« Zebraska » d’Isabelle Bary

Je tiens d’emblée à préciser que je n’avais aucune connaissance sur les particularités ou le quotidien des enfants précoces avant de lire ce roman, et que c’est justement le sujet qui m’a donné envie de me plonger dans « Zebraska ».

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Pour nous faire découvrir cet univers extra-ordinaire, l’auteure nous invite en 2050 chez Martin Leroy, 15 ans, un ado HP à la personnalité amusante, vivace et curieuse. Sa spécificité, Marty la vit assez bien. Il a appris très tôt à canaliser ses émotions, doit parfois rappeler à son cerveau de fonctionner moins vite – un pêle-mêle d’idées rapides et confuses remarquablement retranscrit! – et surtout à se concentrer sur une chose à la fois. Mais dans l’ensemble, le jeune homme prétend à une vie « normale » d’ado de son âge. Un jour, son père lui apporte un cadeau de sa Mamiléa, partie vivre en Afrique : un livre. Quel drôle d’objet, à l’ère des tablettes 3D! Évidemment, il était loin de s’imaginer la portée de cette surprise poussiéreuse et ancestrale.

La grande question qui traverse et qui fait ce roman est l’héritage et la transmission : faut-il tout dire à ses enfants, et surtout, comment le dire? Pour cela, Isabelle Bary use d’une construction originale et ingénieuse où elle imagine Mamiléa offrir un livre, le roman de sa vie, à son petit-fils Martin, pour lui dévoiler le passé difficile, ou à tout le moins, atypique, de son père. Le verdict tombe alors qu’il n’a que 4 ans, Thomas est haut potentiel, chose qu’ignorait Martin. C’est dès lors une tout autre image de son père qui se déroule sous ses yeux, qui l’amènera surtout à une nouvelle compréhension du monde qui l’entoure, de lui-même et de l’avenir. Une réelle « libération ». La modestie est ce qui fait la force de l’auteure dans l’évocation des ressentis et du comportement de ce petit « zèbre », qu’elle distille tout au long des pages avec une grande délicatesse.

Mais ce texte, c’est aussi le cri de détresse d’une jeune maman qui ne peut suffisamment répondre aux alertes de cet enfant qui « ne sait comment s’y prendre avec la vie ». Léa emporte avec elle le lecteur dans un état de désespoir absolu, d’isolement et d’incompréhension, en partageant avec lui des moments très forts, parfois sombres, de sa relation fusionnelle avec Thomas. Des passages qui prennent aux tripes, contrebalancés par un style en apparence léger, avec une pointe d’humour et d’autodérision. Dans ce cheminement qui prendra plusieurs années, la sérénité est la quête absolue pour cette famille. Léa cherche les réponses pour son fils, et surtout sur elle-même et son rôle de maman.

Ce qui est intéressant dans cette réflexion est d’avoir choisi de planter son histoire en 2050 et de présenter avec le recul des années et de l’expérience, la situation de 2010. Isabelle Bary suppose alors des failles au niveau de l’accompagnement des enfants HP, beaucoup mieux encadrés, soutenus et aidés dans ce futur imaginé.

Indéniablement personnel, très émouvant, amenant une réflexion solide et ambitieuse, « Zebraska » est un roman aux mille couleurs, aux mille facettes. Autour d’un sujet principal, l’auteure en a fait un texte riche, interroge son lecteur sur l’essence de la vie. En bonus, elle fait cadeau de quelques phrases-bijoux sur le pouvoir de la lecture, du dessin et de l’écriture. C’est un livre à savourer, à réfléchir et à offrir.

Extraits :

« La vie aussi pouvait se lire comme une histoire drôle. Il fallait juste accepter de perdre le sens du temps, de mettre sa conscience en perspective. » (p.86)

« Tu vas déguster, m’avait dit le pédiatre. Jusqu’à ce qu’il sorte de l’adolescence, tu vas déguster. Voilà, j’étais prévenue. Je ne tiendrais pas. Le pire était sa souffrance, le pire c’était mon impuissance, le pire c’était la virulence sans cesse décuplée de ses crises, le pire c’était la peur de ne pas en sortir. » (p.93)

J’ai partagé cette lecture avec Mina qui a lu un autre roman d’Isabelle Bary, « Baruffa« , présentant quelques concordances avec celui-ci, malgré l’histoire éloignée. On s’est chacune tentée avec le titre de l’autre, succombant évidemment toutes deux à la profondeur des écrits de l’auteure belge.

Isabelle Bary, « Zebraska », Editions Luce Wilquin, 2014, 218 pages.

8 réflexions au sujet de « « Zebraska » d’Isabelle Bary »

  1. Mina

    En te lisant, je suis encore frappée par d’autres concordances entre les romans, dans le ton notamment (cette autodérision pour dédramatiser un sujet pourtant grave) et cette présence des livres, ainsi que de l’art (que je n’ai pas mentionné dans mon article, d’ailleurs, malgré son importance). Il y a tant à dire dans les deux romans ! Je suis assez impressionnée par la façon dont Isabelle Bary mêle tant de sujets dans ses textes, sans perdre en fluidité pour autant. De même, si les références aux animaux peuvent dérouter au premier abord, elles s’intègrent bien à l’ensemble.

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Je suis d’accord avec toi, elle jongle avec aisance avec tant de sujets. Je retiendrai sa faculté à toucher en plein coeur, nous faisant passer du rire aux larmes. Une auteure très émouvante.

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Mina m’a tentée avec « Baruffa » et voilà un autre titre apprécié, ça promet de belles lectures! « Zebraska » est avant tout très bien construit et très riche. Je lirai ton avis!

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