« Si tu passes la rivière » de Geneviève Damas

Depuis que les mots me venaient, le silence ne me faisait plus peur, peut-être parce que je savais qu’avec un rien, je pourrais le chasser alors qu’avant, ils se collait définitivement à mes os. » (p.130)

Au milieu des terres de la ferme familiale, François, 17 ans, est obnubilé par la rivière coulant juste en face. Irrésistiblement attiré vers celle-ci, il ne s’est pourtant jamais approché de cette frontière interdite par son père qui le bannirait sur le champ s’il la franchissait. Tant de mystères, pourquoi? Il semble qu’il soit le seul à s’en préoccuper, contrairement à ses autres frères dont il se sent, par ailleurs, si différent. Tous travaillent ardument à la ferme, chacun ayant un domaine précis : François, ce sont les cochons. Le nigaud, le fada, tel qu’il se perçoit, s’isole, et réfléchit : qu’est devenue Maryse, sa grande sœur, qui a osé un jour franchir la rivière? La seule personne en qui il avait confiance est partie sans un mot, mais sans doute avec beaucoup de secrets. Y trouverait-il réponse aux si nombreuses interrogations qui le tourmentent de plus en plus? La plus merveilleuse issue serait de dénouer les fils de ses origines, de son passé, qui lui révèleraient sans doute la figure qui lui manque le plus : celle de sa maman, qu’il n’a jamais connue.

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Ce roman d’apprentissage retrace avant tout la fabuleuse évolution du petit François, sur fond de lourds secrets familiaux. Trouver sa place au sein d’une fratrie de 5 enfants n’est évidemment pas choses aisée, mais au-delà de cette position hiérarchique, il se sent différent. Bébé, il ne se retrouve sur aucune photo, n’est jamais dans les bras de sa maman. D’ailleurs, aucune information à son sujet ne s’échappe du silence de cette maison froide, où règnent l’ordre, la peur, la domination paternelle. François trouvera donc sans doute quelques éléments de réponse en sortant de là, au fil des rencontres qu’il nouera avec d’autres villageois. Une très belle amitié se tisse d’ailleurs avec le curé du village, Son Roger qui, en lui apprenant à lire, lui offrira une véritable porte ouverte sur un monde qui lui semblait tellement flou et étranger. Le partage des mots, un cadeau si précieux, à travers la lecture de l’Auberge de l’Ange-gardien de la comtesse traverse ce roman comme la lumière. François s’ouvrira au monde tout au long de cet apprentissage et décodera les silences, les rumeurs qui veulent fuir ou les mots à demi prononcés.

J’ai été particulièrement séduite par l’environnement, le cadre de cette histoire. L’appartenance à la terre y est très présente, et le travail, la valeur première pour cette famille enfermée sur elle-même. L’esprit du village ressort à merveille des phrases de Geneviève Damas : la proximité incontournable mais parfois contraignante, et les relations presque intimes entre les habitants de ce patelin. En osant enfin mettre son nez hors de la ferme, François s’émancipera notamment grâce aux liens nouveaux formés avec les villageois (Roger le curé, la vieille Lucie, Amélie, les autres maraîchers). Des personnages secondaires, et pourtant si importants, pour lesquels j’ai développé de l’affection au fil de la lecture et des rencontres.

Le style – parler – est également en cohérence avec le cadre rural, appuyé par un vocabulaire propre au milieu (sans être péjorative). François, le narrateur, raconte avec la naïveté de son manque d’expérience et la spontanéité propre à sa jeunesse. Une grande tendresse se crée avec le lecteur, à qui il aime s’adresser de temps en temps.

« Si tu passes le frontière » est donc une invitation à suivre le cheminement personnel du jeune François, envers et contre son père, pour découvrir enfin son passé, et de là, son identité. Un charmant voyage, tout en douceur, qui se termine un peu vite à mon goût, tellement j’aurais aimé le poursuivre.

Avec ce premier roman, Geneviève Damas a séduit le lectorat belge en publiant chez Luce Wilquin, une valeur sûre je dirais presque, et en remportant le Prix Rossel en 2011. Depuis, c’est le monde entier qui a succombé à cet ado en quête d’amour.

Une lecture partagée avec Florence et Julie.

Geneviève Damas, « Si tu passes la rivière », Editions Luce Wilquin, 2011 (Le Livre de Poche, 2014), 158 pages.

Lecture dans le cadre du Mois belge d’Anne et Mina.

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19 réflexions au sujet de « « Si tu passes la rivière » de Geneviève Damas »

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  2. anne7500

    Il est vraiment attachant, ce François. Et sa naïveté face aux petits secrets de Roger… Je suis vraiment contente que ça t’ait plu (je savais que tu ne me briserais pas le coeur !) 😉

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  4. Marilyne

    Encore un beau billet sur un coup de coeur partagé :-). Comme toi, particulièrement touché par les scènes entre François et le curé, par cette tendresse qui affleure sur les pages.

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Le curé est un gros coup de pouce dans le développement personnel de François, je trouve!
      Les mots sont justes, sans chichis et tout en finesse. Un beau texte!

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  5. Mina

    Cet attachement à la terre me rappelle Marie Gevers, je me demande si tu ne l’apprécierais pas pour cette raison, même si le style est très différent. C’est d’ailleurs ce style qui me fait reculer et refuser de lire ce roman (je ne voudrais pas briser le petit cœur d’Anne avec la chronique d’une déception annoncée ;))

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    1. Laeti Auteur de l’article

      J’ai aimé cette dimension du livre : François veut s’émanciper, mais reste malgré tout attaché à sa ferme, et à ses cochons avec lesquels il partage bien plus qu’avec un humain.
      Je me doutais bien que ce style te freinerait, le parler est poussé loin, avec certains mots en patois. Si tu risques de faire de la peine à Anne (ou à moi), en effet, je ne te conseillerais pas cette lecture 🙂

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Dans ce cas, le jeune narrateur est surtout influencé par son lieu de vie. Difficile d’en être autrement, surtout dans un milieu rural. L’auteure le fait bien ressentir tout au long du livre, et évidement, le lecteur est happé par cette histoire de secrets! Bonne lecture!!

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  6. sous les galets

    Aifelle et Marilyne m’avaient convaincues, tu enfonces le clou.
    C’est noté. J’aime ce que tu dis sur ce garçon qui part d’une certaine manière à la recherche de lui-même (et puis bon j’adore les secrets de famille aussi).

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Comprendre son passé, pour se redéfinir et s’inventer un nouvel avenir, voilà tout le projet de ce roman! Avec un style oral, qui colle à l’ambiance et à l’environnement!

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