« Une partie de chasse » d’Agnès Desarthe

9782757835968

Vous vous savez mortels, mais vous êtes sauvés par le sens. Chacun de vos actes est logique, utile, efficace. Appelons ça la loi de la nature. Quel repos, certes, mais quel ennui. Je vais te dire, moi, ce que vous n’aurez jamais, ce que tu devrais nous envier, la pépite que tu devrais rapporter aux tiens : ce qui vous manque, c’est la possibilité de faire n’importe quoi, d’agir en dépit du bon sens, de tordre le cou au rendement, à la raison, à la causalité. » (p.120)

Pour avoir plus de chance de s’intégrer dans leur nouvelle ville (et de sauver leur couple, finalement), Emma force son compagnon Tristan à participer à une partie de chasse avec des habitués du coin. Des bourrus, un brin grossiers et sûrs d’eux, tout le contraire du jeune homme! Il tire sur sa première proie, un pauvre lapin qui passait par là. Novice donc, Tristan rate sa victime poilue et pris de culpabilité, la cache immédiatement dans sa gibecière, lui promettant de lui sauver la vie. La partie peut continuer… si ce n’est que l’un d’eux disparaît soudainement au fond d’un trou et qu’une catastrophe naturelle est en train de se préparer…

Ce texte particulier ne laissera personne indifférent. On passe par de nombreuses phases au cours de la lecture: il est hilarant par passages, profond aussi, avec des moments particulièrement touchants et sombres. On peut le voir comme un roman initiatique, car si la partie de chasse est l’événement qui permet au lecteur de faire connaissance avec les différents personnages, il n’est en réalité qu’un prétexte au sens plus profond du livre.

Tristan repense à sa vie, et la narre au lecteur comme s’il lui racontait une histoire. Loin du conte de fée, elle nous vient cependant de façon légère où l’espoir est presque à portée de mains. Il revient sur son enfance lorsqu’il a dû s’occuper très jeune de sa maman alcoolique et gravement malade; de ses études à Londres où il s’est trouvé une nouvelle patrie; jusqu’à ce retour en France avec Emma. On traverse l’histoire avec des yeux d’enfants, aussi naïfs. Comme dans Mangez-moi, Agnès Desarthe parle de personnages blessés, hantés par de vieux démons qui planent au-dessus d’eux. Mais toujours avec cette petite note positive qui nous fait espérer un avenir meilleur. J’y ai retrouvé évidement une écriture généreuse, travaillée, faite de jeux de mots et de métaphores. Un régal!

Je retiens également de ce roman les différents narrateurs, avec bien sûr le plus original : le lapin. Cette petite bête bienveillante partagera une sorte de télépathie philosophique avec son sauveur, pour refaire le monde en évoquant la différence entre les humains et les animaux. Avec lui, on se remet finalement en question, sur notamment cette course folle qu’est la vie, qui nous force parfois à passer à côté des bonnes choses.

La tornade va venir mettre la pagaille dans cette journée banale où les révélations seront finalement perçues comme un élan nouveau. Comme un « après ». Si l’histoire a pu paraître « désordre » pour certains lecteurs, elle m’a personnellement attrapée comme dans des rapides. J’ai adoré l’univers, le fond, les personnages. Vraiment curieuse de connaître la suite de ce présent apocalyptique, ainsi que le passé émouvant de Tristan, ce timide héros moderne, bien malgré lui.

Agnès Desarthe, « Une partie de chasse », Editions de l’Olivier, 2012 (Points, 2013), 153 pages.

15 réflexions au sujet de « « Une partie de chasse » d’Agnès Desarthe »

  1. Electra

    J’ai beaucoup entendu parler de ce roman. J’avais lu Un secret sans importance en novembre 2012 et je n’avais pas du tout accroché (je viens de relire mon billet). Depuis, je n’ose plus la lire. Je vais quand même regarder s’il est dispo en bibliothèque.

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    1. Laeti Auteur de l’article

      J’ai assez rapidement aimé le style de Desarthe, mais j’imagine qu’il ne peut pas plaire à tout le monde. Si tu veux retenter le coup, opte peut-être pour un autre de ses romans, comme Mangez-moi, ou son premier recueil de nouvelles publiés l’année passée. Les courts textes te séduiront peut-être davantage (si tu aimes les nouvelles!).

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      1. Electra

        Oui, j’aime les nouvelles. Je vais en emprunter (ainsi pas de regret). Je n’aime pas être déçue par un auteur donc je suis toujours prête à offrir une seconde chance 😉

  2. sous les galets

    Je tourne autour de Desarthe sans parvenir à y aller (depuis un entretien radiophonique où elle m’a excédée). La chasse ce n’est vraiment pas un univers littéraire qui me plait, mais là, je dois dire que tu sais être tentante, j’aime cette histoire de lapin qu’il a raté et leur communication après. Je le note quand même dans un coin de ma tête…

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    1. Laeti Auteur de l’article

      A vrai dire, la chasse est un prétexte et n’est abordée que lors des toutes premières pages (je ne suis pas fan non plus de ça!). L’histoire de Tristan prend tout l’espace ensuite, en parallèle de cette fameuse tornade qui se prépare, et du « huis-clos » dans le terrier. C’est assez surprenant et original l’échange philosophique avec le lapin! Il t’arrachera à coup sûr plusieurs sourires 🙂

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Des commentaires que j’ai lus, c’est vrai que ce titre a pas mal divisé. Soit on entre dans cet univers paraissant « abracadabrant », soit on reste en dehors. J’ai véritablement accroché lorsqu’on s’est focalisé sur le passé de Tristan. Disons que le début plante le décor seulement, il faut essayer de passer outre, pour recevoir de très jolies surprises par après!

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  3. Tania

    Je ne connais guère cette romancière souvent croisée dans les rayons de la littérature de jeunesse, le point de vue du lapin dans cette histoire m’intrigue un peu. C’est noté.

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  4. Philisine Cave

    Je trouve cela fort, le marketing commercial : maintenant on précise les livres présélectionnés à es prix littéraires pour faire vendre, c’est pas croyable ! J’aime l’univers de Desarthe mais n’ai pas encore lu ce roman-là d’elle et franchement avec un bandeau pareil, je ne suis pas motivée du tout.

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    1. Laeti Auteur de l’article

      Oh oui, c’est vrai, on voit ce genre de bandeaux de plus en plus. Mais personnellement, je n’y prends pas du tout attention. D’ailleurs, j’ai lu l’édition broché, avant qu’il ne soit sélectionné donc 🙂 Si tu aimes cet univers à part, n’y prends pas attention. Il est super 😉

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    1. Laeti Auteur de l’article

      J’ai ce titre aussi dans ma PAL qu’il me tarde de lire! « Mangez-moi » est un de ses plus beaux romans, n’hésite pas. Son recueil de nouvelles est exceptionnel aussi.

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