti la furieuse envie d’être quelqu’un d’autre que moi. (p.41)

Devenir quelqu’un d’autre, changer de vie, être simplement différent-e… qui n’en a jamais rêvé, surtout à l’adolescence?

Annelise Heurtier décrit à merveille cette période charnière, celle où on se retrouve au milieu de ses propres doutes et de ses envies d’autre chose.

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Elle l’aborde dans son nouveau roman en mettant en scène une jeune fille de 14 ans prénommé Mathilde, qui, du jour au lendemain tombe dans le cercle vicieux de l’anorexie. En apparence bien dans sa tête et dans sa peau, elle se retrouve rapidement enfermée dans une dangereuse spirale qu’elle ne semble plus maîtriser. C’est face à la transformation physique d’une élève de sa classe, que Mathilde commence à douter d’elle-même et surtout de ce que lui renvoie son corps, plus musclé que filiforme. Sa drogue à elle, c’est la course à pieds et l’athlétisme qu’elle pratique depuis des années. D’habitude, elle se tient à l’écart de la presse people et des nouveaux diktats de la mode. Mais avec le changement de Cézanne, elle se met d’un coup à détester son corps et à vouloir atteindre la même assurance que sa copine de classe. Malgré la présence de sa meilleure amie, la pétillante Louison, Mathilde tombe rapidement dans la maladie et se renferme sur elle-même, elle qui  était si souriante et sociable.

Je me suis postée devant le miroir pour dire au revoir à cette fille qui me faisait face et que je n’aimais pas. (p.57)

Ce roman est efficace, direct. L’auteure rentre tout de suite dans le vif du sujet, ce qui permet d’accrocher immédiatement le lecteur. J’ai eu beaucoup de mal à le lâcher, voulant rester aux côtés de Mathilde dans cette dangereuse quête d’idéal. Elle est très attachante, ainsi que Louison, la petite fée de Mathilde.

Mais Annelise Heurtier ajoute une profondeur à ce récit en intégrant le deuil, avec la perte récente de la grand-mère de Mathilde. Elle associe ainsi les deux thèmes, pour présenter un mal-être plus général. Les passages sur sa grand-mère sont très émouvants. Je me suis beaucoup reconnue dans le personnage de Mathilde, sans doute l’une des raisons pour lesquelles je n’ai pu lâcher ce roman! Et puis l’écriture est toujours aussi jolie…

Un roman que j’ai vraiment beaucoup aimé, que j’ai trouvé très juste.

Découvert une nouvelle fois grâce aux excellents conseils de Fanny des Pages versicolores. Son beau retour ici.

Annelise Heurtier, « Le complexe du papillon », Editions Casterman, 2016, 194 pages.

« Éviter les péages » de Jérôme Colin

Comme tous les ados, j’ai rêvé à un destin extraordinaire. Et comme tous les adultes, en grandissant, j’ai juste fait ce que la vie attendait de mois : aller tout droit, sans éviter les péages. p.17

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Le narrateur, dont on ne connait le prénom, est un chauffeur de taxi de 38 ans, avec le moral dans les chaussettes (et c’est peu le dire!). Il se trouve à un carrefour de sa vie où il hésite entre tout plaquer pour vivre pleinement le goût du risque – « éviter les péages », citation d’Alain Bashung et son « Osez Joséphine », dont j’aime beaucoup la métaphore – ou bien poursuivre son quotidien rangé, de mari et père de trois enfants, travaillant la nuit et sillonnant le centre de Bruxelles au gré des rencontres avec ses clients. Qu’est-ce qui a dérapé pour qu’il remette tout en cause? Pourquoi se pose-t-il ces questions à ce moment-là? Le lecteur le découvre notamment très peiné de la perte son papa, mort trois ans plus tôt d’un cancer. Perte de repères, de modèle, d’appui. Cela donne des moments très émouvants dans le livre, où le narrateur discute avec son papa, en plein milieu du cimetière, et dont les seules réponses sont évidement, le silence.

C’est la grande question des choix qui traverse ce roman. A l’aube de la quarantaine, cela semble tout à fait légitime de se demander si on peut encore plaire, de s’imaginer une deuxième vie avec une autre personne, de rêver d’aventure, de journées imprévisibles, où les surprises ont encore le pouvoir de nous émouvoir.

(…) Est-ce qu’il me reste des choses à faire sur cette terre?

Je ne le crois pas. J’ai déjà aimé fort. J’ai joui. J’ai eu trois enfants. J’ai voyagé un peu. J’ai rencontré des gens. Je connais déjà mes meilleurs amis. Qu’est-ce qu’il me reste à faire d’important? Rien, je crois. A trente-huit ans, l’essentiel a été fait. La partie est déjà finie! Et ça me rend dingue. p.79

Alors qu’un soir, il partage un verre avec son meilleur ami dans un bar, avant de prendre son service, notre homme a un coup de foudre pour Marie, une connaissance à son ami. Tout bascule. Il plonge alors les yeux fermés dans cette histoire passionnée durant un mois. Un mois, c’est court, mais tellement fort. Ils se découvrent déjà totalement amoureux l’un de l’autre. C’est donc très vite qu’il prend la décision d’interrompre cette aventure, avant d’atteindre le point de non-retour, et de prendre de la distance avec son épouse, pour réfléchir et faire le bilan de sa vie.

Cela faisait presque un an que ce roman m’attendait. Jérôme Colin n’est pas un inconnu en Belgique, même s’il s’agit de son premier roman : homme de radio sur la chaîne de service public francophone, il est également animateur sur la RTBF télé dans une émission intitulée « Hep taxi! » où il partageait le rôle de… chauffeur de taxi! et de journaliste, avec pour client à chaque tournage, une célébrité. Il me tardait de découvrir l’écrivain, métier qu’il lui tient particulièrement à cœur, en plus du passionné de musique rock et du journaliste, que je connaissais déjà. Dans les émissions qui ont suivi la parution de son bouquin, il revenait régulièrement sur le besoin de sortir les mots et d’extraire cette histoire de lui. Très vite, j’ai aperçu une incroyable ressemblance entre lui et son personnage. « Eviter les péages » a donc une grande part d’autobiographie, et je crois que je suis partie de ce constat dès le début de ma lecture. A mes yeux, c’est lui, Jérôme Colin, qui parle, qui ouvre son cœur à un nouveau public, qui décide de dévoiler un autre pan de sa personnalité, qui renverse l’image du gars jovial, bavard et dynamique qu’on a l’habitude d’entendre. Pour certains auteurs, écrire son histoire devient un exutoire, mais il peut s’agir aussi d’une véritable confidence offerte aux lecteurs.

C’est évidement un texte mélancolique, mais tellement réel et ancré dans un quotidien qui pourrait être le nôtre, homme ou femme. Tout quitter ou continuer ce chemin déjà balisé, au cours duquel les surprises diminuent, mais qui est confortable et surtout, où il ne nous manque de rien.

La musique, véritable moteur dans ce roman, sert de guide tout au long du questionnement du narrateur. Elle a toujours été essentielle à ses yeux, et elle continue de l’accompagner, quelque soient les obstacles à franchir et les décisions à prendre. Leonard Cohen, Alain Bashung, autant de grands noms qui résonnent en chacun de nous, et encore plus quand on s’imprègne de cette histoire.

Que c’est bon d’avoir mal quand le bourreau est une chanson douce. p.79

C’est un roman qui m’a beaucoup plu, pour son sujet, son traitement, où tout est toujours mitigé, sur la tangente, à l’instar du personnage qui ne sait jamais choisir. Ni jamais noir, ni trop lumineux. Il est sensible, tout comme le personnage principal, et vrai. Jérôme Colin, rencontré lors de la Foire du Livre de Bruxelles en début de cette année, a plusieurs fois confié qu’il avait trouvé une nouvelle voie, désormais devenue une drogue. Il s’est collé à l’écriture, et il ne peut plus s’en passer. C’est une histoire qui a un sens et un message qui peut servir à chacun de nous. Le seul regret pour moi est cette sensation d’inachevé, ressentie à plusieurs reprises. L’impression que l’auteur a amené plusieurs thèmes, qu’il n’a pas exploités jusqu’au bout. Plusieurs portes entrouvertes, vers lesquelles il n’a pas pu s’enfoncer. J’aurais aimé poursuivre sur ces thèmes, tellement j’ai apprécié son regard sur ceux-ci, à la fois personnel et universel. Ceci étant, je comprends mieux lorsqu’il annonce que d’autres livres suivront prochainement.

Un auteur à suivre, et un titre à lire pour celles et ceux qui aiment les questions existentielles, les rencontres fortuites qui donnent un sens à la vie, la musique rock des 70′-80′ et les ambiances moroses.

Jérôme Colin, « Eviter les péages », Éditions Allary, 2015, 197 pages.

Lecture dans le cadre du Mois belge d’Anne et Mina.

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